Un samedi sur deux, je conduis ma fille à son cours de danse. Petits chaussons, justaucorps noir, collants roses. Et la voilà s’imaginant princesse du royaume de Disney du moment. La semaine dernière, c’était la Russie des tsars, because Anastasia*.
Comme le cours se donne au sous-sol d’une bibliothèque, je profite de cette heure pour m’instruire. Et tant qu’à reconduire plus ou moins activement ma fille dans certains des stéréotypes féminins les plus détestables, autant m’enquérir du sort de la femme moderne, son aînée, histoire de voir si la mienne de fille s’en sortira malgré tout.
Je suis au bon endroit. Ici, toute la littérature s’offre à moi: Châtelaine, Elle, Clin d’oil, et tiens, même L’Actualité s’y invitait, il y a quelques semaines, proposant une grande enquête sur les Québécoises. En couverture, ce titre racoleur: No sex in the city.
Grande enquête? Gros sondage, mettons, où on a posé un tas de questions aux Québécoises, les interrogeant à propos de leurs envies et de leurs humeurs concernant le travail, l’égalité hommes-femmes, la technologie, le vieillissement, la beauté, le bonheur, le fric, la politique, et le cul qu’on placarde en couverture.
Un choix qui s’imposait, car non seulement l’unique mention du mot sexe en page frontispice est-elle synonyme d’argument de vente, mais le constat qu’on y dresse se veut aussi réconfortant. La révélation?
Malgré l’hypersexualisation médiatique, les femmes ne sont pas si obsédées que cela par ce qui se trame entre leurs cuisses. Seulement 7 % d’entre elles considèrent que le sexe est l’élément le plus important dans une relation, contre 35 % qui lui préfèrent la tendresse.
Et vlan. Pour les filles, le cul, c’est pas si important. Ou enfin, pas primordial. En plus, 76 % sont satisfaites de leur vie sexuelle; 88 % si elles sont en couple.
Ah ouin? Il faudra alors m’expliquer un truc. Pas un magazine féminin ne nous épargne un numéro spécial voué au sexe par an, quand ce n’est pas deux. C’est sans doute parce que ça n’intéresse pas beaucoup le lectorat.
Le reste de l’année, les chroniqueuses prennent le relais, chacune leur tour, pour s’étendre (s’cusez-la) sur la chose (oh, pardon). Chez Châtelaine, on nous servait récemment le très verbeux monologue vaginal de Josée Blanchette. Chez Elle, on a testé le nouveau dildo pour point G à l’interne (s’cusez-la encore, c’est plus fort que moi).
Et là, je vous épargne ce qui se fait aussi du côté des quotidiens où l’on sonde (je suis incorrigible, vraiment) nos perversions, la fréquence de nos rapports, proposant de grands dossiers sur la sexualité des Québécois qui font vendre les arbres morts comme s’il s’agissait de p’tits ponchos.
Ma question: si c’est si important, à quand un numéro spécial sur la tendresse?
Enfin, pas vraiment un numéro sur la tendresse, mais le cul autrement. Le cul comme autre chose qu’un assouvissement. Ou pire, un truc que l’on fait par nécessité plus que par envie. Quand nous parlera-t-on du cul sans les dildos, les lubrifiants, les poudres, les plumeaux, les cockrings, les boules chinoises et les huiles qui chauffent? Du cul autrement qu’à travers ses pathologies, ses manques, ses petites maladies ou ses horreurs dont on sent qu’on les expose plus qu’autre chose pour rassurer la femme moyenne: ah, finalement, ça ne va pas si mal que ça mon affaire…
Bref, du cul autrement qu’au sex shop, à l’hosto ou chez le psy.
Du cul sans grande mise en scène, du cul maison.
Il est cinq heures. Le soleil tombe derrière les arbres à une vitesse folle, et soudain, il ne reste plus qu’un ourlet orange à l’horizon.
Je m’apprête à faire à souper, tu lis. Tu murmures à mon oreille ton envie de moi. Toi sur moi, ton corps en contre-jour, ma bouche dans ton cou, et cette intense mais étrange sensation, quand j’entre en toi, d’être à la fois tellement en vie et tellement en marge du cours normal de ma vie. Tellement dans mon corps, et tellement ailleurs.
C’est la rencontre des sens et des sentiments. Le désir qu’on porte à son comble, comme on fait monter la pression d’une cocotte, jusqu’à ce que nous en perdions la tête.
Du cul normal, ordinaire.
Le sexe du mardi soir, un peu fatigué, un peu tout croche: mais c’est bon pareil. Mon visage enfoui entre tes seins. Je dis une connerie, tu ris. On ne s’attend à rien d’extraordinaire, on déconne.
Puis le désir monte, et le plaisir aussi, mais ça aurait pu ne pas décoller non plus et ce n’aurait pas été bien grave.
Une intimité, une vibration, quelque part entre la tendresse et la porno, qui nous amène ailleurs et nous reconduit chez nous: voilà ce qu’est vraiment le sexe. Et pourtant, on n’en parle jamais ainsi. Ou bien trop rarement.
Ce que je vois, en revanche, ce sont des femmes qui freakent, qui disent: bof, ce n’est pas si important, puis se garrochent sur chaque petit article afin de mesurer leur normalité en la matière.
Suis-je OK? Suis-je assez cochonne? À lire le courrier des lectrices, on a même parfois l’impression que certaines d’entre elles préféreraient démissionner, retourner à l’âge de ma fille, des cours de danse, des princesses. L’âge de l’innocence.
Et pourtant, entre le commerce de la jouissance et le souci de performance, entre le boulot et le gym, on a simplement oublié la simplicité de ce plaisir.
Permettez que je reprenne pour mon compte un slogan archiconnu qui résume ma pensée, et vous enjoint, mesdames, de cesser d’y réfléchir, d’y penser, d’en parler, de pérorer sur telle ou telle pratique jusqu’à l’écourement pour en profiter, enfin, et pour l’empêcher, ce sexe, d’occulter tout le reste.
Just do it.
*Hilarante relecture historique, ce conte de Disney propose que l’invasion bolchevique est la conséquence d’un sort jeté à la famille du tsar Nicolas par nul autre que Raspoutine qui, toujours selon le merveilleux monde de Walt, aurait été une sorte de sorcier maléfique. Pissant.
Salut,
Malheureusement Anastasia c’est Don Bluth et non Disney. C’est comme les Biscuits Décadents du choix du Président vs les Chipits, ça se ressemble pas mal.
merci David! enfin, un gars qui écrit sur le sexe « normal » comme tu dis!
Je cite les phrases que j’adore le plus dans ton article :
« C’est la rencontre des sens et des sentiments. Le désir qu’on porte à son comble, comme on fait monter la pression d’une cocotte, jusqu’à ce que nous en perdions la tête »; « Une intimité, une vibration, quelque part entre la tendresse et la porno, qui nous amène ailleurs et nous reconduit chez nous: voilà ce qu’est vraiment le sexe ». Voilà, tu l’as dit, et j’approuve à 100%!
À bat les modèles de sexualisation à outrance de la (fillette)-femme, qui selon moi (et je n’ai que 25 ans) ne sont qu’un horrible retour en arrière nous réduisant à nouveau à la femme objet! et à bat les critères de performances qui ne font qu’hyperstréssés les partenaires!!
J’ai bien aimé votre texte, Monsieur Desjardins, intéressant, effervescent et très excitant!
Mais, je ne crois pas que les revues ci-haut mentionnées soit le bon endroit pour vous instruire sur les femmes actuelles. Je ne crois pas non plus qu’il faille se fier aux sondages. Pourquoi? Comment une femme peut répondre sincèrement à un sondage lorsqu’elle a le téléphone sur une oreille, la « spatule » pour brasser la sauce d’une main, le cahier de leçon du p’tit dernier de l’autre, l’aîné qui pratique sa « mautadite » flute, la p’tite qui court autour d’la table en criant qu’elle a faim… Il est 18h00 du soir et elle répondrait oui à tout pour que le sondeur lui foute la paix.
Pour répondre à votre question existentielle, Monsieur Desjardins, toutes les femmes aiment le sexe, surtout s’il est bien fait. Si le partenaire à porté attention à elle. À elle pleine de sauce à spag, à elle énervée et à la course. Surtout si son homme lui démontre qu’elle est autre chose qu’une poupée gonflable. Peut-être est-ce là la tendresse, ou l’amour.
Pour celles, qui comme moi, sont célibataire, le sexe est parfois un outil pour se convaincre de notre féminité. De notre pouvoir de plaire. Parfois aussi un simple moyen de se réchauffer le coeur, de ne pas être seule un moment.
Pour ce qui est des accessoires érotiques, ils peuvent être agréables parfois dans notre chambre à coucher, mais la plupart du temps ils ont le pouvoir de nous faire rêver. Pourquoi rêver? Parce que souvent nous n’osons pas assez, parce que parfois nous n’exprimons pas assez nos désirs à notre partenaire. Dans ce monde où on a toutes envie d’être « la plus cochonne ». On a tout de même peur de l’être. Un double discours pour une société à double face. ;-)
En sommes, Monsieur Desjardins, sommes-nous si différentes des hommes?
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Je n’aime pas le ton paternaliste que tu emploies.
« Arrêtez d’en parler, faites-lé »
Je te ferais remarquer que tu en parles, toi aussi dans ton poème et dans ton éditorial. Il n’y a pas de mal à parler des choses que l’on fait. On peut faire les deux : le faire et en parler. Ça fait partie de notre liberté d’expression et de notre besoin de communiquer et d’échanger sur un sujet qui nous touche et qui fait partie de nos vies. Le psys, l’hosto, soit, mais il y a clairement une autre dimension du sexe qui n’est pas assez exploitée dans les magazines (pas seulement féminins) et qui pourtant est vitale et belle.
Je suis d’accord pour un nouvel érotisme, plus ordinaire, moins spectaculaire, moins performatif, plus chaud, plus humain. Je trouve d’ailleurs que le seul intérêt de ton texte c’est ta tentative de créer un moment érotique (considéré comme sain). C’est un risque que tu prends (celui d’être lu et jugé, celui d’érotiser les lecteurs, celui de les dégoûter) et un effort vers le beau : tu poétises le moment érotique que tu passes avec ta femme, dans la chaleur de ton foyer.
Certaines aventures érotiques sont moins rassurantes surtout lorsqu’on n’est pas en couple et peuvent génèrer beaucoup de stress. Ces aventures peuvent être autrement excitantes (vraiment hot), mais peuvent aussi être décevantes et plattes (voire dangereuses), marquées par l’expérience du vide et de l’absence.
Le point pour moi est la complicité, le respect, la communication et le désir.
Voilà ce qui est excitant.
Et parlant de stéréotypes, dis-toi que c’est peut-être ta blonde qui aurait pu la conter la joke qui vous aurait fait pouffer de rire pis devenir chauds après.
Ok maintenant, salut petit lapin et essaye de pas te penser trop bon, ok?
Merci!
Véronique
Anyway la société est clairement malade de performance et de spectacle, tout pour nous angoisser. Si les magazines féminins contribuent (et ils y contribuent) à créer beaucoup de stress en matière de sexe, les écrits (magazines, blogues, l’avis de Pierre, Jean et Jacques) des hommes y contribuent aussi largement. Ton texte d’ailleurs me stresse… Serons-nous enfin parfaites, nous les femmes?! D’oh!
Ah et un coup parti, permettez-moi donc de vous faire un commentaire à toute l’équipe du Voir sur vos pages couvertures.
À chaque fois que c’est une femme en page couverture du Voir, elle est toujours sexy ou provocante ou sa présentation est accés sur la séduction (ça change pas trop des magazines féminins, ça). Y en a plus qu’assez de ce rôle-prison. Il y a d’autres choses dignes d’intérêt qu’une femme peut faire autre que de séduire et être sexy.
À part Pascale Picard qui apparaissait en chemise carreautée et était très sobre avec sa guit sur son divan (je la vois vraiment mal se faire convaincre par le photographe du Voir de faire la pose « Apparel »), je me rappelle de mémoire des autres :
Arianne Moffat sors de l’eau
Amélie Poulain (c’est quoi son vrai nom, donc!) fait un clin d’oeil avec du rouge à lèvre glamour
La corégraphe Karine Le doyen (doyon????!!!!) nue de dos, l’oeil vif, fait un moue provocante, teintée d’humour.
Coeur de pirate et son air ingénue.
La seule fois qu’il y aurait pu y avoir de quoi d’un petit peu trash (et digne d’intérêt – je ne dis pas que les autres étaient pas « intéressantes », j’ai même encadré Coeur de pirate et ostie qu’elle est hot dans mon salon-) c’était la fois où les « Les fermières obsédées » étaient supposées de faire la couverture du Voir. Trash comme à l’habitude : perruches franchement décoiffées, rouge à lèvre qui déborde, chemises salies, attitude pas gentille, elles se sont faites dire par le photographe : ah non pas des Courtney Love, femme frustrées, féministes, chais pas quoi. Hon.
C’est la honte. Et c’est ainsi que l’on a décidé que les Fermières Obsédées ne pouvaient pas faire la page couverture du Voir, vu l’ampleur de leur « expressivité ».
D’ailleurs vous devriez avoir honte d’imprimer les pubs d’american apparel sur la quatrième couverture. Demandez-nous pas après ça d’être saines et relax quand tout le monde, même le si bien pensant Voir, veut nous voir mignonnes, à la baignade, fardées et rigolant, mais surtout tellement coquines.
J’ai hâte de voir des pubs avec des femmes qui ne soient pas axées sur la séduction physique ou leur soit-disant pouvoir sexuel. (Ce n’est pas le pouvoir sexuel qui est mis à l’avant dans les pubs, mais bien la vente par la soumission au sexe). J’ai hâte qu’une femme me fasse rire ou m’interpelle autrement qu’en voulant séduire dans une pub ou du design. « J’attends toujours », comme la belle Émilie de chez Bell Canada, tellement virtuelle et tellement énervante.
AYA!
Bon maintenant bonne nuit, ça suffit, au lit.
Madame Garneau-Allard,
Permettez, ce n’est pas paternaliste, mais plutôt parce que je ne vous connais pas que je vous vouvoie.
Vous avez le droit de ne pas être d’accord, d’exagérer, de trouver que je me pense bon. Vous pouvez même péter plus ou moins les plombs, lestant certains de vos arguments -parfaitement valables- pour les faire sombrer par le fond avec les divagations qui les accompagnent. Je ne suis pas censeur pour deux cennes, et j’aime assez la chicane.
Sauf un truc : j’aime pas les mensonges.
Le shooting des Fermières Obsédées, j’y étais, c’est moi qui les avais choisies, et c’est moi qui ai décidé d’annuler cette page couverture. Je vous signale en passant que je suis rédacteur en chef du journal depuis maintenant 6 ans et que la chose s’est produite une fois. Celle-là.
Sans trop entrer dans les détails, puisque ce n’est pas vois oignons, les événements qui ont mené à l’annulation de cette couverture n’ont rien à voir avec ce que vous évoquez ici. Le concept de départ n’avait rien de sexy. Après, si la chose a été annulée, je n’en suis responsable que dans l’unique mesure où j’ai constaté que l’entente que nous avions prise préalablement n’était pas respectée, puis la totale absence de souplesse de leur part, et la médiocrité du résultat. Faque j’ai tiré la plogue.
Pour le reste, calmez-vous un peu, pardi. C’est d’ailleurs ce que dit mon texte : du calme, c’est juste du cul. C’est super, c’est l’fun, ben oui des fois c’est un peu stressant, mais c’est rien que du cul. Je ne dis pas qu’il ne faut pas en parler, mais qu’on en parle trop et ne le fait pas assez. Qu’on mythifie la chose la plus naturelle et banale qui soit. C’est tout.
Bonne journée pareil.
dd
.
moi je les connais les fermières obsédées et je m’en rappelle quand elles m’ont dit les commentaires du photographe (de je ne sais qui… vous peut-être?) et que finalement vous avez mis
arianne moffat qui sors de l’eau. C’est votre choix mais j’ai le droit de le trouver poche pareil et si Voir offre une tribune pour s’exprimer, j’entends bien en profiter.
Pour ce qui est de c’est « juste du cul », peut-être que vous savez pas c’est quoi souffrir à cause de « juste du cul ».
Mais « juste » du cul, moi des fois, j’trouve que c’est en masse.
Bebye
http://www.youtube.com/watch?v=wN0oDnoc3-c
et je me ravise sur la salutation : bonne journée à toi aussi.
et paternaliste, ça n’a aucun rapport avec le vouvoiement : ça renvoit à la figure du père en tant qu’autorité : tu te permets (permettez-moi) de donner des conseils aux femmes en plus d’être provocateur (juste ciel je parle de cul, vous qui aimez tant la tendresse).
le vouvoiement c’est pour la politesse.
Come on, Véronique. Come on. Je trouve que vous montez un peu sur vos grands chevaux. Le Journal VOIR est loin de pousser les limites jusqu’aux couvertures de ELLE ou même LOULOU. Je suis une femme aussi, pas plus soumise que vous et je n’ai jamais été choquée par les photos, plus artistiques que d’autre chose, qui se retrouvent à la une du VOIR à chaque jeudi. Quand on en est rendu à interpréter les regards pour les rendre supposément «cochons»… Bof là!
«C’est juste du cul». Y a rien d’autre à ajouter, même pas besoin d’élaborer. Pas de panique.