Desjardins

La charité cheap

On commence par des questions. À la fin, j’y réponds à ma manière, mais il se peut qu’on ne s’entende pas du tout. Il se peut même que vous m’insultiez, me traitiez de jaloux, de salaud, de chien sale. Je prends le risque.
Prêts? On y va avec les questions qui sont toutes un peu des dérivés de la première: la générosité rend-elle intouchable?
Les bonnes intentions offrent-elles à celui s’en drapant un sauf-conduit qui l’exempte de toute critique? Plus précisément: un acte charitable peut-il être jugé? Peut-on en mesurer la qualité?
Et si cet acte, c’est un livre. Si les profits des ventes de ce livre sont remis à une organisation caritative, est-il moralement acceptable d’en dire du mal?
Si je pose la question, si je zigonne autant, vous devinez que je m’apprête à le faire.
Mais précisons d’abord une chose: j’en ai contre le spectacle de la charité en général. J’en ai contre les chanteurs dans les téléthons, les entreprises avec les chèques monstrueux sur des panneaux en coroplast, les défis lancés à tous les agents d’immeubles à l’ouest de Maskinongé et la guignolée des médias où mes confrères et consours bravent le froid (ouhhhh!) pour venir en aide aux démunis.
Outre le fait que la charité organisée sert d’écran de fumée pour dissimuler les véritables enjeux de l’injustice sociale, c’est aussi cette idée du donnant-donnant qui me dérange.
Vous vous souvenez peut-être de cette conversation surréaliste entre les personnages incarnés par Yves Jacques et Lothaire Bluteau dans Jésus de Montréal. Il y a là tout le cynisme de Denys Arcand, cette vision du monde impitoyable où un impresario explique le plus platement possible l’échange de services entre la vedette et l’organisme de charité. De la visibilité médiatique contre de la dorure sur l’image publique.
Parce que la charité faite avec ton nom dessus, c’est aussi de la pub pour ton nom.
Vous me suivez?
Pas grave, puisque au fond, il s’agissait surtout d’un bien long préambule pour vous parler du livre que vient de faire paraître Louis Garneau.
Oui oui, LE Louis Garneau. Celui des ti-bonhommes aux traits grossiers et du chien simplet sur la boîte à lunch de vos enfants. Celui du linge de vélo, celui de la main sur l’épaule de la reine. Celui qui sauve les ski-doos des eaux.
Ce Louis Garneau-là est un homme généreux, et je le dis sans sarcasme, juré. Depuis plusieurs années, il s’implique dans différentes causes, dont celle des Petits Frères des pauvres, qui viennent en aide aux vieux laissés à l’abandon par la vie. C’est justement à eux qu’iront les profits des ventes de ce livre.
Mon problème? C’est que ce livre ne vaut pas un clou. Pire que cela, j’ai envie de dire que c’est une farce.
En affaires, j’ai appris. 333 Pensées, a-t-il intitulé la chose. On aurait envie d’ajouter: dont une ou deux sont dignes d’intérêt. Et encore. Heureusement écrit sans prétention, l’ouvrage est un mélange de psycho pop à cinq cennes et de formules creuses qui voguent mollement entre le lieu commun et l’évidence crasse. En fait, on termine la lecture du bouquin en ayant l’impression que le type vient de professer que l’index est à côté du majeur, et Trois-Rivières à l’ouest de Québec, sans jamais se sentir concerné. À la limite, il en aurait fait un agenda, et aurait mis une pensée en haut de chaque page, au moins, ç’eût été utile.
Mais bon, je sens que vous trouvez que je m’énerve pour pas grand-chose. Peut-être même que vous me trouvez carrément odieux. Alors je vous explique exactement ce qui me tanne dans cette entreprise de charité, et après, vous me traitez des noms que vous voulez.
D’abord, M. Garneau ne signe pas son livre. En couverture, il utilise la même typo pour écrire son nom que lorsqu’il s’agit de signer des t-shirts, des vélos, des raquettes. Ce n’est plus un nom, c’est un logo d’entreprise. Une sorte de promotion de la générosité qui porte à confusion. Je veux bien qu’il s’agisse de pensées en rapport avec le monde des affaires, mais c’est lui ou sa compagnie qui signe?
L’autre raison de m’énerver, c’est l’apparente naïveté du personnage.
Ou enfin, la très mauvaise opinion qu’il semble avoir de son talent, mais surtout de l’intérêt que peuvent receler les petites parcelles d’une intimité de surface qu’il sert ici comme un don de soi.
Peut-être la seule capsule instructive de l’ensemble, la 109 nous permet cependant de mieux comprendre: «En affaires, j’ai appris qu’il faut montrer les photos de famille aux clients; ça intéresse tout le monde.»
Sauf que c’est pas vrai. En fait, ça n’intéresse personne, ou presque. Mais tout le monde fait semblant.
C’est comme pour vos capsules, M. Garneau. Tout le monde va faire semblant. Hon, si c’est fin. Et puis c’est une chic idée de faire cela pour les plus démunis, non?
Et je sens que vous allez les croire.
Sauf que ce que ça me dit, à moi, c’est: il ne s’est pas trop forcé.
Il a écrit ça sur le fly. Le peu d’attention apporté à l’ensemble me dit: il s’en crisse, au fond, que ce soit mauvais, les gens vont acheter ça pour la cause. Pour les pauvres. Pour les vieux qui n’ont pas de famille.
Et il y aura un lancement, des communiqués de presse, des articles, aussi. Un étalage public de la bonté.
Bref, je n’arrive pas à comprendre que tout le monde ait trouvé que c’était une bonne idée de publier cette farce. À croire que les bons sentiments rendent un peu nono.
Autrement, je termine sur une précision: quand Louis Garneau vient en aide aux Petits Frères des pauvres en leur faisant profiter de sa richesse, qu’il paye pour ces gens des vacances au lac Saint-Joseph sans appeler les journaux pour le leur dire, je trouve cela admirable. Et il le fait. Bravo.
Sauf que le spectacle de cette générosité sous forme d’un livre bâclé, sans intérêt, c’est surtout bon pour l’ego. Et sans doute aussi pour la vente de boîtes à lunch, de linge de vélo et de raquettes.
Sauf que ça insulte notre intelligence, aussi.
Et je sais pas pour vous, mais moi, j’aime pas qu’on me prenne pour un con. Même si c’est pour une bonne cause.

***

Maintenant, je m’adresse aux lecteurs et lectrices. Vous pouvez m’agonir d’insultes si cela vous chante, mais je vous propose de faire autrement.
N’achetez pas le livre de Louis Garneau, mais donnez plutôt directement aux Petits Frères des pauvres. De l’argent, des biens, ou de votre temps, ils en ont toujours besoin. À Québec, ils sont au 168, rue Chabot, code postal G1M 1K5, et vous pouvez les joindre au 418 683-5533.