Desjardins

Crécelles, critique et sacs magiques

J’ai parfois l’impression d’être comme le maire Labeaume: un grand incompris.
Mais non, je ne déconne pas. Ou si peu.
Prenez ma chronique de la semaine dernière. J’écris un truc comme ça, à la bourre, j’ai pas très envie, ça arrive. Je le relis, le retouche, le zigonne, puis je l’envoie, convaincu qu’il s’agit là d’un texte tout ce qu’il y a de moyen et qui ne fera certainement pas de vagues ni rien.
Après tout, je m’y connais. Ça fait quoi, un peu plus de trois cents chroniques que j’écris ici?
Nah! J’y connais rien en fait, parce que depuis jeudi dernier, ça vrombit, ça floutche, ça sploutche, ça me tombe dessus comme une vague que je n’attendais pas, et que je regarde m’arriver en pleine gueule, ahuri.
Tout ça pour dire qu’on reparlera un peu de cette micropolémique à propos de la critique qui m’a valu tout plein d’éloges. Et ensuite, vous l’aviez deviné, du Saint-Roch du maire Labeaume et de ses détracteurs, avec en prime un peu de courrier du lecteur dans lequel le chroniqueur démonte le microculte dont il est l’objet.

LES CRÉCELLES – Il faisait tellement chaud lundi qu’il s’est mis à pleuvoir sur Québec: des millions de dollars qui tombaient du ciel pour irriguer la culture.
À part les casse-pieds médiatiques de service, qui s’en plaindra?
Pas mal plus de monde qu’on croit. Surtout lorsqu’il est question, comme le promet le maire, de faire de Saint-Roch un quartier complètement fou, quitte à repenser tout le mobilier urbain, ce qui ne nuira certainement pas à ce secteur qui souffre encore beaucoup, par endroits, d’indigence architecturale et urbanistique.
Tenez, peut-être étiez-vous en train de dégriser de votre 400e quand Le Soleil a publié ce courrier d’un lecteur de Cap-Rouge, le 3 janvier, décrivant le projet de Labeaume comme une «invasion barbare», les musiques rock et électroniques comme un liquéfiant de l’esprit et la contre-culture comme un antihumanisme, nous servant même, en guise de trou normand, du Alain Finkielkraut pour ponctuer ses propos de conard confit.
Un avis plutôt représentatif de toute une classe de citoyens figée dans une époque, et qui la regarde s’évanouir avec terreur. J’ai l’air de parler de vieux, mais il y a aussi tout un tas de jeunes vieux dans le genre. Nostalgiques d’un passé qui n’a évidemment jamais existé, ils croient qu’empailler la ville est une solution.
Ils sont plus nombreux qu’on le croit, tous ces gens qui craignent le bruit au centre-ville (!), et qu’y débarque la jeunesse maudite. Ceux qui tremblent devant le changement, vomissent une culture qu’ils ne veulent pas comprendre, et voudraient d’une ville inerte, tranquille comme la banlieue, jolie, propre, sécuritaire, et au goût d’autrefois si possible. Et qu’on roule les trottoirs le soir venu.
Bon, ils n’aiment pas le rock. C’est leur droit. Ils veulent quoi? La Callas? L’adagio d’Albinoni? Un rigodon? Ok, donnez-leur n’importe quoi, ce qu’ils veulent, on s’en fout, du moment qu’on les fasse taire.
Parce qu’il y a de vraies questions à poser ici. Par exemple: peut-on vraiment faire cohabiter la richesse et la pauvreté dans Saint-Roch? Et comment?
Mais en attendant, ces débats essentiels sont enterrés par un concert de vieilles crécelles.

M. SHOWBIZ – Vous me dites qu’une comédie qui fait rire atteint nécessairement son objectif? Moi je dis que ça dépend de quoi on parle. D’une ouvre ou d’un produit? Parce que s’il s’agit d’un produit, oui, ça suffit. S’il s’agit de cinéma, qui est aussi parfois un art (qui comprend le jeu, la mise en scène, la photo, l’écriture, le montage, la musique, etc.) et pas seulement un divertissement, ce n’est pas suffisant.
C’est à cela que sert le critique: prendre du recul, faire la part des choses.
Je dénonçais la semaine dernière qu’on fasse croire aux gens, pour des raisons marchandes, que tout le monde vaut le critique, et que le premier venu peut tout aussi bien écrire sur le cinéma.
Et vous? Vous vous sentez attaqués. Vous me sautez dans la face, à pieds joints.
Je persiste pourtant à dire qu’être critique, c’est un métier. Cela ne veut pas dire que plein d’autres gens dont ce n’est pas le métier en sont incapables. Seulement que, non, ce n’est pas pour tout le monde.
Avoir une sensibilité, une opinion, oui, ça, c’est donné à tous, mais d’apprendre à écrire avec un minimum de finesse, dans la contrainte (de temps et d’espace), et le plus justement possible, en tenant compte d’un million de facteurs qui vont bien au-delà de l’émotion, ça s’apprend, ça prend un bon bagage de connaissances, de la formation (sur le tas ou à l’école, on s’en fout), des boss et des pairs qui te surveillent, t’évaluent. Comme n’importe quel job, quoi.
Excepté peut-être animateur à Monsieur Showbiz.

MA VIE, MA VIE – «Je ne connais pas ta vie, mais j’envie celle que tu exposes à travers tes chroniques», m’écrit un lecteur. Il n’est visiblement pas au fait de mon emploi du temps de dimanche dernier où, en plus d’avoir lamentablement échoué dans ma tentative de poser un gradateur pour tamiser l’éclairage de la salle à manger, j’ai fixé une tablette dans le bureau, passé l’aspirateur, puis, en fin de journée, après avoir joggé une petite heure, suis allé faire les courses avec ma blonde.
Liste d’achats: une poussette, un nouveau cellulaire pour Sophie et un sac magique pour nos maux de dos plus ou moins chroniques de petits vieux trentenaires. Pour ce dernier, nous avons judicieusement choisi un motif splendide, avec chevaux sauvages et décors bucoliques, en vente chez Zellers.
Ma fille étant chez sa mère, je promenais la nouvelle poussette sans personne dedans. Ce qui ne manquait pas d’éveiller la curiosité des gens. À la boutique de cellulaires, pour les faire freaker, je leur ai répondu que ma fille était morte, mais que je ne m’en remettais pas bien, alors je me promenais avec la poussette pour m’aider à faire mon deuil.
Meuhnon, sots. Je n’ai pas dit ça, mais j’avoue que j’y ai pensé une minute.
Voyez, déjà, dans ma tête, ma vie est plus excitante. Imaginez quand j’en fais des chroniques