Desjardins

L’attrait du vide

Il y a des jours comme ça. Je me réveille, et tout paraît normal. À la fenêtre de la cuisine, la lumière qui baigne la cime des arbres est identique à celle d’hier. La ville vrombit toujours en sourdine, sa clameur motorisée étouffée par les édifices, les parcs. J’ai encore cette désagréable sensation de raideur dans le genou droit. Des gens meurent un peu partout, certains s’aiment, d’autres pas, un ouragan terrorise la Louisiane et la nouvelle égérie républicaine se retrouve dans l’eau chaude. Business as usual, le monde me paraît relativement sensé malgré son apparent chaos.
Puis, petit à petit, cette impression de normalité s’érode à force d’événements minuscules, jusqu’au point de rupture. Soudain, je me sens en marge. Complètement largué. Déconnecté du reste du monde.
Le plus frustrant, c’est que je n’y comprends rien.
Cela débute avec un courriel, reçu à la suite de la parution de ma plus récente chronique. Courriel qui provient d’une connaissance avec laquelle je me chicane plus ou moins gentiment de temps à autre, selon le sujet. Lui est férocement à droite, et moi, au centre-gauche, disons. Lui est croyant, moi athée, et ainsi de suite. Reste que c’est un garçon d’une intelligence redoutable, à la culture encyclopédique, et j’aime bien recevoir ses missives auxquelles je ne réponds d’ailleurs pas toujours. Par manque de temps plutôt que par manque d’intérêt.
Mais voilà ce garçon que je considère comme brillant qui me dit en substance: toi et ta gang de bien-pensants des médias, ne serait-ce que pour vous faire chier, je serai bien aise de donner mon vote aux conservateurs.
J’avoue que cela m’a scié. Pourquoi ce désir de vengeance? Et pour se venger de quoi au juste?
Quelques heures plus tard, j’accusais toujours le choc quand m’est revenu en tête quelque chose que j’avais lu. Un truc glané chez Lagacé à propos de la clique du Plateau.
Tandis que les artistes-qui-vivent-supposément-au-crochet-de-nos-impôts manifestaient dans la rue, le journaliste y allait d’une impression, une sorte d’intuition qui lui laissait dire qu’une importante fraction du public se félicitait plutôt de ces coupures. Qu’il y avait même là, en quelque sorte, un incitatif pour ces gens-là à voter bleu. Un beau gros fuck you à la clique des artistes subventionnés, à une élite intellectuelle ou culturelle qu’on se plaît à mépriser pour des motifs généralement nébuleux, et qui tiennent le plus souvent à leurs positions politiques, nettement plus à gauche et souverainistes que la moyenne, disons.
Il faut croire qu’il misait dans le mille. Sauf que cette position d’une bonne part de l’électorat nous place en équilibre au bord d’une sorte de gouffre idéologique. D’où ma sensation de vertige, de rupture avec un monde que je ne comprends tout simplement pas.
Pas que je ne saisis pas son mécontentement. Et je ne veux même pas discuter de la légitimité de cette colère. Ce qui me stupéfie complètement, c’est la facilité avec laquelle ces gens se laissent si facilement récupérer.
Comment peut-on s’attaquer avec autant de véhémence à une certaine classe sociale ou politique et se laisser si sagement endormir par une autre? Cela me dépasse.
Comprenez-moi bien, ce n’est pas nécessairement contre la droite que j’en ai ici, mais contre le vide.
J’en ai contre des politiciens qui proposent de passer la chainsaw dans les modèles québécois ou canadiens sans jamais expliquer clairement ce par quoi ils comptent les remplacer. Je ne crains pas le changement. J’ai peur du noir, de l’inconnu, des approximations, du flou délétère, de la manipulation. Pire encore, j’ai peur d’un public qui, écouré des faux bonds que lui fait le système, saute à pieds joints dans ce vide.
Comme si le statu quo était à ce point révoltant que n’importe quelle solution de rechange puisse faire l’affaire.
Mais le comble, c’est bien ceux qui se félicitent de faire chier une poignée minuscule de donneurs d’opinions, d’artistes et d’intellectuels en votant pour le premier arriviste venu. En votant pour du vide, je le répète.
Pour moi qui crois encore aux idées, cette stigmatisation de quelques individus dont on fait les poupées vaudou de l’immobilisme politique renvoie à une bêtise insondable, parfaitement inexplicable.
Mais bon.
Il y a des jours comme ça. Je me réveille, et tout paraît normal. À la fenêtre de la cuisine, la lumière qui baigne la cime des arbres est identique à celle d’hier. La ville vrombit toujours en sourdine, le monde vit et meurt, business as usual. L’univers me paraît sensé.
Puis la réalité sonne à la porte. Quand j’ouvre, elle m’envoie un solide jab en pleine gueule, me rappelant je suis parfois d’une épatante naïveté.

ÇA SE DISCUTE – Histoire d’enfoncer le clou, j’écoutais mardi matin le conseiller municipal Marc Simoneau babiller sur les ondes du 93 à l’émission d’humour – euh, pardon, d’opinion – qu’anime Sylvain Bouchard. Questionné à propos de son silence dans le dossier de la pluie de roches provenant de la carrière Unibéton qu’ont subie des citoyens de l’arrondissement Beauport, le conseiller, visiblement surpris et irrité, s’est même demandé, en direct sur les ondes, si ce secteur faisait partie de son district ou non.
Il a fallu environ 30 secondes au journaliste Hugo Langlois pour lui confirmer que c’est bien le cas. Comment a-t-on résolu cet insondable mystère aussi rapidement? En allant vérifier sur le site Internet de la Ville, tiens.
Juste comme cela, je vous rappelle que Marc Simoneau a été élu démocratiquement, bien que ses plus prestigieux faits d’armes soient d’avoir animé une tribune téléphonique sur le sport à CHRC et d’avoir milité en faveur d’une loi interdisant qu’on puisse tondre son gazon la fin de semaine à l’heure du souper.
Le moins pire des systèmes, la démocratie, disait Churchill? Disons que dans certains cas, ça se discute.