Desjardins

Y en aura pas de facile

Cela fait des heures que je réécris le début de ce texte et je n'en finis plus de ne pas savoir par où prendre cette histoire qui me décourage parce qu'elle me reconduit, pour une énième fois, dans mes plus exécrables certitudes.

C'est que la controverse autour de la lecture du manifeste du FLQ au Moulin à paroles stigmatise tout ce qui ne va pas chez nous sur le plan des idées.

L'éternelle opposition entre fédéralistes et nationalistes, dites-vous? La guerre Québec-Montréal?

Et si seulement c'était aussi simple…

En fait, le problème ne vient pas des idées, mais de ceux qui les piratent, les détournent et en font leur fonds de commerce. Il en va de mes animateurs de radio favoris comme des politiciens aux manières un peu cheap qu'on place, sans qu'on comprenne pourquoi – puisqu'ils sont loin d'avoir inventé l'eau chaude -, à des postes prestigieux. Ministre responsable de la région de la Capitale-Nationale, genre.

Cela dit, tous camps confondus, l'ensemble de ce qui a été dit autour de la lecture du manifeste du FLQ dans le cadre de cet événement relève soit de la récupération politique, soit de l'aveuglement volontaire, soit de la pensée magique.

Dans sa récupération politique, on retrouve le dégoût aussi opportuniste que prévisible des chantres du fédéralisme que sont les Charest et Coderre. Le premier, toujours courageux, y voit l'occasion d'attenter à la popularité vacillante de Pauline Marois et des péquistes. Le second se sait déjà en campagne électorale et reprend ainsi son rôle de chef scout du Canada uni à tout prix.

Sinon, au rayon de l'aveuglement volontaire, notons le discours jovialiste des Kotto et Duceppe qui semblent ne pas voir où se trouve l'irritant. Et chez les adeptes de la pensée magique, les propos parfois navrants des organisateurs du Moulin qui déplorent la tempête politique, alors qu'on les trouve quand même drôlement tapons – ou hypocrites – de prétendre qu'ils ne l'ont pas vue venir.

Tout cela pour dire un truc ou deux qui relèvent, j'ai presque honte de le souligner, du gros bon sens:

D'abord, que la lecture du manifeste du FLQ a parfaitement sa place dans cet événement. Bien plus, à mon sens, que les recettes de Jehane Benoît qu'on y entendra aussi. Mais bon, y a 24 heures à combler, je comprends qu'on fasse du remplissage.

Pourquoi faut-il lire ce manifeste? Le raccourci, c'est de dire que cela fait partie de l'histoire, mais la version plus étoffée de ce raccourci, mettons, c'est de spécifier que le FLQ est une conséquence directe de la conquête. Il est issu d'une époque d'émancipation où les nationalismes et les anticolonialismes se déclinaient sous toutes les formes possibles, répondant souvent à la répression par la violence aveugle. C'est donc une page noire de notre histoire qui mérite d'être lue, qui doit être lue.

Mais elle demande une mise en contexte. Plus, en tout cas, qu'une recette de Jehane Benoît. Et bon, comme l'événement dure 24 heures, on a le temps, non?

Voilà pour le fond. Mais il y a aussi la manière.

En réponse à la censure imbécile, la conjointe de Luck Mervil, qui lira le texte litigieux, disait espérer qu'il le fasse "avec fougue"*. Autant dire: en étant frondeur, baveux. Ce serait évidemment une monumentale niaiserie, un enfantillage qui donnerait raison aux détracteurs de cet événement.

Il faut lire les mots en mesurant leur poids. Et ceux-là commandent qu'on les soulève un à un, comme de grosses pierres, avec lenteur et prudence, sachant qu'en dessous grouille, comme un tas de vers, le souvenir visqueux d'une erreur irréparable.

L'IGNORANCE – Ma collègue Josée Legault déplorait cette semaine sur son blogue l'ignorance crasse qui exsudait des réactions épidermiques de nos élus dans cette affaire.

Je souhaite qu'elle ait raison. Je veux dire que j'espère sincèrement que les Hamad, Charest et autres soient seulement d'ineffables totons. Mais je n'y crois pas vraiment. C'est ma nature parano quand il est question de politique, je vois plutôt en eux de vils manipulateurs.

Dans un cahier spécial en fin de semaine, Le Devoir faisait le point sur l'alphabétisation au Québec et au Canada.

Le rapport avec la politique? J'y viens.

Dans ce dossier, on décline les plus affligeantes statistiques pour une société où l'on oblige les enfants à fréquenter l'école jusqu'à 16 ans: 49 % de la population active du Québec éprouve des difficultés de lecture.

En gros, cela signifie que la moitié du Québec est incapable de décoder un texte un peu compliqué, d'en extraire les principales idées.

Imaginez quand ces idées sont détournées par les plus efficaces pirates de la politique que sont les spin doctors**. Imaginez quand il s'agit de reprendre une statistique, une déclaration, et de la reformuler à son avantage, puis de répéter assez souvent ce mensonge pour qu'il devienne une vérité. Imaginez, alors, comme il devient facile de tromper cette moitié de la population qui n'arrive pas à comprendre ce que vous lisez en ce moment.

Comme quoi cette ignorance entretenue par l'échec des gouvernements en matière d'éducation les sert admirablement.

Et ça, c'est sans compter tous les cons qui savent parfaitement lire mais qui ne demandent qu'à se faire dire ce qu'ils veulent entendre.

Eh misère… Et dire qu'une autre campagne électorale se pointe justement le bout du nez…

Dans L'Hiver de force de Ducharme que je suis en train de relire, ses personnages de perdants magnifiques André et Nicole reprennent pour leur compte les paroles de Charles Gill: je suis un désespéré mais je ne me découragerai jamais.

Bon ben moi aussi et moi non plus d'abord. Mais comme dirait un Jacques Demers à son entrée au Sénat: y en aura pas de facile.

* Lu dans la version cybernétique du Soleil

** Expert en relations publiques dont l'unique objectif est de faire briller un politicien, la manière comptant pour bien peu