C’est mardi. Comme d’habitude, je chronique. Sauf que rien n’est comme d’habitude. Dans mon bureau, il y a un éléphant: c’est l’actualité qui est là, qui prend toute la place, mais dont on ne peut rien dire pour le moment puisque les événements attendent de se produire.
Vous lirez ceci un jeudi, ou un vendredi, ou un samedi. Vous saurez, alors. Vous saurez si le rendez-vous avec l’Histoire a eu lieu ou non. Si l’Amérique vous a déçue ou pas.
Moi, maintenant, je ne sais rien. C’est mardi, et le brouillard a enveloppé la ville d’un léger voile qui traduit son anxiété. Une tension, palpable un peu partout, non seulement dans tous les médias, dans les conversations, mais même sur Facebook où plus de la moitié des «statuts» concernent d’une manière ou d’une autre l’élection présidentielle.
Le monde semble figé, tendu vers l’avenir, vers une promesse, attendant les résultats avec une ardente patience. Et moi aussi, mais en plus, avec l’impression que tout ce que j’écris à ce sujet n’aura guère de sens dans 24 heures alors qu’en même temps, il n’y a pas d’autre sujet possible.
Alors pour tuer le temps, j’épluche le courrier du lecteur.
LE BONHEUR, C’EST COMBIEN? – Début septembre, je me fends d’une chronique en réponse aux gémissements de la classe moyenne qui, dans un sondage, déplore massivement (à plus de 90 %) que le gouvernement n’en fasse pas assez pour elle. Pauv’ ti-pits, dis-je alors, sont obligés de faire un budget, ils doivent même faire des sacrifices.
Quelle horreur!
Comme j’écris parfois ces chroniques en oubliant qu’on les lit, ma première surprise vient de la récupération de celles-ci un peu partout à travers le Web. Des blogues perso, et des médiatiques, dont Lagacé de La Presse qui me promet une montagne de courriels haineux.
Résultat: que des éloges, à une ou deux exceptions près.
Je ne le dis pas pour me vanter, seulement pour souligner un truc:
Je suis pas tout seul. Nous sommes de plus en plus nombreux à dire merde, non pas à la classe moyenne, mais à son style de vie. De plus en plus nombreux à souhaiter autre chose comme projet collectif que l’augmentation du pouvoir d’achat individuel.
Nous ne sommes pas nécessairement granoles, surtout pas moi. Nous partageons seulement la conviction que le bonheur n’est pas accroché à la poignée de porte, ensaché dans le publi-sac.
CANAL D’ÉVASION – Autre surprise: les nombreuses réactions à mon apologie du vélo de montagne. J’ai d’abord reçu un reproche, plutôt mérité, pour excès de style. J’en conviens, j’ai mis pas mal de confiture sur cette tartine-là.
D’autres, heureusement, se sont reconnus dans cette exaltation sportive, me répondant dans une sorte de clameur électronique tout à fait inattendue. (Je salue particulièrement Amélie Beaudet, exilée en Allemagne, qui m’écrit qu’elle vient tout juste de participer à son premier marathon Ironman sur l’île d’Elbe en Italie. Et aussi l’ancien collègue Charles Sexton, qui, du temps où nous travaillions tous les deux dans la même boutique de vélos, taraudait déjà sérieusement sa pulsion de mort sur son vélo de descente. Ce qu’il n’a cessé de faire depuis, avec grand talent.)
Merci à tous les autres qui ont fait écho à cette chronique que j’écrivais surtout pour moi, pour me faire plaisir, et dans laquelle vous vous êtes reconnus.
C’est le cas de Marilyne, la jeune vingtaine. Elle ne fait pas de vélo, mais elle danse depuis qu’elle a huit ans. Elle décrit parfaitement cette évasion de soi qu’est parfois le sport: «La petite heure par semaine où je pratique, j’oublie tout le reste, comme si tout ce reste en dehors de la salle où je suis cessait d’exister.
J’oublie que je dois plancher toute la fin de semaine sur un travail de fin de session à l’université. J’oubliais que j’étais victime de taxage à l’école secondaire. Tout ce qui compte, ce sont mon corps, ses mouvements et l’unité que je dois créer avec mes camarades de danse.»
DES BOUQUINS. – Jean-Marc Léonard m’écrit à propos de la trilogie Millenium de Stieg Larsson, best-seller que j’ai lu comme lui, d’un trait ou presque.
«Ma blonde m’a fait cadeau des trois briques de Larsson en juin.
Elles sont restées sur le coin d’une table pendant un bon moment.
Pas vraiment le goût de lire. Ça m’arrive. C’est après la lecture de votre article que je me suis dit: pourquoi pas? D’autant que j’entamais justement deux semaines de vacances ce jeudi-là. J’ai fini hier soir. Moins de deux jours que ça m’a pris pour le troisième tome. Mais pas parce que j’étais fasciné. J’en avais juste assez. Finissons-en et passons à autre chose…»
Savez quoi? J’ai aimé cela un peu plus que vous, mais par moments, j’avais aussi l’impression de me faire niaiser.
En fait, comme M. Léonard, c’est du genre que je suis en train de sérieusement me tanner. C’est dit: le polar m’ennuie. D’ailleurs, sur la tête du lit, il y a le dernier Michael Connelly qui traîne depuis tellement longtemps que cela fait au moins trois fois que je l’époussette.
À la place, j’ai lu plein d’autres trucs dont, tout récemment, Un roman russe d’Emmanuel Carrère, abattu en quelques jours non pas par fascination, ici non plus, mais pour ne pas prolonger la torture. Je souhaitais lire vite cette chose qui fait mal comme on retire un diachylon. Zip! D’un coup.
La bêtise humaine est comme la vodka. Elle brûle moins l’intérieur quand on la boit d’un trait.
.ET DU CUL – Je me doutais un peu que j’allais entendre parler de la chronique précédente qui traitait de la femme moderne et de son rapport plutôt fucké à la sexualité. Ou enfin, un peu hypocrite, mettons. Encore là, je m’attendais surtout à encaisser les récriminations, mais non. Ce sont les félicitations qui abondent, et pas de la part des hommes, mais des femmes qui hurlent toutes: oui, oui, oui! Encore! Encore du sexe normal, M. Desjardins! Encore du cul un peu dull le mardi soir en regardant un vieux film poche!
Blague à part, je trouve la réaction fascinante. Nous sommes constamment bombardés de sexe. Et voilà que mes petites scènes pornos d’une extrême banalité viennent vous toucher, vous excitent, même!
Une p’tite claque sur les fesses avec ça?
Bâtard. Moi qui me suis toujours demandé ce que j’allais faire quand je serais grand, me voilà qui me découvre le talent d’un pornographe pour femmes.
Tasse-toi de là, Cindy Cinnamon, j’arrive!
ON SE PLAINT LE VENTRE PLEIN
Si on prend la tête et la queue de votre chronique, on ne peut pas faire autrement que de dire, monsieur Desjardins, que nous nous plaignons le ventre plein.
Eh oui, le fameux « nous nous » dont tout le monde se plaint. Comme s’il était mieux de parler de nous au « je » constamment…
Enfin.
Tout ça pour dire que je ne comprends pas du tout le climat ambiant dans les médias.
Tout un chacun y va de sa complainte, de son chagrin, de son cynisme haut de gamme. Tout le monde il est triste, tout le monde il est pas content, messieurs-dames.
Tout le monde en parle, de l’élection provinciale, mais tout le monde trouve ça plate. La manie perpétuelle du consensus divin au Québec, qu’est-ce qu’on aime ça, pas vrai ?
Tout le monde pleure… bou-hou-hou, les élections sont ennuyantes. Surtout Marie-France Bazzo et sa petite clique de Télé-Québec qui ergote sur la suprématie noire du nouveau pouvoir démocratique américain. Wow ! Je croyais que Obama était devenu le 44e président des États-Unis.
Non, Obama est devenu le messie et le premier homme à marcher sur la connerie Républicaine en même temps…
De kessé ?!
Misère…
Moi, monsieur Desjardins, même quand je suis en ciboire – et que je me considère abusivement comme faisant partie de la Classe moyenne, celle qu’a pas les moyens comme dirait Jean Narrache – je suis content d’aller en élection.
Je suis heureux de ma vie sexuelle aussi… parce que je ne la vois à travers un écran ou que je n’en prends pas des nouvelles dans un livre ou devant le dernier DVD XXX d’une boutique érotique.
Tout le problème des gens qui se sentent mal dans leur peau ou mal représenté vient de là : ils ont intégré une culture de spectateur de leur propre vie.
C’est pourquoi ils sont frustrés de ne pas pouvoir eux aussi pleuré en voyant un homme gagné une élection.
C’est pourquoi ils sont frustrés de leur vie sexuelle également parce qu’ils ne baisent pas comme des caves comme Pierre Ploucman ou Rocco Dufrisbee.
C’est ça quand on a intégré une mentalité de petit singe. Monkey see, monkey do.
La version pour adulte de Où est Charlie devrait s’intituler Où en êtes-vous dans votre vie ?
Dans la vie ou dans votre putain de salon ?
Get a grip, get a life, turn off the fuckin’ tivi ! ;-)
En ce vendredi pluvieux, j’ai fait un détour en passant par votre chronique.
Je lis l’ensemble de vos commentaires et j’y vois un fil conducteur: cette impossibilité pour plusieurs, de sortir de soi. Cet engouement pour Obama, homme charismatique et visionnaire, ne résulte-t-il pas d’un projection inconsciente de nos rêves sur un homme qui a le courage d’agir ? C’est le moyen facile qui nous permet de vivre par procuration. Cet emballement un peu puéril me semble similaire à ces milliers de drapeaux du Canadien que l’on voit sur les automobiles, dès le mois d’octobre.
Qu’est-ce qui nous guide ? La formule qui me semble la plus juste et que j’emprunte à d’autres auteurs: « le meilleur sans le pire ». Ce désir de tout avoir sans en payer le prix. Mais la souffrance, la douleur, les pleurs appartiennent aussi à l’homme. Et le pire, c’est plutôt l’inconnu que nous ne voulons pas sonder. Le pire pourrait être le pire, ou le mieux, ou que sais-je…
Sortir de soi, c’est avant tout se sortir de l’immédiat, de ne pas faire chorus avec les autres. C’est apprendre à vouloir le silence. C’est se regarder du dehors; n’être qu’un parmi la foule. C’est l’humilité dans nos désirs. Il y a un chemin qui peut nous ramener à l’essentiel: c’est le don.
Le don est gratuit, sans aucune arrière-pensée, aucune attente, si petite qu’elle soit. Le don nous fait sortir de soi pour mieux y revenir.
Le meilleur exemple que je peux trouver et qui me rend très heureux, ce sont ces centaines de milliers de bénévoles démocrates qui ont agi en faisant que leur rêve devienne une réalité. Obama a été élu, c’est historique. Mais n’oublions ces gens qui ont fait campagne sans se demander combien tout cela va leur apporter. Tout autour de vous, il y a des causes qui vos attendent. Prenez celle qui vous convient, allez-y sans aucune attente.
Le sexe c’est un peu comme les polars; après un certain temps, on a envie de passer à autre chose…
J’ai aimé le passage sur cette manie de vouloir faire de nous des «consommateurs-acheteurs-dépenseurs-bouffeurs invétérés». Arrêtons de contribuer à toujours augmenter le Produit National Brut, le Revenu Per Capita et autres belles statistiques ;
Je m’en fous de mon pouvoir d’achat. Je veux pouvoir vivre en paix, pouvoir jouir d’un coucher de soleil, pouvoir lire un roman, pouvoir bien parler sans me demander si ça dérange mon con de voisin…
Continue Marc, j’aime bien ce que tu fais.