Desjardins

De l’autre côté

Les livres sont de formidables miroirs que l’on place devant soi pour mieux voir le monde.
S’ils nous renvoient parfois une image navrante, il leur arrive aussi de focaliser sur des détails plus inspirants. Ils sont alors un encouragement à persister, à trouver du bon dans cet univers dont on a parfois l’impression qu’il subit «l’assaut d’on ne sait quel glaucome froid assombrissant le monde sous sa taie» (Cormac McCarthy, La Route).
Le plus souvent, comme le monde est affreusement complexe, c’est un peu des deux.
En ce moment, je termine Letters to a Young Journalist de Samuel G. Freedman, efficace petit bouquin dont j’ai découvert l’existence en consultant le site Internet de l’Observatoire du journalisme de l’Université Laval (www.projetj.ca). L’auteur, prof à Columbia, y est relativement optimiste, arguant que si le support journalistique est en pleine mutation et que le public consomme une véritable rupture avec un journalisme qui a perdu sa confiance, «la curiosité intellectuelle, la recherche poussée, l’analyse pointue et une prose élégante ne seront jamais passées de mode».
Bien qu’il se veuille rassurant, le postulat de Freedman est un plaster sur une fracture ouverte. Même qu’en observant la réalité, on a parfois envie de dire qu’il relève de la pensée magique.
Prenez la job de bras que mène l’Empire de Darth Péladeau contre les auteurs du Bye Bye. Voilà qui illustre à merveille comment certains médias sont non seulement les vecteurs politiques de leurs propriétaires, mais aussi, les défenseurs d’une guerre marketing à finir entre conglomérats ennemis.
La confrontation stérile qui en résulte, comme c’est ici le cas, confine tristement à la maladie mentale.
Disons qu’on est loin de la curiosité intellectuelle, de la rigueur et de la prose élégante.
Et là, je ne vous parle pas de la radio de Québec, prenant trop souvent, dans son format talk, la posture inverse à celle qui se dégage des médias nationaux, et qui relève trop souvent d’un réflexe plutôt que de la réflexion.
Chez Bouchard, l’émission la plus écoutée le matin, il est de bon ton de casser du Palestinien depuis le début de l’offensive israélienne sur Gaza. Inutile de s’embarrasser de trop de nuances, surtout quand on invite le chroniqueur Marc Simoneau à se prononcer sur la question.
On devrait en faire un parking, a finement analysé l’ancien animateur de tribunes sportives devenu conseiller municipal, laissant entendre que les chicanes avaient assez duré, et qu’il valait mieux raser Gaza plutôt que d’endurer pareil tiraillement un peu plus longtemps.
Un peu de napalm avec ça?
Déjà, que Simoneau ait été élu conseiller municipal relève d’une sorte de hoquet de la démocratie, mais de l’inviter à se prononcer sur autre chose que le sport, l’avenir des tondeuses à gazon et le déneigement des trottoirs relève de l’insulte à l’intelligence de l’auditeur. Auditeur qui pourtant – cela va encore à l’encontre de ce que prétend Freedman – en redemande.
C’est ainsi que se construisent les médias, dans une course à la popularité où la vérité et les nuances peuvent bien être piétinées si elles sont trop embarrassantes, à condition de donner un bon show.
J’envie parfois l’insipide assurance de ce genre de taré médiatique. Qu’il doit être agréable leur monde, composé de bons et de méchants, de vérités brutales que l’on peut asséner sans jamais craindre de se tromper. J’envie leur confort, leur indifférence au malheur, leur absence d’empathie.
Car se plonger dans le monde est autrement inconfortable. Composé d’une infinité de teintes de gris, il ressemble bien plus à un banc de brouillard qu’au paysage idéalisé que se représentent certains clowns de l’information. Cela force à une certaine humilité qui leur serait salutaire, et bien plus utile.
Les insipides belles-mères que sont devenues Denise Bombardier et Lise Payette se réfugient dans un mirage de la civilisation en ruine pour expliquer ce même déclin que décrit Denys Arcand dans ses films. Nous cherchons des réponses faciles et concrètes afin d’expliquer un monde dont les contours nous échappent.
J’aimerais, moi aussi, avoir quelques réponses. J’aimerais, à tout le moins, en trouver dans les livres. Mais je n’y trouve que quelques indices, et encore.
Le Monde selon Garp, célèbre roman de John Irving, est censé être une vaste farce. Un miroir déformant où les traits les moins flatteurs de notre monde y sont distendus, exagérés.
Et pourtant, quand on l’observe, ce monde, il se révèle au moins aussi ahurissant que les situations et les personnages grotesques de ce roman. Prenez seulement les Stéphane Dion, Sarah Palin, Julie Couillard et autres ahuris du genre: ne sont-ils pas aussi abracadabrants que les plus improbables personnages de fiction?
Ce qui me fait dire que les livres, même les plus cruels, même les plus dingues, ont une utilité inespérée. Ils ne se contentent pas de nous renvoyer des images du monde par fragments, mais nous permettent aussi de traverser leur miroir, comme l’Alice de Carroll, et de nous reposer d’un monde souvent inquiétant, parfois même désespérant.
On n’y trouve pas toutes les réponses, mais parfois, une certaine paix. C’est déjà beaucoup.