Je ne suis allé à la messe de minuit qu’une seule fois, je devais avoir 20 ans. Athées convaincus, mes parents nous avaient toujours épargné ce rituel que tout le monde décrivait comme un véritable fléau: une foule compacte de dévots ponctuels dont les parfums, se mélangeant à celui de l’encens, formaient dans la chaleur étouffante de l’église un cocktail provoquant maux de cour et crises de narcolepsie.
Le réveillon chez mes parents n’en étant pas vraiment un, il se terminait bien avant minuit. Célibataire, j’habitais alors avec un groupe d’amis dans une gigantesque maison où nous comptions nous retrouver plus tard dans la nuit afin d’exceller à ce que nous faisions alors de mieux: la fête. Entre les deux, j’avais juste rien à faire. J’irais donc seul à cette messe, pour tuer le temps. Et comme, à l’époque, chaque situation commandait que j’en altère plus ou moins la réalité pour l’apprécier à sa juste valeur, j’avais choisi mon trip pour l’occasion: champignons magiques.
Ç’aurait pu être l’alcool, ou le pot, mais les deux me semblaient par trop banals. Tant qu’à faire, autant y aller pour une altération réelle des sens, non? Et pourquoi ne pas mettre les chances de son bord pour une petite illumination, une expérience mystique?
Remarquez, je dis cela le plus sérieusement du monde. J’étais vraiment à la recherche de ce genre d’expérience, avec toute la naïveté que confère une jeunesse qui s’abreuve de Huxley (surtout la suite des Portes de la perception), de poètes aux mours douteuses et de rock messianique où les chanteuses étalent impudiquement leur désir de faire l’amour à l’Esprit saint.
Le souvenir de l’heure qui a suivi est évidemment confus, certains détails s’égarant dans la brume de l’oubli et d’autres dans l’abrutissement de la drogue. J’en conserve cependant quelques images fortes de dorures éclatantes, d’imposantes statues, et de cette bible que tenait le curé, et qui sous l’effet des champignons semblait respirer, puis s’inonder de lumière pour ensuite être entourée d’une sorte de halo, comme un néon* divin faisant la réclame de la parole sainte: pour sauver votre âme, entrez ici.
Dehors, après, un type que je ne connaissais pas m’a serré la main, et souhaité la paix. Je me souviens parfaitement de chaque trait de son visage buriné, mais surtout de son sourire, sincèrement bon, et que je n’ai pu m’empêcher d’imiter tout au long de cette nuit qui, je m’en doutais, ne me servait là que ses premières étrangetés.
LA VIE EST AILLEURS – Elle voudrait être n’importe où sauf ici.
N’importe où sauf dans cette voiture surchauffée, au point où les muqueuses du nez et de la bouche se dessèchent jusqu’à l’inconfort.
Elle ouvre la fenêtre, et pourquoi pas, allume une cigarette.
Si elle doit absolument être dans cette voiture, à cet instant, elle voudrait rouler n’importe où, sauf sur cette route. Ce chemin parcouru mille fois, presque désert en cette nuit de Noël alors qu’on rentre à la maison en silence, parce qu’on est trop fatigué, ou pire, parce qu’on n’a rien à se dire. Les quelques phares qui illuminent l’intérieur de la voiture ne font qu’accentuer l’impression de profonde tristesse qui se dégage des passagers.
Ou peut-être est-ce seulement elle? Peut-être qu’il ne fait que nager mollement dans des pensées de surface, qu’il se demande si elle avait deviné ou non, pour son cadeau. Si sa surprise était sincère, et qu’il s’apprête à le lui demander.
Pendant qu’il passe peut-être en revue la soirée, à laquelle il s’est plu sans pour autant s’y amuser vraiment, elle constate qu’il n’existe pas d’endroit plus triste que cette voiture, maintenant, en cette nuit glaciale du 24 au 25 décembre, avec cet homme qu’elle n’aime plus, tandis qu’elle se répète intérieurement qu’il faut absolument que la vraie vie soit ailleurs.
BAR-SALON – Nous avions pris l’habitude, chaque année, de nous réunir le soir de Noël. Une poignée d’amis d’enfance, tous issus de la même banlieue, et donc condamnés à y retourner pour les Fêtes. Il y avait bien quelques bars pas trop mal dans les environs, mais comme j’insistais toujours pour les éviter, nous aboutissions presque invariablement dans les endroits les plus déprimants.
Je me souviens particulièrement bien d’une certaine nuit de Noël au piano-bar de l’hôtel Québec Inn. Après avoir éclusé quelques bières dans la voiture, nous étions entrés pour ensuite nous laisser choir sur une banquette sans même qu’on nous y invite.
Anyway, la place n’était pas particulièrement animée.
Et pourtant, ce n’était pas le mouroir de l’âme qu’on imagine. Sur scène, le duo Michel et Nicole alignait les succès des trois dernières décennies, tentant de faire swinguer la compagnie.
À part nous, et quelques clients de l’hôtel, attablés ici et là, il y avait la serveuse, un spécimen momifié des années 80, précédée d’une poitrine aux proportions homériques et coiffée d’une masse vertigineuse de cheveux à rendre jaloux Marge Simpson et le chanteur de Mötley Crüe. Au bar, quelques silhouettes levaient des mains en direction du barman, exhalant parfois des rires gras et vicieux. Elles entouraient deux pauvres femmes qui semblaient retenues prisonnières par un étau de testostérone et d’haleines fétides.
À notre départ, il était tombé au moins 10 ou 15 centimètres de neige en quelques heures. Mélanie, la seule à n’avoir pas bu, nous regardait glisser, tomber, puis nous battre dans le parking, pour le plaisir, échangeant jambettes, prises de lutte et bouillons de neige.
C’est alors que je les ai aperçus. Les musiciens, Michel et Nicole, dans une voiture. D’abord Michel, droit comme un i. Les yeux exorbités. Puis Nicole, qui a relevé la tête quand j’ai accidentellement heurté la voiture en tentant d’éviter une balle de neige. Michel avait les pantalons détachés, et Nicole, la bouche encore grande ouverte.
Aussi surpris qu’eux, je me suis levé, courant à toutes jambes sans savoir pourquoi, mais arrivé à la hauteur de la voiture suivante, l’ombre indistincte d’un de mes chums m’a plaqué dans la neige et je me suis disloqué l’épaule.
*La Bible de néon, que j’ai ici chapardé, est le titre d’un roman de John Kennedy Toole.
Une petite dose de soma, donc, à la rescousse de l’expérience mystique. L’harmonie du monde rétablie à petit prix.
C’est peut-être niaiseux à dire de même, mais j’ai l’impression de lire Pierre Foglia sans la vulgarité épaisse de La Presse en vous lisant.
Probablement une illusion d’optique puisque ma vitre est un jardin de givre et le monde est resplendissant comme un champ de mines afghans…
En passant, y’as-tu juste moé qui se demande si les vaillants guerriers de Gengis Khan ont jamais été recruté dans le bout de territoire aujourd’hui recouvert par l’Afghanistan, le Nord de la Chine et la Mongolie d’aujourd’hui ?
Quand je les vois sur leurs chevaux avec des AK-47 russes de la belle époque de l’U.R.S.S.O.S, c’est ce qui me passe par la tête.
Vous me direz qu’un souvenir, c’est mieux qu’une balle, dans la tête… et je vous dirais peut-être.
Anyway, ce que je voulais dire, surtout, c’est merci monsieur Desjardins, grâce à vous je me suis pris d’affection pour le style gonzo journaliste et c’est là-dessus que je me « base » (allusion subtile) pour alimenter mon blogue… qui est loin d’être aussi bien écrit que le vôtre, en passant.
Fin du rouleau, plus de papier en cervelle.