Desjardins

Ich bin ein Amerikanischer

Mardi, j’ai dîné avec le président des États-Unis. Au menu: pâté au saumon. Du comfort food pour un discours-réconfort. Puis je suis sorti, sous le soleil d’hiver, et j’ai marché jusqu’au café pas loin. Là-bas, les employés s’étaient entassés dans le bureau de la boss pour faire pareil comme le reste du monde et s’approprier un peu de ce fragment d’histoire.
C’était pour voir le truc d’Obama, expliquait l’une d’elles à sa collègue en faisant distraitement mousser du lait.
Un truc, un truc, qu’elle dit. Tout un truc pareil, vu par des millions de gens, de Mobile à Helsinki, en passant par Cape Town, Port-au-Prince et Saint-Liboire.
Ce que j’en retiens? Pas mal de trucs, justement. À commencer par quelques irritants qui relèvent de la volonté du nouveau président d’unir tous les Américains en faisant faire quelques contorsions à ses positions initiales. «L’espoir plutôt que la peur, la volonté d’agir ensemble plutôt que la discorde», m’a-t-il répondu. D’accord, j’ai compris, je veux bien. Mais attention que vos politiques ne deviennent un numéro de cirque, Monsieur le Président.
À part de cela?
Des mythes, mes amis, il pleuvait des mythes sur Washington, les États-Unis, et sur le monde. Mais parmi les plus beaux, doit-on préciser. Les mythes fondateurs de l’Amérique. L’égalité des chances, la liberté, le droit pour tous à la poursuite du bonheur.
Toutes ces choses qui font des États-Unis un pays aussi magnifiquement imparfait. Aussi cruellement déchiré dans son interprétation de ces mêmes mythes. Du comment y parvenir.
Et c’est justement là que nous entrons en scène. Au beau milieu du rêve de l’Amérique qui est aussi fantasme, qui est à la fois espoir et mirage, idéal et piège à cons. Des contradictions si intimement liées, si parfaitement cousues ensemble qu’on en vient à les ignorer, à ne plus voir le paradoxe ambulant que nous sommes, nous qui incarnons toutes les contradictions d’une Amérique disloquée.
Et puis voilà Obama. Voilà ce nouveau président qui rappelle les contradictions de l’Amérique qui fascine et qui dégoûte.
Voilà Obama qui étale tout cela, l’arrogance, la cupidité et la complicité dans le processus de dissimulation des iniquités. Mais il ajoute aussi que les cyniques auront tort, que c’est le versant honorable et vertueux des élans américains qui triomphera.
On se surprend à y croire.
Comme on a envie de croire en soi, de se dire que dans cette double vie que nous empruntons à l’Amérique, un désir sincère d’égalité et de tolérance n’est pas toujours anéanti par la peur de perdre un peu de notre confort.
Comme on a envie de croire que ces milliers d’existences du monde entier, moulées dans la fonderie de l’Amérique, sont belles et fortes et pleines de sens, et pas des zombies dont les âmes insatisfaites font d’insatiables consommateurs.
En fait, Obama ne se contente pas de rabibocher son pays, et du coup, de rapprocher les États-Unis du reste du monde. En réconciliant l’Amérique avec ses rêves, sur lesquels il saupoudre pas mal de réalité jusqu’à les lester et les ancrer au sol, c’est en quelque sorte comme s’il parvenait aussi à nous réconcilier, chacun d’entre nous, avec nous-mêmes. À faire cohabiter NOS rêves et NOTRE réalité.
Ne sommes-nous pas tous un peu beaucoup Américains? Et sinon, mardi dernier, pourquoi avons-nous été aussi nombreux à nous entasser devant la télé pour dîner avec lui?

TROP BEAU – Pour bien saisir la complexité des États-Unis, pour toucher à son âme, il faut fréquenter quelques-uns de ses auteurs, c’est sûr. J’en nommais deux ou trois la semaine dernière, ajoutez-y Raymond Carver pour l’hyperréalisme, mais surtout pour la rencontre avec l’Amérique des petites bourgades de l’Ouest, bercées par l’ennui et les mornes saisons, écrasées par l’isolement, diverties par la chasse, la pêche, mais aussi trop souvent la boisson et la violence.
Et puis bon, la liste est trop longue, et forcément incomplète. Il y a Bukowski pour la fange et l’illumination. Irving pour la dérision et la colère. Fante pour les rêves brisés. Updike pour l’Américain moyen et sa fuite en avant. Et moins connu, il y a l’excellent – mais parfois un peu aride – Richard Ford, dont le principal personnage, Frank Bascombe, décrit sa vie comme une carte postale: des paysages quelconques et des paroles plus ou moins insignifiantes au dos.
Mais bon, les auteurs, c’est bien beau, reste qu’il faut la fréquenter, aussi, cette Amérique. Faut s’y promener un peu. Et puis un jour, vous aboutissez dans un trou, et tout est là. En un symbole, un seul, au milieu de rien du tout.
Skowhegan, Maine. Une ville du Nord comme mille autres avec ses façades de briques délavées et de pierres sombres, des maisons qui semblent perdues dans la grisaille d’une journée de pluie d’été. Ici, une fabrique de chaussures de sport New Balance, et de l’autre côté du pont, sur Water Street, l’Empire Grill, un diner à l’américaine tout ce qu’il y a de conforme avec ses chromes, ses formicas.
Au coin, dans l’air lourd, un vieillard aviné trébuche sur sa propre ivresse. Tandis que nous stationnons la voiture, une copie carbone de ce bon vieux Frank Bascombe attend on ne sait qui assis dans son auto beige, parfaitement anonyme. Un type complètement décalé et à moitié nu m’interpelle en entrouvrant sa porte. Lui-même n’est pas certain de ce qu’il me veut, puis nous parlons, comme cela, de tout et de rien. La pluie, le Québec, mon accent qu’il qualifie d’imperceptible, ce qui est fort gentil. Son regard glisse parfois vers ma blonde qui nous observe, amusée.
Puis nous entrons dans le diner pour découvrir qu’il est lui-même une fiction. Un décor, fabriqué pour le tournage d’une série sur HBO (Empire Falls), puis transformé en véritable restaurant par la suite.
Voilà les États-Unis, quelque part entre le rêve et la réalité, toujours prêts à tordre un peu le réel pour lui faire rencontrer la fiction. Comme le discours de son nouveau président: trop beau pour être vrai?