Je suis parti, dégoûté. Derrière moi, la foule reprenait en chour la plus confiture aux fraises Bonne Maman des chansons de Bob Marley: Could You Be Loved.
Depuis les premières notes, c’était comme ça: le répertoire hautement consensuel de l’icône jamaïcaine, tel qu’entendu sur l’increvable compilation Legend, interprété par des Wailers désincarnés.
Appelez cela vibration mystique ou autre chose du genre: il faut une âme au reggae pour qu’il puisse se déployer, il lui faut ce petit supplément, un groove, un foisonnement d’éléments humains et musicaux qui se fondent en un étrange vaudou dont est tristement dépourvue cette formation où le chanteur, en mimant Marley, fait plus dans la parodie que dans l’hommage.
Évidemment, ce n’était pas l’opinion des centaines de spectateurs complètement déchaînés, compactés devant une scène qui présentait le seul concert potentiellement intéressant en ce lundi soir caniculaire. En fait, ils avaient bien trop envie de fêter pour s’apercevoir de la médiocrité du spectacle qui leur était offert. Tellement envie de fêter que la sécurité, complètement débordée, n’a pu contenir le public qui a fini par investir le parterre en sautant la clôture, ou en la faisant tomber.
Mais j’ai l’air de faire le rabat-joie tandis que tout le monde célèbre la réussite du 400e, du Festival d’été, et le million de spectateurs (j’exagère à peine) venus s’emmitoufler dans les réconfortantes doudounes de nostalgie que distribuait Aznavour dimanche soir. Sauf que ce n’est pas tout à fait le cas. Jusqu’à maintenant, au 400e comme au Festival, je m’amuse assez. J’ai adoré Le Moulin à images, je n’ai pas détesté le feu d’artifice, et j’ai littéralement fondu pendant le spectacle de Leslie Feist, véritable moment de grâce. À NOFX, cependant, je me suis un peu fait chier à force de me faire envoyer paître par Fat Mike.
Et surprise, à Van Halen, j’ai fêté comme un gamin alors que je m’attendais à soupirer d’ennui.
Je l’évoque avec humour dans le compte rendu de ce spectacle en page précédente: la nostalgie fucke parfois le sens critique. C’est pourquoi je m’en méfie.
Cet état d’esprit permet d’être agréablement surpris quand le résultat s’avère satisfaisant (comme dans le cas de Van Halen), mais me fait redouter mes semblables lorsque leur sensibilité paraît figée dans le temps, minéralisée au moment de leur adolescence.
Consultez la courbe démographique, puis regardez rapidement la programmation de ce Festival d’été de Québec pour mieux comprendre. En vrac, comme ça: Van Halen, le fils de Zappa qui joue les tounes de papa, Aznavour, Flower Power – une revue musicale des années 60 -, les Ventures, Dennis DeYoung qui restitue du Styx, The Musical Box qui joue à Genesis-du-temps-de-Peter-Gabriel, et même Stone Temple Pilots qui vient titiller la fibre post-grunge des trentenaires. Ah, j’ai failli oublier Dick Rivers, dont on se demande encore par quel miracle du destin il est parvenu à cet impossible retour en grâce.
Bref, beaucoup de vieux stock, dont quelques rares propositions sont encore dignes d’intérêt. Mais qu’importe, cette musique fait partie de nos souvenirs.
Notez que je ne mets pas la faute sur les programmateurs du Festival d’été, pas plus que je n’accuserais Michel Brazeau de quoi que ce soit pour avoir booké Styx une millionième fois au Colisée, sinon de répondre à la demande de la clientèle.
C’est que musicalement, le Québec nage dans la nostalgie, au dos crawlé, en faisant de jolis petits geysers avec la bouche. Rock classique. Chanson française. Pointures de la musique québécoise d’antan à la Vigneault et Charlebois qui ressassent sans cesse le même refrain – car c’est ce qu’on leur réclame. Claude Dubois qui surfe sur ses succès en duo ou en chant choral. Sylvain Cossette chante les hits des années 70. Vous en voulez encore?
Apparemment, oui.
Je disais que je suis parti du concert des Wailers, dégoûté parce que j’aime la musique de Marley, parce que j’avais l’impression d’assister à son massacre. Et surtout parce que j’étais assailli par le sentiment que la nostalgie fucke non seulement le sens critique, mais qu’elle fait parfois pire encore.
Car en réduisant la musique à un vecteur de son propre passé, en se la rejouant en boucle, encore et encore, jusqu’à lui retirer toute forme de sens, jusqu’à ce qu’on soit parvenu à la folkloriser, et en acceptant qu’on l’interprète n’importe comment sous prétexte qu’on a aimé ces chansons-là, autrefois, on ne la célèbre pas.
On l’empaille.
La nostalgie
David Desjardins
J’approuve le survol de la programmation du festival d’été de m. Desjardins. « Il y a beaucoup de vieux stocks ». Aznavour, Flower Power, Dick Rivers, … Combien de fantômes viendront hanter le festival dans la prochaine décennie? Je dirais que c’est épeurant plutôt que dégouttant.
Par contre, que le Québec entier, ses artistes et programmateurs soient victimes de la même nostalgie épidémique propageant la « médiocrité », le « manque de sens critique » et la taxidermie culturelle, me fait douter des prémisses de son analyse. M. Desjardins, dans la fougue de sa jeunesse, semble résumer la régression musicale du Québec au poids démographique des baby-boomers dans la société, alors que ce phénomène dépasse largement la simplicité qu’il lui accorde. D’ailleurs, analyser cette régression à partir de la programmation du festival ou de l’attitude des festivaliers, tient du raccourci « raccourci ».
L’apparente cause de cette dérive ne tenant qu’aux goûts légitimes du public, ne prend-elle pas sa source dans les règles du néo-libéralisme?
À mon tour de noter que je n’accuse pas m. Desjardins de mauvaise foi, pas plus que je n’accuserais Michel Brazeau de spéculation sinon d’être menotté par la rentabilité à court terme. Les spectacles, les festivals, la radio, la télévision et l’industrie culturelle au complet n’échappent pas à cette contrainte. Là où, hier, le festival d’été de Québec visait d’abord la découverte, le développement et l’élargissement des goûts musicaux de la population et des touristes de passage à Québec, la rentabilité à court terme prend de plus en plus d’espace en exigeant une progression logarithmique du nombre de participants, quitte à tricher un peu les chiffres ou à faire du surplace en programmation.
Alors d’accuser la clientèle du développement douteux de l’industrie culturelle tient du géocentrisme en astronomie.
Difficile de critiquer quant tous les médias vous crient par la tête que le Festival et les Fêtes du 400è sont une réussite, surtout économique, on s’entend, car les critères qualitatifs semblent absents de leur grille d’évaluation. J’étais un adepte inconditionnel du Festival depuis plus de vingt ! Jusqu’à l’an dernier, où là, y a ben fallu que j’admette l’évidence que le Festival ne suscite plus beaucoup d’intérêt à mes yeux. Eh oui, je suis boomer! Un rescapé peut-être. Je suis nostalgique, oui, mais pas du réchauffé ou du nouveau déjà-vu (parce qu’entre vous et moi, Linkin park, Stone temple pilot ou Pascal Picard n’ont rien inventé encore). Je suis nostalgique du temps où le Festival était un lieu de découverte. J’accuse, oui, le néo-libéralisme qui vise à empocher plutôt qu’à éduquer. D’autant plus choquant que ces événements sont subventionnés à même les fonds publics. Mais plutôt que de faire comme pépère et me plaindre que les patates ne goûtent plus comme avant, j’applaudis l’initiative du Festival off. En espérant qu’il continue longtemps à mettre en scène l’immense richesse musicale qui ne trouve point de projecteurs entre Celine et McCartney.