Desjardins

Un été de cocus

Le problème, ce n'est pas seulement le mauvais temps, les nuages lourds, la demi-obscurité, la pluie, les nuits froides et les grêlons. Le problème, c'est cette météo qui joue avec nos nerfs. Un ciel aux humeurs changeantes, instables, prêt à verser toutes ses larmes pour un oui ou pour un non. Un soleil d'agace remplacé par une moue chagrine. Une vraie fille.

Se sentant de plus en plus haïs, les météorologues s'empressent de nous expliquer de mille manières possibles les raisons de ce printemps en été, de ce mois de mai en juillet, précisant qu'il ne pleut finalement que quelques heures par jour, qu'il faut consulter les prévisions du jour, mais morcelées en blocs horaires.

N'importe quoi. Ça ne tombe presque jamais à l'heure où ils prévoyaient qu'il allait pleuvoir. Toujours un peu avant, toujours un peu après, toujours quand je sors avec mon vélo, viarge.

Dans la métropole, c'est pire encore qu'ici. Dévastés par le mauvais temps, les Montréalais se cherchent des hobbies, des occupations, n'importe quoi pour se changer les idées. C'est comme ça qu'on se retrouve avec une manif pour le retour de Kovalev au Centre Bell.

J'ai l'air de déconner comme ça, mais seulement à moitié.

J'ai dû rouler pas loin de 1000 kilomètres sous la pluie depuis le printemps. La mécanique en prend un coup. Et le moral aussi. Pour dire vrai, je n'en peux plus. Partout, tout le temps, où qu'on aille, c'est le premier sujet de conversation. Surtout en ce moment, en plein Festival d'été. Cela va si mal que j'en suis rendu à écrire sur le sujet, moi qui déteste quand les médias s'étendent sur le temps qu'il fait. Chez nous, c'est la déprime. Ma fille de quatre ans regarde ses petites robes accrochées dans la penderie en me demandant, penaude: coudon papa, c'est bientôt l'été ou quoi? Elle me dit ça avec cette gueule qui signifie: tu m'avais promis que ça devait être maintenant, l'été, gros menteur. Et je me sens presque coupable.

Hier, en m'étirant devant la télé, je suis tombé sur Dr Phil. Savez, ce psy à la gomme qui rencontre des gens et leur dit ce qu'ils doivent faire de leur vie après cinq minutes? Il était un invité très populaire chez Oprah, ils ont fini par lui donner son show à lui il y a déjà plusieurs années.

Eh ben hier, pendant que je faisais des sparages sur mon gros ballon bleu, Dr Phil disait à ce mari cocu qui avait eu le courage – ou l'inconscience – d'atterrir sur son plateau qu'il devrait se prendre en main, et que si sa femme ne changeait pas, il devrait la quitter.

C'est exactement la même chose avec la météo, ai-je songé.

Le problème dans ce couple, ce n'est pas que la femme couche avec d'autres hommes. C'est qu'elle ait promis qu'elle ne le ferait pas et qu'elle le fait pareil.

De même que le problème ici, c'est pas le mauvais temps, c'est la promesse de beau temps que l'été ne tient pas. Le problème, ce n'est pas qu'il pleut, qu'on ne peut rien prévoir, que ça change tout le temps et que les météorologues font des prédictions aussi fiables que celles de la cartomancienne au marché aux puces Jean-Talon.

C'est plutôt qu'on se sent tous trahis, comme cocufiés par l'été.

ENCORE DES COCUS – Évidemment, comme il fait pas beau, que vous êtes pris à l'intérieur, vous voulez savoir quoi lire cet été. Sauf que je ne suis pas tellement "lectures d'été". Je ne bronze ni idiot ni particulièrement brillant d'ailleurs. Je bronze en fermier. Des poignets jusqu'au milieu des biceps, suis tout brun, et le reste, blanc comme une meringue. Juré, à poil, ça vaut le coup d'oil.

Les livres, donc. Des lectures, mais pas nécessairement d'été. Des lectures tout court. Mieux, des lectures à éviter, ou plutôt une seule: le dernier Paul Auster, Dans le noir. Cela vous évitera de déprimer encore plus.

J'en avais fait la critique au printemps, et je le vois encore partout dans les présentoirs en librairie, me doutant que si c'est Auster, vous l'achetez, peu importe ce qu'en dit la critique qui, on le sait bien, est composée d'imbéciles blasés. Sauf que c'est un fan qui vous dit que c'est un très mauvais Auster. Le récit est bof, la petite touche de merveilleux qu'on aime chez lui semble plaquée, un peu nounoune. Le type du Devoir a beaucoup aimé ça à cause du sous-texte sur le pouvoir de la littérature, mais les essais les plus brillants déguisés en romans un peu ratés demeurent des romans un peu ratés.

De mon bureau à la maison, je le vois rangé dans ma bibli. Il m'énerve. Depuis quelques jours, je me demande même si je ne vais pas le rapporter au bureau pour l'y laisser traîner à jamais. Pourquoi tant de haine? En fait, je ne comprenais pas pourquoi j'en voulais tant à Auster d'avoir merdé jusqu'à aujourd'hui.

Il était un des auteurs favoris de mon père. Par lui, mon père et moi avons communiqué. C'était un de nos premiers sujets de conversations post-adolescentes, un rare véritable point commun entre lui et moi.

C'est un peu le problème avec les écrivains qu'on aime et qui changent nos vies. Quand ils ne tiennent pas leurs promesses, on se sent un peu cocu là aussi.