Desjardins

Révérence culturelle

Never complain, c'est déjà pas facile, alors imaginez pour un râleur.

Mais never explain, c'est juste pas possible.

Faut bien que je m'explique à nouveau, de toute manière, puisqu'il semble que chaque fois, je n'arrive pas à me faire comprendre tout à fait. Comme s'il manquait toujours un détail, un truc qui m'échappe.

C'est l'avantage quand on radote, peu importe l'âge: on finit par épurer sa pensée des fioritures et de ce qui dépasse inutilement pour ne conserver que l'essentiel et affûter un peu plus ses arguments.

Répétons-le, alors, puisqu'il faut le dire encore et encore quand on défend la culture, de peur de se faire traiter de sale élitiste: le sport et la culture répondent parfois de la même vibration. Un élan qui vise le cour. Une clameur. Il arrive même que le sport fasse partie de la culture. C'est le cas du hockey, ici.

Le baseball, le soccer? Me niaisez pas quand même… La pelote basque tant qu'à faire?

Autrement, il est aussi possible que sport et culture ne soient rien d'autre qu'un divertissement. Et pas toujours le plus édifiant.

Tenez, l'autre jour aux Remparts. Game ordinaire. Les gens parlaient entre eux plutôt que de suivre le match, ça mangeait, ça buvait. Il leur arrivait bien de sortir de leur torpeur, mais toujours avec un léger décalage sur la lumière rouge derrière le but ou le sifflet de l'arbitre. Sauf, évidemment, quand il était temps de garrocher des t-shirts d'un commanditaire dans les gradins entre les périodes. Là, tout le monde virait fou, criait plus fort que pendant la partie.

J'ai vu la même chose aux Capitales, une fois, mais pour gagner des pizzas: spectacle navrant.

Mais pas plus débile, c'est vrai, que les deux dindes aperçues au Téléjournal, alors qu'elles s'en allaient voir Céline pour la 22e fois. Pour elles, on achète la culture comme le fromage jaune orange en tranches: en format familial. Sans goût ni odeur, prédigéré de préférence.

Cela dit, une fois ces ressemblances établies, il y a d'autres fois où la culture et le sport, c'est pas pareil pantoute.

Fallait voir la gueule que tiraient les deux gars à CHOI quand ils m'ont invité l'autre jour et que je leur ai dit ça, justement: la culture, c'est pas toujours pareil, les boys.

Ah ouin, pourquoi?

Simplement parce que la culture, ça sert à expliquer le monde. À le montrer, à cartographier le relief étrange de la nature humaine.

Tiens, par exemple, je lis ce matin une chronique à propos du type de Piedmont qui a tué ses deux enfants. Pour s'expliquer le drame, c'est sur deux livres que s'appuie le chroniqueur. La Route de Cormac McCarthy et L'Adversaire d'Emmanuel Carrère.

La culture qui sert à nommer l'innommable, et nous aide à trouver un peu de sens dans ce qui n'en a en apparence aucun. La culture qui nous raconte des histoires pour mieux saisir les complexités de la nôtre, quoi.

Gentils, les gars de la radio m'ont regardé d'un drôle d'oil, mais sans trop rechigner quand je leur ai dit que les livres, la musique et le cinéma m'ont sauvé la vie, qu'ils me rattrapent encore quand je trébuche. Ils m'apprennent à vivre.

Mieux, la culture est une sorte d'éponge qui ramasse les trop-pleins.

Comme quand déborde la solitude, tiens.

Comme le jour où mon père est mort et que j'ai réécouté cent fois la même chanson de Beck dans mon auto, le volume au fond, immergé dans la douleur, hurlant tout seul les paroles dans l'habitacle, à l'abri du monde trop beau et trop chaud pour le frette en dedans. Vous dire le bien que cela me faisait chaque fois.

Après, je n'ai pas écouté la chanson pendant deux ans. Comme si elle était imprégnée de ce malheur, qu'elle devait s'en purger avant que j'y retourne enfin.

Anyway, je ne suis pas même certain de pourquoi je vous raconte tout cela, ni de ce qui m'a pris de revenir sur le sujet de la culture avec autant de décalage. Les questions des gars à CHOI l'autre jour? Oui, un peu. Mais cela fait quelques semaines déjà. Le discours ambiant, alimenté par quelques agitateurs populistes? Sans doute aussi. Peut-être est-ce le contrecoup de ce grand rassemblement sur la culture à Québec où on a beaucoup parlé de fric, d'emplois, d'essor économique provoqué par la culture, mais trop peu de ses effets à l'échelle microscopique, un humain à la fois?

Chose certaine, si j'en fais une chronique au complet, c'est un peu la faute à Dédé Fortin dont j'écoute en boucle la chanson Le Répondeur en écrivant ceci. Une crisse de belle toune. Parfaite.

D'une tristesse que l'on sonde, comme si c'était la nôtre. Et en plus, c'est rempli d'éclats d'un génie fragile, parfois joliment empruntés aux autres, comme ce vers repiqué à un mendiant: "La vie c'est court, mais c'est long des p'tits bouttes".

Pourquoi raconter tout cela, pourquoi l'écrire? Pour rendre hommage, tiens. Pour remercier Fortin, Beck, Desjardins (réécoutez On m'a oublié) et tous les autres.

C'est vrai, il faut tempérer un peu: ils ne font pas de miracles. La culture n'est pas une solution magique ni toujours synonyme de grand humanisme. Ni une panacée, d'ailleurs. Si c'était le cas, Dédé serait encore en vie, il aurait lui aussi été sauvé. Mais lorsqu'ils fouillent au fond d'eux-mêmes et exposent l'inavouable, les artistes nous permettent de nous sentir moins seuls dans un monde si souvent hostile à l'authenticité des sentiments qu'on doit se réfugier dans la vérité des autres pour vivre la sienne.

Preuve que Dédé s'est cependant trompé à propos d'au moins un truc: c'est pas vrai que "le monde entier veut juste savoir combien ça coûte".

Presque, mais pas encore.