Desjardins

De l’utilité de la fin du monde

Une pure merveille! Quelqu'un a eu la gentille idée de suivre le développement de la grippe porcine avec Google Maps: une carte du monde, constellée de petits phylactères qui pointent un peu partout sur le globe. Les bulles roses indiquant les cas suspects. Les mauves les cas de grippe porcine confirmés. L'absence d'un point au centre de la bulle mauve signifiant la mort d'une personne infectée.

Sur tous les sites de nouvelles en ligne, à la une de tous les journaux ou presque, des gens qui portent des masques chirurgicaux. Il y en a même qui se donnent des bisous. Trop cute.

Après le SRAS, la grippe aviaire, les attaques à l'anthrax, l'ADQ, le terrorisme néo-felquiste, Loft Story, le radon et les fromages artisanaux, nous voici aux prises avec une nouvelle menace de fin du monde.

Et déjà, on sent que nos médias vont nous la jouer dans le registre habituel, selon les réflexes développés au fil des ans. D'abord la menace du cataclysme dans toute son horreur en nous implorant cependant de ne pas céder à la panique. Ensuite, les témoignages de voisins dont les amis ont des cousins qui ont eu la grippe, puis enfin, il y aura les moments de tendresse, îlots d'humanité qui viennent ponctuer le chaos meurtrier.

Je ne devrais pas me moquer? C'est vrai. Mais comment faire autrement que de déconner quand chaque année ou presque amène sa promesse de cataclysme, produisant une sorte de porno de fin des temps où les acteurs – des présentateurs aux nouvelles – répètent sans cesse ce regard pénétrant d'inquiétude qui vous vrille l'âme depuis la plaque pixellisée des cristaux liquides.

Si si, une porno. Du genre qu'on regarde en gang afin de partager une même perversion.

Ici, nous contemplons la fin de la civilisation. Encore et encore, parce qu'on ne s'en lasse pas.

Les médias ont compris cela depuis longtemps. Et comme la décence empêche encore d'étaler de véritables scènes de cul pour attirer l'auditoire qui déserte peu à peu les médias traditionnels, le spectre de la mort collective constitue un excellent ingrédient de remplacement pour scotcher le public devant sa télé.

En fait, ce qu'il y a de purement merveilleux avec les promesses de tragédies mondiales ou les drames les plus sordides, c'est que les médias peuvent toujours se draper dans l'inattaquable droit du public à l'information pour étaler n'importe comment les faits.

Cela dit, nous sommes bien d'accord en ce qui concerne le droit du public à être informé. Sur le fond, tout le monde s'entend.

Sauf que le problème, ce n'est pas le fond, mais la forme. Une forme qui ressemble trop souvent à du racolage, et pas assez à de l'information.

Dans un autre registre, cependant aussi mortifiant, le cas du procès de Francis Proulx est un exemple du genre. Il paraît qu'on nous a épargné quelques détails scabreux. N'empêche qu'on ne pouvait faire autrement que de ressentir un certain malaise en parcourant les journaux où l'on consacrait parfois plus d'une page à la description pour le moins graphique des atrocités décrites lors des audiences.

Était-il nécessaire de savoir? Sans doute que si. Mais un peu de pudeur dans la présentation nous aurait au moins épargné l'impression d'avoir parfois affaire à une exploitation grossière du macabre.

Les réseaux de télé ne font pas nécessairement mieux. Leur arme favorite? Un vox pop pour sonder le niveau de peur de l'homme et de la femme de la rue, tout juste après les dernières nouvelles, livrées avec la nécessaire gravité, sur l'évolution du virus. Les analyses et les avis d'experts qui proposent de ne pas s'inquiéter attendront bien la fin du bulletin. Ici, on informe, mais on met en marché surtout.

De la même manière, on évitera de vous donner quelques chiffres qui remettent un peu les choses en perspective, soit les dizaines de milliers de morts que la grippe saisonnière cause chaque année, ou la malaria, chaque mois.

Holà, pas question de gâcher une bonne prévision de fin du monde. Ce serait trop bête.

Dans le confort de nos foyers, bien attachés dans nos voitures avec coussins gonflables, dans nos environnements sans fumée, dans un monde sûr, loin des périls, nous jouons à avoir peur.

Depuis la nuit des temps, c'est ce que nous avons trouvé de mieux pour nous sentir vraiment vivants. Mais dans un monde aussi dénué de risques, c'est devenu de plus en plus difficile.

Nous avons tenté de la remplacer par le centre d'achats, la branlette au salon de massage avec extra, l'escalade de glace, des pétards gros comme ça. Mais rien ne peut l'accoter.

Ne reste que la peur, celle de la souffrance et de la mort, inévitables, pour nous faire tressaillir jusqu'aux profondeurs de nous-mêmes.

Dans Tarmac, son dernier roman, Nicolas Dickner a parfaitement lu notre fascination du pire. C'est d'ailleurs le sujet qui sert de pivot à son excellent récit: l'apocalypse. Ce qu'il en dit? Il s'en moque, il croit que notre obsession pour la fin du monde est risible, et qu'elle trahit surtout notre absence d'humilité comme espèce, et comme civilisation.

J'ajouterai aussi que toutes ces idées de fins du monde grandioses, de bombes et d'épidémies nous permettent d'éviter de soutenir le regard des victimes d'autres plus petits cataclysmes, bien réels ceux-là, souvent sous notre nez.

La fin du monde n'est pas qu'excitante ou divertissante. Elle fait surtout diversion.