Desjardins

Mauvaise foi

Ce que je pense de ces bulles, de ces amibes bétonnées?

Je sais pas, bon.

Sérieusement, je ne sais pas quoi penser.

Juré, je n'ai pas d'opinion. Ou enfin, il m'a bien fallu la journée pour m'en faire une. Et encore…

Remarquez, cela m'arrive assez souvent. Je n'ai aucune opinion sur une multitude de sujets. La première chicane du couple Normandeau-Bonnardel? Rien à faire. Jonathan Roy coaché par Jeff Fillion? Si son père ira coacher le Canadien ou l'Avalanche? M'en tamponne le coquillard. Si vous saviez comme c'est reposant. Vous devriez essayer. Surtout quand vous ignorez tout d'un sujet, mais que cela ne vous empêche pourtant pas d'en penser du mal, ou du bien. Allez, je sais bien que cela vous arrive. J'écoute souvent Maisonneuve ou Pouliot le midi.

Pour revenir à nos décorations urbaines et pour tout vous dire, j'ai regardé au moins 20 fois les croquis de ces bulles, sorte de monstrueux caviar blanc dont on compte orner les moignons des bretelles démembrées de l'autoroute Dufferin. Et après? Rien, nada. Aucune réaction. En tout cas, pas un ouache. Ni un wow non plus.

Une incertitude, mettons. Une sorte d'incrédulité.

Puis est venu l'inconfort qui, lui, n'a rien à voir avec les croquis, mais trouve plutôt sa source dans cet extrait d'une entrevue avec la conceptrice du projet, Diana Cardas, où celle-ci affirme que "le béton démoli y prend sa revanche, il renaît sous sa forme originelle, la forme la plus stable et hydroénergétique, la forme à la base de toute vie, de notre existence et de notre univers, la sphère".

N'allez pas y voir une sorte d'anti-intellectualisme. C'est plutôt le côté soupe cosmique origine-de-la-vie-et-la-sphère-comme-symbole-de-notre-univers qui me tombe royalement sur les rognons. Un petit cours de croissance personnelle avec ça? Un séminaire sur le rebirth du béton tant qu'à faire?

J'en étais à me crinquer en lisant ces âneries dignes d'un ouvrage sur la numérologie thérapeutique quand je suis allé voir ce qu'on en disait sur Internet, de ce projet.

L'indignation, mes amis. La colère! 750 000 $ de NOS impôts – via Transports Québec, qui commandite le projet – pour une telle horreur, ai-je essentiellement lu, décliné de toutes les manières possibles.

Il y avait bien sûr de ceux qui mettent le projet en question, qui se demandent si du bois, ou des plantes, ou autre chose que du béton, ce n'aurait pas été préférable. Qui avancent que du béton sur du béton, c'est peut-être un peu trop. Ceux-là ergotent, asticotent, chialent un peu, mais au moins, on est dans le dialogue, dans la volonté de faire quelque chose.

C'est en lisant les autres que je me suis soudainement senti comme le maire Labeaume devant l'opposition: remonté, écumant, prêt à charger. Et plus je lisais, et plus je pompais l'huile. Je voyais tous ces gens répéter les rengaines pitoyables des mongols de la radio, et ce que je lisais entre les lignes, c'est que ceux-là sont contre tout.

Pas seulement contre de l'art actuel qui rompt avec le charme des vieilles pierres. Pas seulement contre le béton à la place des végétaux, du bois, ou même du métal.

Non, ceux-là sont contre tout. Ils seront toujours contre tout. Ils étaient contre le 400e dans son ensemble. Ils sont contre la fontaine de Tourny. Ils sont contre tout ce qui ne les concerne pas eux, personnellement, dans leur quotidien. Ils sont contre chaque patche d'asphalte sur laquelle ils ne peuvent rouler. Ils sont contre tout projet de société qui ne les touche pas personnellement et qui a un prix.

Je lisais leurs commentaires insignifiants, leur opposition stérile, leurs arguments fermés…

Puis je suis devenu pire encore qu'un Labeaume toqué, en furie. Non content d'être bien remonté, je suis devenu carrément bête.

En fait, je me suis pris à souhaiter qu'on réalise ce projet au plus vite.

Pas parce que c'est le meilleur, ou parce que je le trouve franchement génial.

Non, en fait, si je veux qu'on construise ces bulles au plus sacrant, c'est pour emmerder tous ces cons.

RESPECT – Ah qu'il est donc brave et tenace le bon Bernard Lachance, chanteur d'opérette-cheapette-vendeur qui vient tout juste d'atteindre son inaccessible étoile en se faisant inviter sur le plateau d'Oprah Winfrey, où tout le monde a pleuré un bon coup. Comme de raison.

Même ce bon bougre de Hugo Dumas se porte à sa défense dans La Presse, nous disant que le type mérite du respect pour son immense travail, pour sa persévérance.

Suis bien d'accord.

Bernard Lachance mérite le même respect que les scouts qui passent des journées entières à vendre des biscuits, des calendriers et du chocolat. Il mérite le même respect que les vendeurs itinérants qui tentent de vous fourguer des balayeuses, des dictionnaires, et quoi encore. Il mérite certainement tout le respect des ex-détenus qui tentent de vendre des stylos à bille ou des portefeuilles en cuirette. Il mérite aussi le respect que l'on doit à ces joueurs de basket du secondaire qui vous vendent du pain, des oranges ou des pamplemousses pour financer leurs tournois.

C'est vrai, Bernard Lachance est tenace. C'est vrai, il est audacieux.

Mais au-delà de cela, avez-vous écouté sa musique, ce qu'il chante, ses arrangements? Avez-vous vu son clip pour Oprah? Avez-vous entendu son discours pour faire pleurer d'émoi les ménagères?

Ce type mérite en effet du respect. Le même que tous ceux qui, comme lui, tentent de battre des records de vente de tartes à la crème.