Desjardins

Ménage de printemps

Pendant que les médias traditionnels et l'économie mondiale coulent en flammes au milieu du Saint-Laurent, je descends au fond des choses.

C'est la faute à ma chronique de la semaine dernière: j'ai passé quelques jours dans ma tête, dans mes souvenirs de lectures, et je me suis rappelé cette première phrase du Premier Épisode d'Hubert Aquin. Massacrée, ici, pour le simple plaisir de vandaliser une chose parfaite.

Cela dit, c'est pas vrai. Le fond des choses, je ne saurais même pas où le trouver. D'ailleurs, je le laisse à Aquin qui, depuis l'outre-monde des écorchés – où vient de le rejoindre Bashung -, poursuit sans doute son travail de sape d'une société obsédée par sa surface, justement.

Plutôt que d'aller au fond des choses, je me contente d'en égratigner l'écorce. Mes initiales, au canif suisse. C'est déjà bien assez.

Anyway, le seul fond qui m'importe, en ce moment, c'est celui de la boîte de courriels. Par là, j'entends que je prends des vacances, qu'il faut faire du ménage, à commencer par un tri dans vos réactions, nombreuses depuis quelques semaines. Plus qu'à l'habitude, en fait.

Étonnamment, ce sont deux chroniques aux antipodes qui vous provoquent ainsi.

La plus récente, sur les livres qui font aimer les livres, m'a valu quelques messages intéressants, et je m'y attendais, des suggestions. Des lettres de profs, évidemment, je m'y attendais aussi.

Parmi celles-là, une qui me provient d'un enseignant au cégep qui fait lire 99 Francs de Beigbeder à ses étudiants. Vous devinez qu'ils en redemandent.

"Pourquoi? C'est fort simple, m'écrit le prof. L'ouvre propose une vision lucide du monde dans lequel ils évoluent. Oui, oui, Beigbeder est cru, voire vulgaire, parfois misogyne et con. Mais n'est-ce pas le reflet de l'état de notre monde!? Ce qui est beau dans tout ça, c'est qu'à la suite de cette lecture, les étudiants me semblent de meilleurs citoyens. […] L'enseignement de la littérature par l'approche historique, c'est ben beau, mais encore faut-il que les étudiants aient une sensibilité et des connaissances, ce qui n'est pas vraiment le cas, malheureusement. Donc dans ce cas, le prof n'enseigne plus la littérature, mais bien l'histoire. En fait, je sais qu'il y a toujours un risque à mettre ce roman au programme, mais bon, plusieurs étudiants, à la fin de la session, affirment n'avoir jamais autant apprécié une lecture. Pour moi, là est la plus belle récompense."

Bon, j'imagine qu'il y en a qui grimpent dans les rideaux au ministère de l'Éducation en lisant cela. Même moi, j'ai eu une sorte de recul de surprise, je trouvais presque que c'était trop. Puis je me suis souvenu du bouquin: une charge hyper efficace à l'endroit de la société de consommation, de la pub, de l'image, de l'utilisation de la femme dans le processus de programmation du consommateur, et ça vient de l'intérieur, du milieu même de la pub.

Peut-être qu'avant de leur faire faire de l'histoire au passé, faudrait faire voir aux jeunes le monde dans lequel ils vivent, au présent. Pas pour sombrer dans la nostalgie, seulement pour créer l'envie d'autre chose en exposant le cauchemar.

Un "autre chose" incarné par Jacques Poulin, dont on m'a justement demandé pourquoi, si j'en parle en fin de chronique, il ne figure pas sur ma liste.

Ma réponse commence un peu brutalement: adolescent et jeune adulte, je détestais Poulin. On m'a fait lire Volkswagen Blues quand je venais juste de me taper la moitié de l'ouvre de Kerouac, et j'ai eu une réaction de rejet. Ouache, c'est ben plate. Aujourd'hui, je comprends mieux pourquoi. Quand t'es jeune, tu veux des grosses ivresses, des gros chagrins, des Dean Moriarty qui triturent leur pulsion de mort en déboulant à tombeau ouvert dans des autos volées. Tu veux du cul, de la dope, des musiciens de jazz qui se shootent. Tu veux cela, ponctué de réflexions poétiques, de vagues à l'âme, d'une quête de sens et d'amours condamnées.

Poulin fait exactement l'inverse. Son écriture est un vague à l'âme qui ne se permet presque aucune digression, et surtout pas d'exaltation. Ses livres sont une lente oscillation entre l'enchantement et le désenchantement. Bref, il faut avoir lu, et il me semble aussi avoir vécu, pour apprécier cette ouvre d'une extrême finesse où une beauté pudique se loge dans des phrases simples dont on ne sent jamais qu'elles sont le résultat d'un scrupuleux travail d'élagage.

C'est vrai. Poulin est un antidote à notre époque. Son allergie à la célébrité, son écriture discrète et ses personnages aux destins fugitifs sont un cache-sexe pour un monde qui n'en finit plus d'écarter les cuisses.

Et c'est exactement ce qui empêchera la vaste majorité des adolescents d'apprécier son travail. Avant de passer à cet "autre chose", il faut au moins en avoir envie.

PLUS VRAI QUE VRAI – Moi aussi, je suis un incompris, bon. Surtout quand je varlope Marc Simoneau.

"Vous l'avez échappée, celle-là", m'écrit un lecteur qui, parmi plusieurs autres, me reproche mon ton, mon agressivité, ma méchanceté, mon manque de savoir-vivre. Eh ben non. Je ne l'ai pas échappée. Si je déconnais? Bien sûr. Je ne pense pas que Simoneau soit vraiment un barbare. Seulement un clown qui s'ignore. Un effarant tapon.

Mais comme Régis Labeaume, qu'il défend sur toutes les tribunes, Simoneau "parle vrai". Et vous aimez vraiment beaucoup trop cette pseudo-vérité du discours pour faire la différence entre authenticité et vulgarité.

"Pour une fois qu'on a un maire qui dit les vraies affaires…" me tance un autre lecteur qui me reproche d'avoir condamné le discours manichéen de Labeaume aux militaires de Valcartier.

Je soupçonne que pour plusieurs, "parler vrai" se résume à répéter ce que vous pensez déjà, ou ce que vous souhaitez qu'on vous dise, vous, la majorité silencieuse. C'est pour cela que vous écoutez Bouchard vous reconduire dans vos petits préjugés en si grand nombre tous les matins.

Si ça vous chante, c'est cool. Lâchez-vous lousse.

Reste que plus ça va, et plus je trouve la majorité silencieuse assourdissante.