Desjardins

Radio nostalgie

Au détour d'une autre cruelle défaite du Canadien, cette pub où un marchand de mobilier et d'électronique propose un concours permettant aux gagnants de partir pour le Sud en compagnie de Sylvain Cossette.

Le chanteur y apparaît, dans toute sa blanche splendeur. Un petit couple de banlieue, interprété par d'anonymes comédiens, nous joue le bonheur indicible de rencontrer l'homme à la voix d'or, l'accueillant avec ostentation, les yeux dans la graisse de bine.

Et moi, je reste là, le regard perdu par-delà l'écran, silencieux. Telle atrocité publicitaire demande qu'on se recueille un peu afin de reprendre ses esprits.

Pourtant sûr de lui, le concepteur de cette promo en parle à un journaliste d'Infopresse en affirmant, sans ciller, qu'elle se démarque. Ah oui? Et de quoi, au juste? Tenez, il y a quelques mois seulement, la station Rythme FM envoyait des auditeurs assister à un spectacle des Lost Fingers dans un Club Med des Caraïbes.

En réalité, ce dont témoigne cette pub, c'est d'un réel désouvrement marketing. Ce qu'elle dit, c'est surtout le désespoir des détaillants en temps de crise, et la baisse du chiffre d'affaires comme vecteur du mauvais goût.

N'empêche, je vous parie ce que vous voulez que cette promo fonctionne à merveille. Simplement parce que les bons vieux trucs marchent presque toujours. Surtout quand on récupère une idée qui a fait ses preuves, qu'on la kétainise, la mononclise au possible, au point de la rendre parfaitement acceptable pour toute la famille.

À ce moment, on n'a plus affaire à une idée, mais plutôt à une formule, une recette.

Avec les médias, dont la crise va bien au-delà de celle qui affecte l'économie, c'est un peu la même chose.

Prenez la radio.

Celle de Québec publiait récemment les résultats de son sondage d'hiver. Ils confirment ce qu'on savait déjà: cinq joueurs du privé se partagent les cinq premières places, sans réelle domination. Au sommet, le 93 consolide sa montée au détriment de CHOI qui, elle, poursuit sa lente glissade, ponctuée de décisions d'affaires douteuses et de l'érosion d'un concept qui a perdu pas mal de ses plumes. Encore un peu et la station – qui dominait outrageusement le marché du temps où Fillion et Parent y sévissaient – sera dépassée par la Première Chaîne de Radio-Canada qui la talonne presque, avec une différence de seulement 13 000 auditeurs.

En comparaison, Énergie, qui arrive devant CHOI, compte 20 200 auditeurs de plus.

Après, on peut bien dépecer ces sondages de toutes les manières possibles. Exercice audacieux auquel se prêtent les directeurs des ventes dans les minutes qui suivent tous les BBM, et qui permet à chaque station de triompher devant ses clients et les agences qui placent de la pub chez elle.

Car si, dans les médias, tout le monde est numéro 1, c'est encore plus vrai à la radio. Énergie domine chez les consommateurs de boissons énergisantes qui affectionnent Lady Gaga. Rock Détente chez les secrétaires de bureaux de dentistes forcées d'écouter les 60 mêmes chansons depuis 10 ans, jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Maintenant, l'autre chose que nous dit ce sondage, c'est le succès de la recette évoquée plus haut.

À commencer par celle du 93, au sommet du palmarès, et particulièrement de l'émission matinale Bouchard en parle – dont je me moque souvent ici -, qui a littéralement repiqué toutes les idées gagnantes de la radio populiste. En fait, le succès de cette émission, c'est justement qu'elle brasse de l'air en donnant l'impression de brasser des idées.

On y prêche aux convertis, dans un format qui rappelle tout ce que vous avez entendu à la radio de Québec depuis 20 ans.

Le répondeur où les auditeurs appellent pour y étaler leurs doléances, auxquelles on répond ensuite en se mettant en valeur? Un classique. La ligne ouverte pour dénoncer ceci ou cela, ou témoigner en direct de telle aberration devenue la saveur du jour? Idem. La haine des méchants artistes subventionnés qui sucent le chèque de paye des honnêtes travailleurs que l'on agonit d'impôts? Suffit d'écouter CHOI cinq minutes pour entendre la même chose, mot pour mot. La tirade répétée ad nauseam sur la gogauche, les communistes, les péqwisses? Littéralement volée à Jeff Fillion. La dénonciation des profiteurs du système en tous genres (lire les fonctionnaires, les BS, etc.)? Du André Arthur patenté.

Ce n'est pas que Bouchard soit totalement dénué de talent. Sinon, il ne serait pas aussi populaire et ne parviendrait certainement pas à fâcher ses détracteurs de la sorte. Donnons-lui alors ce qu'il mérite: au rayon de la mauvaise foi et de la malhonnêteté intellectuelle, le type a sa place parmi les plus grands. Et il est vrai qu'il a le sens du spectacle.

Mais la radio qu'il fait n'a rien du choc des cultures que proposait Fillion, avec ce que cela comprenait de malheureux dérapages et de niaiseries proférées comme d'incontestables vérités. Sa talk radio est un lieu confortable où l'on vient chercher quelques certitudes dans un monde en crise. On reconduit tout le monde exactement d'où il vient, en évitant la nuance parce qu'elle donne rarement de "bons moments de radio", c'est vrai.

Tenez, au chapitre de la nuance, j'apprenais récemment à cette même émission que je suis pro-talibans. Une énormité épouvantable qui m'aurait peut-être un peu fâché si un certain Jeff Fillion ne m'avait pas déjà traité, avec mes collègues, de bande de "communistes pro-Ben Laden" (sic), il y a de cela sept ou huit ans.

Ce qui prouve une chose. Lorsqu'ils se défendent de faire de la radio poubelle, les gens du 93 ont bien raison.

Leur spécialité, c'est plutôt le recyclage.