À chaque retour de vacances, c’est la même histoire. Je me retrouve devant l’écran, voûté, presque tordu, comme un point d’interrogation devant la même liste de questions.
Pourquoi je fais cela? Pourquoi j’écris? Pour qui?
Pour vous? Pour moi?
C’est l’avantage en même temps que l’inconvénient d’écrire une chronique qui tire dans tous les sens depuis quelques années – bientôt six, avec des boss assez gentils pour me laisser dire n’importe quelle niaiserie: la liberté. Totale, même. Avec en plus, cette impression que les gens n’ont que peu d’attentes puisque la chronique en question relève souvent plus de l’exercice de style que de la prise de position systématique sur un sujet d’actualité.
Comme il m’arrive souvent de n’avoir aucune opinion sur de nombreux sujets et que le rôle de polémiste de service m’ennuie à mort, cela tombe plutôt bien.
Une semaine, je peux varger sur un animateur de radio, un politicien, la présidente du Conseil du statut de la femme, ou je peux prendre l’opinion la plus répandue à rebrousse-poil. La semaine suivante, je peux m’attendrir devant un paysage, me questionner sur l’absurdité de l’existence et me demander si tout va toujours un peu mieux, ou si tout va toujours un peu plus mal, sans trop savoir quoi répondre au juste.
La liberté, donc, qui est bien sûr illusoire. Car même lorsqu’on patauge dans ce que les politologues du dimanche considèrent comme du gaspillage d’encre trahissant certaines velléités philosophico-littéraires douteuses, on a des attentes. Et les miennes, si vous ne le saviez pas encore, sont monstrueusement démesurées.
Reviennent donc toujours les mêmes questions, auxquelles s’ajoute: pourquoi je m’inflige telle torture?
Les encouragements n’y changent d’ailleurs rien. Même qu’ils empirent la situation. En fait, j’ai moins de difficulté avec les insultes et les plaintes qu’avec la gentillesse des lecteurs. Avec ceux qui te détestent ou qui ne sont simplement pas d’accord, tu peux toujours t’engueuler, ce que je fais plutôt bien. Mais avec les compliments, je suis nul. Je sais jamais quoi dire. Je fonds, je minimise, je baisse les yeux. Ce n’est même pas de la fausse modestie. Une gêne authentique, un malaise.
Tenez, ma mère revenait l’autre jour de funérailles, et me disait comment les gens sur place avaient tenu à me transmettre félicitations et encouragements, qu’ils me lisent aussi souvent que possible, et tout le toutim. Que voulez-vous faire avec cela, sinon y voir d’autres attentes que vous refusiez même de soupçonner: celles des autres, écrasantes, et souvent aussi désespérantes puisqu’elles ne rencontrent pas toujours les vôtres.
Y a-t-il une manière d’expliquer à quelqu’un qui a adoré une chronique que vous, vous la trouvez nulle, sans toutefois avoir l’air d’un insatisfait pathologique, ou plus simplement, d’un ingrat?
À l’inverse, ce courriel d’un lecteur courroucé qui me traite de cave pour avoir, il y a trois semaines, banalisé la blague de Mike Ward à propos de la petite Cédrika me galvanise. Plus étrangement encore, ce toton patenté me donne l’impression que j’écris plus pour lui et sa gang que pour ceux qui m’aiment.
C’est con, non?
Peut-être pas tant que ça… Car généralement, les gens se révèlent plus éloquemment lorsqu’ils vous insultent que lorsqu’ils vous couvrent de louanges. Les détracteurs intelligents, eux, vous reconduisent vers une humilité nécessaire, alors que ceux qui vomissent leur haine font irradier toute leur bêtise, exposant leur insondable crétinisme, et du coup, vous vous sentez vraiment mieux.
Pourquoi j’écris, me demandais-je? Pour le plaisir, pour la douleur, pour la beauté du geste, pour sa futilité, pour le sentiment de faire ce que je fais le mieux, mais aussi, pour me coucher, le soir, tout bêtement content d’être moi plutôt qu’eux.
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Autre syndrome de vacances, je pars toujours content de laisser le travail, mais suis instantanément pris d’une envie d’écrire pendant les vacances. Sans doute parce que je m’y sens vivre autrement que lorsque je suis pris dans la roulette de hamster du quotidien, et que me viennent alors d’autres tableaux, d’une extrême simplicité. Et l’envie de les partager.
Le corps de sa blonde, chaud, inerte, doucement bercé par le sommeil tandis qu’on épluche un polar gros comme ça jusqu’au milieu de la nuit. Les paysages de terres qui vallonnent, s’entortillent autour des collines et vont paisiblement mourir dans le fleuve. Sa petite fille, les lèvres bleues d’avoir pataugé dans un lac glacé, que l’on enroule dans une serviette sur laquelle est dessiné un immense tigre orange, ne laissant dépasser qu’une tête au sourire mouillé et des pieds couverts de sable. Des parties de cartes au chalet pendant que la petite dort. Des «je t’aime» qui vous font fondre le cour. Et des questions d’enfant auxquelles on ne sait trop comment répondre.
– Papa, c’est où le bout du monde?
– Je sais pas c’est où, bébé, mais je pense que c’est maintenant.
Droit dans le mille. Chuis content que tu sois r’venu !
« …alors que ceux qui vomissent leur haine font irradier toute leur bêtise » J’ai l’impression qu’avec tous ces médias qui feignent de s’intéresser à nos opinions (mais qui ne cherchent qu’à augmenter leur quotte de popularité), nous sommes en train de donner naissance à une vraie culture du mépris tellement l’expression de la haine y accouche de ses plus belles insultes. Confronter ses idées et ses croyances, c’est remettre en question une partie de son identité ; un problème important chez les Québécois comme le mentionnait la commission Bouchard-Taylor. Il fallait attendre les fêtes du 400è pour voir l’étal du malaise identitaire de Larochelle à McCartney. Si le bout du monde est maintenant, la fin de nos problèmes ne s’y trouve pas. Il serait bon d’apprendre à s’exprimer avant d’en réclamer la liberté. Enfin, citons Albert Jacquard : « L’opinion, c’est l’état de la pensée avant que la raison se mette en marche. » Désolé pour ceux qui sèment à tout vent des points de vue, le plus souvent grappillés ici et là comme on arrache du chiendent, avec l’orgueil de croire qu’une pensée va germer.