Desjardins

L’attendrissant désespoir du bétail

Il y a pas mal de trucs atrocement gênants dans la tournure que prend le débat autour des droits des conjoints de fait. Une polémique qui émane de ce procès ultra médiatisé où s’étale impudiquement la misère des riches pour le plus grand plaisir des téléspectateurs.
Mais bon, peu importe le montant de la pension, sur le fond, tout le monde s’entend, ai-je encore entendu ce matin à la radio. C’est un débat intéressant, s’est même fendu le moineau qu’on tente en ce moment de plumer.
Sauf que ce n’est pas vrai: sur le fond, même chez les plus virulents défenseurs des droits des femmes, on ne s’entend pas sur la question. Ensuite, ce débat, on l’a déjà fait quelques fois. Et devinez qui s’est opposé à ce que les droits des conjoints de fait soient identiques à ceux des couples mariés. Les groupes de femmes!
Mais j’y reviendrai.
Parlons de la forme, d’abord. Oui, de la forme parce qu’elle mine ici le fond en disposant d’immenses grossièretés sur la place publique, posant quelques malodorantes bombes médiatiques ici et là en espérant que l’opinion publique puisse peser un peu plus lourd dans la balance de la justice.
Il faut dire que vous avez ici une avocate, Me Anne-France Goldwater, qui ne fait pas dans la dentelle. Pas du tout étrangère aux causes à fort potentiel d’exposition, on la décrit dans le milieu comme une sorte de pitbull. Ce qui, en cour, donne parfois un spectacle plus ou moins disgracieux. Comme lorsqu’on suggère que monsieur avait des problèmes de dope, et cela, afin de miner sa crédibilité, mais plus encore, sa réputation.
Voilà un portrait vite brossé et une anecdote purement cheap shot qui permettent cependant de mieux comprendre les choses.
Autrement, lorsque Me Goldwater prétend défendre toutes les femmes lésées par ce qu’elle considère comme une faille dans le droit, je suis partagé entre une envie de rire et un léger dégoût.
Le rire, parce qu’elle interprète très librement une statistique afin d’étayer son point de vue: s’il y a plus d’unions libres au Québec, c’est justement parce que cela permet aux hommes de s’extraire de leurs responsabilités. Et si c’était d’abord parce que les Québécois – et les Québécoises! – croient simplement moins au mariage, et qu’au-delà de cela, ils n’envisagent pas la loi dans son état actuel comme une source de problèmes? Et si ce que Me Goldwater considère comme un retard du Québec n’était pas plutôt l’inverse: une avancée?
C’est sûr qu’un notaire, c’est moins youpelou haï haï, mais ça coûte drôlement moins cher qu’un mariage. Et qu’un divorce.
Ce qui, d’une certaine manière, rejoint la position des groupes de femmes qui, à deux reprises, se sont opposés à des changements au droit*. Deux fois, dans les 40 dernières années (la dernière en 1989, lors de l’adoption de la Loi sur le patrimoine familial), ces féministes ont dit: les gens devraient pouvoir choisir. On devrait mieux les informer de leurs droits, mais ils devraient pouvoir décider eux-mêmes.
Donc finalement, y a-t-il vraiment un débat ici? Disons qu’il y a surtout quelques idées, un peu moins crédibles depuis qu’on les a maquillées comme des putes au bénéfice de la cour et des médias. D’où mon obsession pour la forme avant le fond.
Et aussi, mon dégoût.
Celui qu’inspire la grossièreté de toute l’entreprise.
La vulgarité de l’opulence étalée, des histoires de pitounes de l’ex. L’indécence d’une avocate et de sa cliente de venir défendre les droits de la laissée pour compte en récusant une offre de pension mensuelle à 38 000 $, soit moins que le salaire annuel de la plupart des femmes que l’on prétend vouloir défendre. Puis le mépris tonitruant de l’avocate, lorsqu’elle vient plaider dans les médias la cause de sa cliente, décrivant la partie adverse comme un exploiteur qui engrosse sa vache afin qu’elle lui donne des veaux, puis la laisse tomber.
Y a pas à dire, z’avez bien raison madame Chose. De nos jours, on traite bien mieux le bétail que les gens.

LA VIE – J’en étais à ces réflexions – sur les vexations que peuvent subir ces pauvres conjointes de milliardaires séparées, désormais incapables de se payer de nouvelles valises Louis Vuitton – quand je suis sorti de la bibliothèque Gabrielle-Roy.
À ma gauche, on avait complètement dépecé l’escalier roulant situé devant les guichets automatiques.
C’est drôle, la chose ressemblait justement à ce qu’il reste de l’amour après l’amour.
Avant, il y avait là un escalier beau et lisse dont le métal luisait, une mécanique ingénieuse dont le mouvement était splendide à voir, mais qu’on tenait pour acquis. La main courante allait de pair avec les marches portant ceux qui les empruntaient vers les hauteurs. Maintenant qu’on l’a éventré, il ne reste qu’une carcasse de l’escalier. Un cadavre. On n’en voit plus que la saleté, la graisse, la crasse.
Par ailleurs, le compresseur et les tuyaux pour pomper l’huile semblent intacts. Vous me suivez?
Pas grave.
Je suis sorti dehors, et tout de suite, je me suis senti bien. Vous arrive-t-il de vivre cela? Des moments de grâce, de perfection. Vous êtes en marge du monde, de ses malheurs, de vos propres malheurs. Du temps emprunté aux drames du quotidien, du temps béni.
Au café en face, la faune prévisible: deux touristes et tout plein de «locaux». Un grand mince à barbiche expose ses idées à une jolie brunette en battant l’air de ses mains, avec des mots qui claquent sur la langue comme des slogans politiques. J’entends le mot relève, on dirait qu’il dit: survie. La fille penche la tête et dévoile des boucles d’oreilles de gitane sous ses cheveux bouclés, les yeux bleus grand ouverts, le corps tendu vers lui, comme une envie. À côté, une fille et deux garçons échangent des mots avec la lassitude typique d’une conversation qui s’étiole. Comme de fait, deux minutes plus tard, ils se lèvent, s’habillent, et quittent.
À côté, un gars discute avec au moins 20 personnes en même temps sur Twitter. Je ne sais pas pourquoi, mais ce décor me convient parfaitement.
J’ouvre un des livres que je viens de prendre à la bibli, puis regarde dans le vide. Je pense à toi, à combien je suis heureux de t’avoir trouvée.
Dehors, tout est figé, sauf les volutes de vapeur qui sortent des bouches, des nez. Je retourne à mon livre, des poèmes d’Anne Hébert. Des vers parfois aussi secs et froids que la solitude, que cette journée d’hiver,

Tandis qu’une boule de feu
Derrière les nuages
Prépare sa lumière crue
Sans ménagement
Aiguise mille couteaux flamboyants.

*Source: Gazette des femmes, juin 2008, article par Annie Mathieu.