Desjardins

Folklore et thanatologie

Dans la page éditoriale du Globe & Mail du 11 novembre, on se félicitait que Mario Dumont peine désormais à raviver la flamme de l’intolérance, citant sa tentative ratée de ramener la question identitaire sur le tapis électoral en utilisant les cours d’éthique et culture religieuse comme véhicule. «Monsieur Dumont a pris plaisir à jouer avec le feu de l’intolérance lors de la dernière élection, mais il risque cette fois de s’y brûler», peut-on lire dans ce court papier qui dit en somme: ne vous en faites pas avec le Québec, finalement, c’est moins pire que l’on croyait, ce n’est pas encore l’Alabama.
Attendez, je vous en prie, ne partez pas tout de suite, comme je sais que cela vous ennuie au possible, je vous promets qu’il sera très peu question de la présente campagne électorale dans cette chronique bricolée un peu n’importe comment. À l’image de la présente campagne, justement. Et rassurez-vous, il ne sera pas tellement question du cours d’éthique et culture religieuse non plus.
Mais un peu quand même.
Dans le même édito du Globe, on cite quelques extraits du plan de ce cours qui devrait accorder une très large place à l’héritage religieux (surtout catho, mais un peu protestant aussi) des Québécois. Et en dehors de l’héritage, de la religion folklorisée, pour exprimer nos idéaux d’aujourd’hui, il restera toujours. l’éthique.
Je ne vous dis pas cela parce que je me désole tant que ça de la disparition de la religion enseignée comme un dogme ou comme l’unique modèle de vie réussie, mais plutôt parce que l’idée de remplacer la chose par l’éthique et autres «nouvelles valeurs» me laisse assez froid.
Je sais pas. À la place, pourquoi ne pas leur faire lire des romans?
Le dernier Annie Ernaux (Les Années), tiens. Ils pourraient y découvrir qu’en moins de 40 ans la religion et la mémoire ont été remplacées par les idéaux, ces derniers brocantés pour pas cher ou troqués en échange de choses, d’objets, d’une idée du confort.
D’où le thème des libéraux dans cette campagne: l’économie d’abord, oui. D’où leur politique culturelle qui se résumerait à abolir la TVQ sur les «biens» culturels québécois.
Et qu’en est-il de la culture à l’école, la vraie, la difficile, celle qui demande du temps, qu’en est-il de l’investissement dans un savoir qui ne sert pas qu’à fabriquer des travailleurs – ou du contentement chez l’électeur -, mais à faire de meilleurs humains, et pas juste par le moyen d’un cours jovialiste sur le bonheur multiculturel?
Voilà qui est sans doute trop dangereux. Surtout pour les politiciens. Cela leur rendrait la tâche bien trop ardue.
Déjà, ils triment si fort à nous prendre pour des cons en essayant que rien n’y paraisse. Et nous, on n’a même pas fait de cours d’éthique, c’est dire.
Enfin, si. Mais c’était au cégep. À croire que c’est un complot. 
Parce que bon, vous vous souvenez de votre cégep, vous?

BANAL, LE MAL – J’ai beaucoup aimé le reportage réalisé par les gens de l’émission Enquête à la SRC sur Micheline Charest de CINAR. Adoré, surtout, les passages du début, avec les images de Micheline l’enfant, la jeune fille bien à qui tout était promis.
Si vous y avez vu une tentative d’humaniser une criminelle, vous avez tout compris. On l’a effectivement humanisée, on a effectivement banalisé son crime, qui en est surtout un de vanité.
Anyway, pourquoi les criminels font-ils ce qu’ils font? Pourquoi fourrent-ils le monde avec cette inaltérable conviction qu’on ne les y prendra pas, eux. Pour le fric, oui, l’appât du gain, c’est sûr, mais surtout parce qu’ils y croient. Parce qu’ils se pensent meilleurs. 
Plus brillants que les flics, que le système, que tout le monde.
Que Mme Charest ait péri alors qu’elle subissait un lifting relève donc de la plus désolante ironie. Tout autour d’elle avait subitement cessé de lui dire qu’elle était la meilleure, la plus belle. Ne restait plus que le miroir vers lequel elle pourrait se tourner, à condition qu’on l’y aide un peu.

MUSIQUES FOSSILES – Ce sera bientôt Noël, et je sens que le vôtre sera nostalgique au possible. Et par là, je ne veux pas dire qu’il sera composé de cantiques, de souvenirs, de diaporamas de photos de famille à l’époque où mononcle Jean-Paul arborait sa plus abondante moustache. Non, en fait, c’est au rayon du divertissement que ce Noël s’annonce résolument tourné vers le passé.
Passons outre les disques de classiques de Noël interprétés par quelques crooners croulants, et regardons plus près encore. Car chez nous, c’est en groupe qu’on fêtera ça, au son d’une revue du rock des années 70 à l’Impérial avec Steve Hill, ou chez Sylvain Cossette qui hulule les hits de cette décennie au Capitole. J’espère que vous vous y amuserez bien.  Vous me raconterez, car chose certaine, je n’y serai pas.
Oh, bien sûr, il chante bien, Sylvain. Il pogne toujours la note, même la plus haute. Dans Roxane des Police, par exemple: c’est pareil.
Et c’est exactement là que le chroniqueur s’avoue mystifié: c’est la même chose, l’âme originelle en moins. Aucune différence ou presque. 
Un groupe de covers, comme vous pouvez en voir chaque semaine au Dagobert.
Sérieusement, vous êtes pas tannés, même pas un peu, des mêmes chansons qui jouent à Rock Détente, des mêmes chansons qui sont dans votre iPod, des mêmes chansons qui pourraient toutes se retrouver sur un seul disque?
Apparemment, non.
Cossette, lui, a étiré un peu la recette et en a fait deux. Deux disques de reprises usées à la corde. Le premier s’est écoulé à plus de 100 000 exemplaires. Et c’est cela qui me flabbergaste. Rien contre le fait qu’un chanteur populaire fasse un show de covers. Rien non plus contre le fait qu’il les enregistre.
Mais que cela se vende à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires me pétrifie presque autant que ces chansons embaumées par une interprétation la plus fidèle possible, mais qui ne trompe pourtant personne. Comme le maquillage de mononcle Jean-Paul dans son cercueil au salon funéraire.
Une musique embaumée, disais-je. Pire, fossilisée. Complètement désincarnée, folklorisée par la répétition. «Mais ce sont les chansons de notre jeunesse», objectent les boomers qui me traitent en ce moment même de snob, de p’tit crisse, de maudit chialeux.
La musique de votre jeunesse, je veux bien. Mais qui a dit qu’il fallait que vous écoutiez les mêmes 20 tounes toute votre vie?