Écrire devant la télé a quelque chose de savoureusement délictueux.
Parce que chroniquer devant le poste, la pire distraction qui soit, on n’y pense même pas. Enfin, normalement, non. Mais quand le soir d’élection tombe le même jour que la tombée du journal, c’est la chose à faire, rendant cette petite délinquance parfaitement acceptable. Voire essentielle.
Et puis on peut regarder distraitement et écrire en même temps, vu qu’on a un peu l’impression de regarder une reprise.
Une reprise, d’abord à cause de Derome, qui est là depuis avant le premier joint de Lucien Francoeur.
Chaque fois qu’il rive son regard d’attachant toutou à la caméra, ce sont toutes les campagnes précédentes qui me reviennent. Le lexique. Le ton. La gestuelle. La gravité de cette mâchoire qui se disloque légèrement pour donner le signal en fin d’envoi. Chaque mot et chaque mouvement ont cette assurance minérale que la chaleur de la nostalgie transforme en une sorte de magma d’intimes archives politiques: les miennes. Les nôtres, en fait.
C’est ce qui fait qu’on se tape Derome. Malgré un léger ennui, malgré l’impression de déjà vu à la puissance 10, malgré cette mauvaise habitude qu’il a de couper tout le monde. On le regarde parce qu’en même temps on se regarde grandir un peu ou, plus douloureusement, faire du surplace.
Parlant de piétinement, cette élection ne change pas grand-chose dans la balance du pouvoir, dites-vous.
N’avez pas tort. Sauf qu’il faudrait être d’une mauvaise foi patentée pour prétendre qu’il ne s’est rien passé dans cette campagne, surtout quand on habite à Québec, où l’on a joué cette dernière élection avec la finesse d’une équipe de hockey semi-pro.
Les insultes, les faux-fuyants, les coups bas et les crises d’hystérie langagière de certains chefs ont généré une couverture médiatique à tel point abondante et mesquine que l’on se prenait parfois à attraper le journal comme d’autres sautent sur le People ou La Semaine.
– Oh chérie, regarde, ils ont encore laissé sortir un conservateur, et il parle.
– Et quelle niaiserie il dit, celui-là?
– Bof, pas grand-chose, sinon que le Bloc est en partie responsable des émeutes à Montréal-Nord.
Bon, on se moque un peu, mais avouons que cela illustre à merveille ce qu’on retiendra de cette élection qui a remis à l’avant la députation.
Selon Influence Communication, on a consacré 12 % d’attention médiatique de plus qu’en 2006 aux candidats locaux. Pas toujours pour les meilleures raisons, j’en conviens. Mais cela nous a au moins permis de réaliser qu’on avait parfois affaire à de drôles de numéros qui, sans l’ombre d’un doute, étaient les premiers surpris quand on leur a annoncé leur victoire en 2006.
Une heureuse surprise pour ces députés, mais qui, dans cette campagne, a parfois eu l’air d’une très mauvaise gageure des électeurs.
Élus au terme d’une élection qui suintait le mécontentement, ces inconnus bien mal conseillés sont parvenus à s’aliéner leurs plus fervents supporteurs au cours des dernières semaines. Mais aussi plusieurs de leurs haut-parleurs médiatiques qui, s’ils adhèrent toujours aux valeurs défendues par les conservateurs, ont constaté qu’on s’est sérieusement moqué d’eux et des électeurs de la région, qu’on a pris pour des valises.
Et qu’ont fait ces électeurs qu’on a tenus pour acquis? Ils ont encore une fois confondu les analystes, les sondeurs, et ils en ont redemandé.
En cette soirée d’élection fédérale, j’ai eu l’impression de regarder une reprise, vous disais-je. Sauf qu’on a quand même un peu changé certains trucs. Dont la fin du film, où le mystère s’épaissit un peu plus que dans sa première version.
Car un autre diagnostic possible s’ajoute à une longue liste d’hypothèses qui tentent d’expliquer le symptôme de la plaque bleue qui afflige Québec pour une seconde fois maintenant.
Le masochisme.
MARIO JUBILE – Une chose est sûre, cependant. Au terme de cette campagne électorale pitoyable des conservateurs où les candidats locaux, sous la loupe des médias, ont brillé soit par leur absence, soit par leur cruel manque d’envergure, Mario Dumont peut tout espérer pour la prochaine élection provinciale qu’on prévoit pour bientôt.
Il sait qu’il pourra enfermer ses candidats au cinquième sous-sol de son quartier général, ne les laisser sortir que pour leur permettre de s’enfarger prodigieusement, au point de fournir toutes les ressources possibles aux opposants de son parti, et que cela ne risque pas de miner ses chances. Pas même une seule seconde.
Le chef de l’ADQ peut dormir sur ses deux oreilles. On vient d’élever la bêtise politique au rang de vertu.
On vient de faire ça, élever la bêtise politique… ? La plus savoureuse n’était pas encore sortie au moment d’écrire votre billet. Salon notre super « Mario » : ce serait la faute à Jean Charest s’il n’y a pas plus de députés conservateurs élus au Québec afin de nous représenter à Ottawa. Ça démontre une chose : la pensée autocratique de Dumont lui permet de croire que s’il était élu, il n’aurait pas à tenir compte des besoins et intérêts de ceux qui n’ont pas voté pour son parti. Rendu là, je n’appelle plus cela de la politique puisque que le mot désigne l’ensemble des pouvoirs qui s’exercent au sein d’une communauté. Faut pas prendre les Québécois pour des imbéciles : ils savent très bien qu’en votant pour le Bloc M. Harper a l’obligation de considérer les intérêts des électeurs que celui-ci représente. Avec cette abdication devant Ottawa, M. Dumont fait tordre l’adage qui dit que l’homme n’est grand qu’à genoux. Est-ce que ça veut dire que le chef de l’ADQ nous aurait enjoint à voter Libéral si la faveur avait été telle ?