Desjardins

Le confort et la vérité

Quand on se compare, est-ce qu’on se console? Un peu quand même. Mais pas tant que ça.
Je viens de terminer l’article-fleuve du Rolling Stone sur les mensonges du candidat à la présidence John McCain. L’auteur aurait pu en faire un livre tellement le matériel est abondant. Un papier que l’on dévore en se disant: Non! ça se peut pas! quel abruti! – s’appuyant sur cet exemple pour se rassurer un peu sur l’état de la politique ici.
Sans doute n’est-ce qu’une question de proportions. Chez nos voisins, tout est toujours magnifié au possible, y compris la laideur.
Mais revenons à cet article, qui est parfait, documenté à mort, parfois même agrémenté de citations de McCain lui-même qui admet son intarissable soif de pouvoir, et quelques-uns des tours de passe-passe qu’il a déployés, d’abord dans sa carrière militaire, pour atteindre le sommet malgré sa paresse et son apparente médiocrité.
Tout est là, dans ce papier redoutable où aucune information n’est épargnée: preuves d’incompétence, mensonges éhontés, implication directe dans la mise en place des conditions qui ont mené à l’actuelle crise financière, opportunisme à gogo qui lui fait changer d’opinion selon la provenance du vent, trafic d’influence, violence verbale dont des insultes à sa propre femme devant témoins, preuves multiples d’un tempérament extrêmement volatil, apparence de corruption. En comparaison, la petite affaire d’abus de pouvoir qui dégouline en ce moment sur la colistière Sarah Palin paraît bien anodine.
Et au bout du compte, c’est juste. trop.
J’avais déjà lu à propos de quelques-uns de ces nombreux faits d’armes, n’empêche que j’ai terminé ce papier avec une boule dans la gorge. Une sorte de dégoût. De la colère aussi. L’impression qu’on me reconduisait encore dans ce petit sillon de cynisme dont je cherche toujours à m’extraire.
Du dégoût, disais-je, pour la machine à faire de la politique, mais surtout pour ce type qui incarne l’opportunisme le plus vil, un homme dont l’unique réel talent est cette capacité de reptile à conserver son sang-froid et à clamer son innocence, même quand on lui présente la preuve irréfutable de sa culpabilité.
Voilà le genre de type qui se ferait prendre au lit avec la meilleure amie de sa femme et aurait le culot de dire à son épouse: écoute chérie, ce n’est pas ce que tu crois.
Et voilà McCain qui dit qu’il savait que l’invasion de l’Irak serait difficile et cruelle alors qu’il s’épandait dans les médias, à la veille des premières attaques, prétendant que ce serait un jeu d’enfant, que les soldats américains y seraient accueillis en héros libérateurs.
Je cite cet exemple, tiré d’une multitude d’autres que recensent des journalistes accusés par les disciples de Karl Rove de faire de la propagande, alors qu’il s’agit de faits documentés, prouvés.
Dont des entrevues télévisées chez Letterman, chez Leno, chez Larry King.
Pour reprendre la formule employée dans Rolling Stone, il s’agit donc là de «secrets» étalés à la vue de tous.
Ce qui n’empêchera pas un peu plus ou un peu moins de la moitié de ce pays immense de voter pour un imposteur, un menteur et un vire-capot dont le caractère bouillant représente, selon de nombreuses connaissances ou anciens collègues, une menace pour le pays. Voire pour l’état du monde.
Les faits sont pourtant là pour les convaincre de ne pas le faire. Et les chiffres aussi. Prenez le plan fiscal des démocrates, abondamment attaqué par les républicains. Il est simple: si tu gagnes moins de 50 000 $ par an, tu auras plus d’argent dans tes poches. Point final. Et pourtant, sans ciller, McCain fait dire exactement le contraire à ces chiffres depuis le dernier débat. Pas de contorsion, pas d’entourloupe, il se contente de dire le contraire.
Écoute chérie, ce n’est pas ce que tu crois.
Et la moitié du pays gobe cela. Sans se poser de questions, sans regarder le tableau, pourtant d’une clarté limpide: c’est McCain qui fera payer la classe moyenne, les baisses d’impôts étant réservées aux plus riches selon son plan.
Contre tout bon sens, contre toute logique, la moitié de la classe moyenne de ce pays croit pourtant l’aspirant républicain à la présidence. Ce n’est plus de la politique, c’est de la foi, parfaitement aveugle. De la partisanerie débilitante.
Contre son propre bien, la moitié de la classe moyenne va voter pour un candidat qui lui ment.
Regardez sur la carte tous ces États, rouge républicain depuis la nuit des temps. Ces gens-là se contrefichent de McCain, ou de Bush, ou de Reagan, ou de Nixon. Ils cultivent une idée. Tordue, mais une idée pareil. Celle de l’Amérique en grosses bottes à cap, du «my country right or wrong», de l’arrogance élevée au rang de vertu, de la démocratie et du libre marché qu’il faut imposer au monde, même s’il n’en veut pas, ou si peu.
Plus qu’une idée, une prétention qui relève de l’atavisme.
L’Amérique des Bush, comme on l’appelle souvent dans les médias français, était là bien avant les Bush. Et c’est ce qui fait qu’on ne peut pas dire de tous ces gens qu’ils sont des imbéciles. Seulement les fils et les filles de leurs pères et de leurs mères.
Sont comme la femme qui croit son mari en le surprenant au lit avec sa meilleure amie quand il lui dit que ce n’est pas ce qu’elle croit, que les apparences sont trompeuses: ils ne veulent juste pas savoir.
Le confort de leurs convictions est comme celui, domestique, de la femme cocue qui reprendra sa vie comme avant: plus important que la vérité.

DESSINE-MOI UNE ÉLECTION – J’écoutais l’autre soir, au terme de la soirée électorale, je ne sais plus quel chef de parti (était-ce Duceppe?) faire l’apologie de la démocratie. La démocratie ceci, et cela, et nous sommes tous gagnants, finalement, car nous vivons en démocratie. Regardez, les enfants, comme c’est beau.
Qu’est-ce que je peux détester ce discours jovialiste de la démocratie fabuleuse, resplendissante, qui nous sauvera des eaux.
C’est ainsi que la France a élu comme président un abruti dont elle n’assume pourtant pas la bêtise, nous, un comptable introverti au comportement despotique comme premier ministre, et que la moitié des États-Unis s’apprête à voter pour un autre fils à papa à la solde d’une machine qui écrase ceux-là mêmes qui la portent au pouvoir.
C’est-ti pas beau, les enfants?