Le danger, quand on fait partie de la minorité et qu'on cherche à imposer sa présence, c'est de se croire investi d'une mission divine. Et avec, d'une permission spéciale qui nous exempterait de tout civisme.
C'est souvent le cas avec les cyclistes.
Autre jour, donc, et autre théâtre quotidien du mépris de l'autre sur la route, dans une scène aux antipodes de celle qui introduisait la dernière chronique, dans laquelle je m'étendais sur le mépris des automobilistes pour les vélos.
Nous sommes cette fois mardi matin, un peu passé 8h. C'est à la fois le bonheur et l'horreur de l'été: les arbres explosent tous d'un vert croquant, le ciel bleu irradie les âmes… et partout, les travaux engorgent les artères, faisant du centre-ville un véritable noud de vipères autoroutier.
Devant le Musée national des beaux-arts, coin Grande Allée, la lumière tourne au vert, et au même moment, un cycliste qui ignore complètement la signalisation poursuit sa route et coupe ainsi les voitures qui, elles, doivent subitement freiner leur élan pour ne pas lui foncer dedans. Évidemment, ça klaxonne en chour pour signaler au cycliste qu'il a ostensiblement erré.
Réaction du garçon sur deux roues: plutôt que de s'enfoncer la tête entre les épaules pour signifier qu'il s'excuse de son erreur, il les envoie chier. Un beau grand doigt levé vers le ciel en les regardant droit dans les yeux.
Assis dans mon auto, j'ai soupiré: ah le con. Encore un de ma gang qui ne sait pas vivre. Encore un qui contribuera à la haine du cycliste.
Lui, ce qu'il pense? Gageons qu'il est convaincu qu'il est dans son droit, ou enfin, il se sent probablement justifié d'agir ainsi: les voitures n'ont qu'à mieux regarder, je fais ce que je veux sur la route, se dit-il sans doute.
J'imagine ce qui se trame dans sa tête, mais pas tant que ça. Car je connais cette manière de penser qui fut autrefois mienne. Il faut bien le dire: dans cette vie, j'ai souvent été con, mais à vélo, j'ai parfois dépassé les limites acceptables de l'imbécillité.
Pourquoi en venir là? Pourquoi agir en mongol décérébré? C'est compréhensible en même temps que, je le sais aujourd'hui, c'est inexcusable. Et surtout parfaitement inutile.
Reste, comme je le disais, que cette attitude assez répandue chez les cyclistes s'explique, de la même manière qu'on peut, si vous me permettez une comparaison épouvantable, expliquer le terrorisme.
Car bien qu'un océan de bêtise humaine – et surtout de cruauté – sépare les deux phénomènes, ils répondent tous deux à une même situation: celle de l'oppression.
Je vous répète qu'il ne s'agit pas d'excuser quoi que ce soit, mais d'expliquer.
Ainsi, comme plusieurs amateurs de vélo, j'ai non seulement subi le manque de vigilance de certains automobilistes, mais aussi leur haine viscérale. On m'a parfois tassé, suivi de si près que j'aurais pu me tourner et toucher le capot de l'auto. On m'a insulté, hurlé dessus, on m'a même volontairement fait foncer dans des obstacles. Et là, je ne compte pas les innombrables portes de voitures qui se sont ouvertes devant moi, les autobus qui m'ont écrasé entre la rue et un trottoir bondé de monde (donc impossible de sauter dessus) et tous les autres accidents que doivent éviter les cyclistes qui font face à un monde motorisé qui se moque littéralement d'eux, tout simplement parce qu'il est plus gros, mieux protégé. Simplement parce qu'il le peut.
Le mépris attirant le mépris, tu te mets à détester les automobilistes. Tu décides que tu vas prendre la place qui te revient, que tu vas les emmerder comme ça te chante. Bref, quitte à en traumatiser quelques-uns qui ne t'ont rien fait et qui sont peut-être tout à fait respectueux des cyclistes, tu vas te garrocher dans le trafic n'importe comment, au péril de ta santé.
Cela dit, on a beau exposer les racines du mal et sonder cette colère, ça n'excuse rien.
Et puis avouons-le, c'est d'une connerie abyssale, au fond. Comme si les femmes se mettaient à volontairement mal conduire pour emmerder les machos qui conspuent les femmes au volant.
Agir en paria nuit à la cause, augmente le phénomène de stigmatisation des cyclistes, bref, cela ne fait rien avancer. Sinon peut-être qu'on y trouve une petite satisfaction puérile.
Surtout qu'au fond, quand on y pense, on peut facilement désobéir sans nuire: ce qui résume un peu mon idée du civisme sur la route. Une idée sans doute partagée par les services de police, qui font preuve d'un laxisme dont il serait bête de ne pas profiter.
Par civisme, je n'entends donc pas un respect scrupuleux du code, mais bien des autres utilisateurs de la route.
Par exemple: à vélo, je n'attends pas toujours aux lumières jusqu'à ce qu'elles changent en ma faveur. Mais j'arrête, longtemps, et vérifie que je peux bien passer en toute sécurité, sans forcer de voiture à freiner non plus, puis j'y vais. Aux arrêts, je ralentis considérablement, jusqu'à m'immobiliser presque complètement, et m'adonne au même type de vérification avant d'avancer. Autrement, j'évolue dans le même sens que les voitures, mais je prends ma place et refuse de m'écraser dans les trous qui ponctuent régulièrement la bordure de la chaussée. Les trottoirs? Je ne les emprunte qu'à très basse vitesse, si j'y suis forcé, en évitant scrupuleusement de faire peur aux piétons s'il y en a. Quelques excuses et des sourires font habituellement l'affaire.
C'est tout l'esprit de la chose: quelques sourires, un peu d'humilité. Du respect.
Cela ne m'empêchera pas de frapper sur le toit des voitures qui me coupent ou m'ignorent bêtement au risque de me blesser. Ni de hurler ma présence à ceux dont le radar oculaire ne repère que les engins de plus de deux tonnes.
Mais le reste du temps, je préfère partager la route plutôt que le mépris de ceux qui se croient tout permis.
Car c'est là, dans cette dynamique malsaine, que réside tout le problème. C'est là que se situe le point de rupture du vivre ensemble:
Dans cette intime et violente conviction d'avoir raison, quand au fond, tout le monde a tort.
DD,
À la suite de la lecture de votre chronique de la semaine dernière, j’ai pensé que vous étiez «one track minded» et que mis à part les cyclistes, tous allaient dans le mauvais chemin.
Je suis heureux cette semaine de trouver un envers de la médaille.
J’apprécie que vous insistiez sur la notion de civisme
Malheureusement, dois-je, pour paraphraser l’autre, dire que «le civisme est si bien partagé que chacun en a très peu».
J’espère qu’à la lecture de vos deux chroniques, chacun développera et mettra en pratique le civisme qu’il a. C’est comme des rosiers sauvages ensuite: ça pousse allègrement et ça envahit. Mais c’est un envahissement bien agréable, à la fois pour soi-même et pour les autres.
Merci de nous forcer à réfléchir et de penser qu’avec nous, il y a les autres qui ont le droit de vivre. Et d’aller en bicyclette ou en en voiture ou tout simplement de marcher. Chacun sur sa voie.
DD,
À la suite de la lecture de votre chronique de la semaine dernière, j’ai pensé que vous étiez «one track minded» et que mis à part les cyclistes, tous allaient dans le mauvais chemin.
Je suis heureux cette semaine de trouver un envers de la médaille.
J’apprécie que vous insistiez sur la notion de civisme
Malheureusement, dois-je, pour paraphraser l’autre, dire que «le civisme est si bien partagé que chacun en a très peu».
J’espère qu’à la lecture de vos deux chroniques, chacun développera et mettra en pratique le civisme qu’il a. C’est comme des rosiers sauvages ensuite: ça pousse allègrement et ça envahit. Mais c’est un envahissement bien agréable, à la fois pour soi-même et pour les autres.
Merci de nous forcer à réfléchir et de penser qu’avec nous, il y a les autres qui ont le droit de vivre. Et d’aller en bicyclette ou en en voiture ou tout simplement de marcher. Chacun sur sa voie.
À chaque début d’été, nous entendons beaucoup parler de petite guerre vélo/auto dans les différents médias. Cependant, en ce qui a trait aux piétons, je parle surtout ici des résidents et travailleurs du centre ville, l’intérêt semble moindre. Est-ce dû au fait que ceux-ci soit encore plus inoffensifs ?
Depuis environ 2 ans, à chaque fois que je traverse aux principales intersections (Charest/De la Couronne, Charest/Dorchester, sur René Lévesque/Cartier, et beaucoup d’autres…) je constate l’effet de ce qui semble une nouvelle mode : bruler les feux rouges. Une, deux, parfois quatre voitures passent délibérément devant les piétons, après que le feu jaune soit tourné au rouge et parfois même devant le regard des policiers qui ne font absolument rien. Moi qui croyais que le feu jaune indiquait au conducteur qu’il doit obligatoirement ralentir, qu’elle n’est pas ma surprise de constater que le code de la sécurité routière semble avoir changé dans la tête de mes concitoyens.
Nous avons tous pu observer une mère de famille expliquer à son enfant qu’il devait attendre le ‘’petit bonhomme’’ avant de traverser la rue. Allons-nous attendre de voir un enfant qui se sent en sécurité parce qu’il connait les consignes, s’élancer en courant devant un automobiliste qui prend pour acquis que le feu rouge permet à une ou deux voitures de passer ? Bien sûr, la sensibilisation des enfants revient aux parents, mais une responsabilité civile, ou simplement un civisme qui devrait être évident même en dehors du respect de la loi, revient aux individus qui se déplacent dans ces machines qui peuvent blesser, voir tuer un piéton.
Québec est une ville d’automobilistes, ils règnent ici en maîtres incontestés à un point tel que leur règne n’est même pas questionné ! Contrairement aux cyclistes qui sont parfois téméraires, le piéton sait qu’il est vulnérable. Je remarque qu’absolument AUCUNE sensibilisation n’est faite sur la route, près des intersections, ni aucune surveillance, ni aucune punition puisque des policiers se trouvent souvent sur place et semble juger bon de les laisser faire. Peut-être faudrait-il rallonger le temps que les piétons ont pour traverser aux intersections puisque plusieurs secondes sont grugées par ces gens trop pressés. Une chose est certaine, nous aurions intérêt ne serait-ce qu’à reconnaître qu’il y a un problème.
Il y a l’automobiliste envers le cycliste et le piéton et le cycliste envers le piéton. Il faut avoir marché sur des pistes cyclables pour savoir que beaucoup de cyclistes se sentent imbus du même pouvoir d’écoeurer tout simplement parce qu’ils sont sur deux roues au lieu de deux pattes. J’extensionnerais même ça aux skieurs versus les piétons car ça arrive de marcher dans une piste de ski de fond sur les côtés. Il semble que lorsque tu es plus gros, plus haut, tu te sens plus fort et te crois tout permis. C’est une des raisons, ça n’enlève rien au manque de civisme. Même de piétons à piétons, les gens se rentrent dedans aujourd’hui. Ils ne se tassent pas. Ils sont seuls au monde. C’est aussi l’expression de notre monde individualiste. Les gens à Québec sont stressés pour rien et n’ont pas de raison. Par chance qu’ils ne demeurent pas dans une grande ville.
Lorsque je suis en voiture, j’ai de l’indulgence pour les cyclistes, je les trouve bien braves de s’aventurer ainsi dans le trafic, avec les autobus, les nids de poule et tout… Mais lorsque je suis à pied, JE LES ABHORRE, surtout depuis qu’y en a un qui a failli rentrer dans ma gamine de 3-4 ans alors que nous traversions à un passage piétonnier, pendant le «ptit bonhomme» pour piétons, avec un brigadier en plus(!!), ce sur St-Jean, de surcroît juste en face de l’école primaire(!!!!)
Alors depuis ce temps, je rebats les oreilles de mes gamines qu’il faut non seulement attendre le ptit bonhomme pour traverser mais aussi regarder 4 fois des 2 côtés de la rue pour voir si y a pas un fou furieux en vélo qui s’en vient ou une auto qui vire impunément à droite sur feu rouge…
Pourquoi les cyclistes urbains doivent-ils toujours rouler à tombeau ouvert comme des coursiers à vélo enragés? Un jour j’ai donné des directions à un africain à vélo qui me demandait son chemin, vers l’université Laval ou Place Ste-Foy. Puis nous avons continué notre chemin, moi à pied, et lui en vélo… lentement, sur le rythme «promenade sans aucune presse», tellement pas pressé, même s’il se déplaçait vers un but précis, tout le contraire de nos cyclistes!
Bonjour
Une fois de plus, les commentaires m’aident à « pédaler », voire rouler sur le chemin de ma propre réflexion…
Ayant atteint un âge vénérable en tant que piéton à Québec, 35 ans, combien de fois ai-je failli me faire ramasser en traversant à une intersection maudite ? Je ne les compte plus. Moi aussi je fus con et l’est encore, mais dernièrement j’essaie de mettre en application la meilleure règle de civisme qui soit : le gros bon sens. Et ce que j’apprécie, c’est de voir que ce gros bon sens, qui est malheureusement en perte de popularité dans un monde où pourtant l’Éthique, sa grande soeur froide, austère et aride, tyrannise tout et chacun parce qu’elle est à la fois partout et nulle part, semble encore partagé par les lecteurs et ledit chroniqueur.
Le problème, c’est que le gros bon sens nécessite un travail à temps plein, de la petite enfance jusqu’à l’adolescence sans oublier l’âge adulte. Il sollicite du temps, de l’intériorisation et surtout de l’humilité, vertu rare dans un supposé monde de savoir et de connaissance comme le nôtre. Somme toute, je pourrais m’étendre encore longtemps au risque d’ennuyer les lecteurs, mais comment il est plaisant en voiture de signaler, avec sa main, que l’on cède une partie de la voie à un cycliste et que ce dernier nous répond avec un sourire. On a ainsi l’impression qu’il est possible de bien vivre ensemble et de même commencer sa journée du bon pied !
Autos, vélos, piétons… il ne faut surtout pas oublier qu’il y a des humains derrière le volant, le guidon ou dans les godasses…
Je ne crois pas que ce soit de la frustration, c’est une question de culture je dirais… la culture du « jemenfoutisme », là où des éclairs surgissent dans la cervelle de « l’être suprême » (celui qui estime qu’il est seul sur le chemin et que tous les obstacles lui doivent respect).
Pour ceux qui ont de la difficulté à contrôler leur « Moi suprême », essayer de voir les autres comme s’ils étaient vos clients (si vous êtes commerçants), ou votre future blonde, ou futur blond (si vous manqué d’amour), ou votre futur patron si vous chercher du travail, etc. En regardant la personne elle-même plutôt que la « patente » qui se déplace, vous pourriez découvrir le bonheur sur la route et surtout vous aurez l’air civilisés.
Et, même à vélo ou à pied, un feu rouge = arrêt complet. ;-)
Pour ceux qui subissent la affres des « être suprêmes », il y a des plaques d’immatriculation derrière les autos, et il ne faut pas se gêner de téléphoner à la police… quand les appels deviendront plus fatigants pour eux que de ne rien faire, ils feront quelque chose. ;-)