Desjardins

À quoi bon hurler?

Oublions l'indéniable couleur politique de la chose pendant deux minutes.

Anyway, est-ce que quelqu'un, quelque part, a un instant douté qu'il en serait autrement, et qu'un événement organisé afin de répondre à l'anniversaire de la Conquête par des textes qui disent l'histoire du Québec serait autre chose que fondamentalement nationaliste et souverainiste?

Sur place, cependant, c'était assez difficile à dire. Enfin, les applaudissements et les quelques ovations (dont celle réservée à Bernard Landry) trahissaient bien sûr l'allégeance politique ambiante.

Mais dans l'ensemble, je n'ai vu qu'un drapeau des patriotes flotter un moment, puis quelques fleurdelisés. Trois en tout.

À la fin du texte du Ô Canada, pas une huée n'est venue ternir les quelques applaudissements polis, tellement retenus qu'on se serait cru à un tournoi de golf.

Sinon, il y avait là toutes sortes de monde, dont pas mal de curieux.

Comme nous, qui nous sommes assis dans l'herbe, pour écouter un peu moins d'une heure de mots.

On savait un peu à quoi s'attendre. Déjà, avant de venir, on avait regardé la retransmission en direct à Vox. Mais à la télé, impossible d'entendre les murmures de la foule, de respirer les odeurs. Ni de voir la madame à côté écluser une bouteille de vin, un petit garçon empaler son drapeau du Québec dans l'oil de sa grande sour ou le couple, derrière nous, qui inhalait le contenu de sa boîte de poulet.

Impossible, aussi, de sentir dans la télé l'humeur générale d'un public pacifique, attentif, et surtout silencieux.

Si nous étions nombreux? Nous devions être quelques centaines, tout au plus. Sans doute la foule la plus importante de toute la durée de l'événement. C'est peu, vous dites? Et pourtant, c'est tout un exploit.

Oublions la couleur politique de la chose, disions-nous au départ, et concentrons-nous sur tout le reste.

Il n'y avait là que du monde qui lisait des textes, dehors, pendant 24 heures. C'est tout. Pas de sparages, pas de scratch vidéo, pas d'acrobates, de jongleurs, de cracheurs de feu, de vedettes de la chanson populaire… et pas de Normand Brathwaite ou de Guillaume Lemay-Thivierge pour venir danser, sautiller, trépigner, glousser, jouer du tam-tam et glapir.

Juste des textes. Et beaucoup de bons, et des pas faciles. Pontiac, Toqueville, De Lorimier, Dumont à propos de Riel, Ducharme, Pierre Morency, Tremblay, Denis Vanier (yesssse!), Mavrikakis, Desbiens, Denise Boucher, Miron bien sûr, et Nelligan, évidemment.

Un exploit, disions-nous. Dans ce monde dont on déplore si souvent qu'il est perdu, abruti à jamais par le divertissement, poule-aux-oufs-d'orisé jusqu'à l'os, j'ai pris l'apéro de samedi et soupé en regardant des gens lire des textes d'ici à la télé, sans pause publicitaire. Puis j'y suis allé, et nous étions alors quelques centaines à écouter sans hurler, sans caler de la bière comme des animaux, sans beugler.

Un silence qui ne relevait pas du recueillement, mais simplement du respect. Et pas seulement du texte, mais des autres autour. Notez l'étrangeté de tout cela dans un monde de McDivertissement, de "et moi, et moi, et moi", et voyez ces gens qui cèdent pendant un temps à l'émoi, qui se la ferment.

Trouvez pas que c'est beau?

Pour une rare fois, la musique des mots semblait se suffire à elle-même. Après tout, si "la poésie est une clameur" (Ferré), à quoi bon hurler tout le temps par-dessus?

MANIFESTEMENT – Dans cette histoire de lecture du manifeste du FLQ, tout le monde s'est énervé sur le fond. Moi, c'était la forme qui me tannait le plus. J'imaginais déjà Luck Mervil se donner en spectacle, jouer le rôle du felquiste alors qu'on attendait de lui que sa voix porte le poids des mots, leur charge explosive retenue comme une pudeur nécessaire.

Évidemment, il n'a pas résisté jusqu'au bout, et vers la fin, il s'est emporté, criant les slogans avec une ferveur qui sentait un peu la morgue. Le lendemain matin, c'était pire encore.

Même s'il savait que la lettre de Laporte à Bourassa allait suivre, que les quelques imbéciles qui avaient crié et applaudi débanderaient alors plus vite qu'il n'en faut pour dire assassin, Mervil aurait dû faire plus attention.

On ne peut pas manipuler l'histoire comme s'il s'agissait d'un jeu.

Pas dans un événement public. Pas dans ces circonstances. Et dès le départ, ce n'est pas le choix du texte, mais de son interprète, qui m'a agacé le plus.

Il fallait de l'intelligence, de la sensibilité, il fallait donner tort aux détracteurs, leur montrer la pertinence de la chose, leur écraser au visage leur volonté de museler le passé en étant irréprochable. L'interprète possédait-il les qualités requises pour faire cela? Manifestement pas.

D'ailleurs, à part de surfer depuis aussi longtemps sur une discutable carrière de chanteur pour se faire voir et entendre, c'est quoi au juste le talent de Luck Mervil?

PLOGUE DE VÉLO – L'intelligence, c'est comme la bourse, des fois ça fluctue. Et selon les circonstances, il arrive à tout le monde d'être un peu con. Seulement, il y en a pour qui c'est plus fréquent que d'autres.

Pas meilleur que la moyenne, il arrive qu'on m'écrase mes propres moments de faiblesse en plein visage et que je fasse: "Oh le con" en parlant de moi-même.

Dans le premier texte de ma série sur le vélo en ville, certains ont très justement relevé le biais pro-vélo (volontaire), mais aussi l'esprit un peu des-fleurs-dans-les-cheveux-c'est-donc-ben-beau-le-bécik (bien involontaire).

J'ai voulu exprimer le bonheur de rouler en marge du trafic, j'ai eu l'air de me moquer quand je suis pourtant moi-même si souvent du lot des coagulés des artères au volant de mon beau et bien pratique tas de tôle climatisé.

Tout ça pour dire que cela m'amuse de rouler en ville, que je remarque le nombre croissant de vélos sur les routes et ne suis donc pas insensible à l'invitation qu'on fait aux cyclistes ce samedi 19 septembre à nous rassembler pour nous faire voir. Contrairement aux événements de type critical mass qu'on retrouve dans plusieurs grandes villes aux États-Unis, il n'y sera pas question d'écourer les automobilistes. Seulement de réunir le plus grand nombre de tripeux de vélo afin de montrer qu'on existe. Rassemblés en tapon de la sorte, ça impose un peu de respect. Plus, en tout cas, que le mince chapelet de cyclistes qui se déploie discrètement sur le bord des rues chaque jour, écrasé entre les autos et le trottoir.

Ça s'appelle Convergence Vélo, ça débute à 11h30, à place D'Youville, il y aura de la bouffe, de la musique, du beau monde.