Recycle-la ta chanson
Le problème, ce n'est pas l'idée de départ. Le problème, c'est la répétition jusqu'à l'accumulation. Et pire: ce que dit cette accumulation sur l'état de la culture. Du patrimoine auquel on fait semblant de rendre hommage, mais qu'on pille, retourne, empaille, remballe et ressert jusqu'à saturation d'un imaginaire collectif déjà pétrifié.
Mais bon, je commence par la fin de l'histoire. Revenons en arrière si vous voulez bien. Asseyez-vous confortablement, ça se lit comme un conte de fées, on reprend depuis le début. Un début dont tout le monde se souvient, qui se situe dans un passé pas si lointain.
C'était en 2007. Le producteur Paul Dupont-Hébert suggère à Claude Dubois d'enregistrer en duo quelques-uns de ses classiques en compagnie d'une poignée de vedettes de la chanson québécoise et française.
L'objectif, prétend-il alors, est surtout de faire connaître le répertoire de Dubois aux Français, qui n'en ont que pour Le Blues du businessman.
Si Dubois est potentiellement un des artistes les plus rentables de l'industrie musicale au Québec, il ne produit plus rien de neuf depuis au moins deux mille ans. Mais qu'importe, les Québécois sont fous de ses succès, et on sait déjà, grâce aux nombreux disques de reprises et d'hommages qui trônent au haut des palmarès de ventes, que le public s'emballe facilement pour le réchauffé.
Le résultat est inégal, mais supportable. Tous les classiques qu'on aime fredonner s'y trouvent.
Et c'est ainsi que Duo Dubois s'est révélé une machine à imprimer du fric. Au Québec, surtout, où il a été certifié platine (100 000 exemplaires) en trois semaines.
Le chanteur enchaîne alors avec un autre disque de reprises des mêmes chansons, accompagné d'une chorale cette fois (insérez ici une blague disant que pour une fois, il n'a pas eu à passer devant la file, puisqu'il précédait déjà tout le monde), tandis que l'industrie du disque qui en arrache devine dans cette voie une planche de salut.
Qui ressemble à une planche à billets.
Comme d'habitude, elle ne fait pas les choses à moitié, et depuis, elle inonde les bacs des disquaires de propositions du même type. Les Lost Fingers sont accompagnés d'artistes qui ne devinent pas qu'on les parodie, Dan Bigras chante la tendresse avec des filles, Marjo râle avec des gars, Jean-Pierre Ferland susurre avec je ne sais plus qui.
Éric Lapointe, lui, est presque tout le temps là, à beugler un truc inaudible. Comme d'habitude.
Même Yves Lambert s'y est mis, en plus de revenir aux toujours populaires chansons à boire. En tournée de promo la semaine dernière, il vendait sa salade à la radio, proposant que cette mode à laquelle il a cédé témoigne d'une nouvelle solidarité entre les musiciens en temps de crise.
Et voilà, madame, comment on vous endort en faisant passer de la mise en marché pour de la solidarité avant de pourfendre le grand Kapital du même souffle.
Trop occupé qu'il était à préparer son prochain "live" pour un resto moins qu'ordinaire qui le paye afin qu'il prétende qu'on y mange divinement, l'animateur n'a pas relevé que l'aiguille de son détecteur de bullshit frétillait dans le rouge.
Sans doute parce qu'il est lui-même condamné à la même putasserie qui consiste à faire croire aux gens un truc qu'on ne pense pas une seconde pour payer ses bills.
Comme l'animateur qui vous dit en ondes l'extraordinaire qualité d'un repas dont on sait, si on a fréquenté l'endroit, qu'il ne pourra qu'être décevant, les prétextes des artistes et des producteurs pour nous servir du réchauffé (seul, en duo ou en groupe) outrepassent les plus élémentaires règles de décence.
Surtout quand le résultat est le plus souvent navrant. Ce qu'on ne dit jamais. Ou bien trop rarement.
Des exemples?
Les reprises de succès québécois par Boom Desjardins et ses amis sont pour la plupart inutiles. Sinon carrément vaines. Qui avait envie de réentendre Entre l'ombre et la lumière (en duo avec Annie Villeneuve!) de Marie Carmen? Ou Le Train de Vilain Pingouin? Ou Donne-moi ma chance des B.B.? Et quand elles ne sont pas carrément oiseuses, ces reprises sont fardées d'arrangements périmés avant même qu'on les sorte de l'emballage. Les reprises de Dan Bigras, elles, sont carrément pénibles. Aussi fastes qu'on les souhaite, les orchestrations tombent à plat. La voix du chanteur semble éteinte, sans âme, le choix du répertoire tristement prévisible (La Grange? Come on!), et l'accent de Bigras lorsqu'il chante en anglais transpire autant l'effort que l'échec.
Vous en voulez encore? Tenez, vous venez tout juste de vous garrocher au magasin pour acheter le jazz prédigéré d'Ima qui, moi, me donne plutôt envie de me garrocher dans le sapin tout décoré pour vérifier si je suis toujours vivant. Même vendus à des millions d'exemplaires, ses disques, comme les duos de Marjo ou les 70s de Cossette, ont autant de chance de contribuer à l'avancement du patrimoine musical que l'ère de la mélamine de figurer parmi les moments forts de l'histoire du meuble.
Si vous avez le droit d'aimer cela? Certainement. Comme j'ai le droit de dire que c'est pas parce que vous aimez ça que c'est bon. C'est facile, c'est pratique, c'est connu, c'est familier, c'est accessible, c'est divertissant, ça joue à la radio tous les jours. Mais ce n'est pas bon. Ou si rarement.
Ne vous trompez pas: ceci n'est pas un coup de gueule. C'est un cri du cour. C'est un hoquet, c'est une indigestion, c'est un constat de cul-de-sac culturel.
Le problème, comme je vous disais, ce n'est pas l'idée de départ. Le problème, c'est la répétition jusqu'à l'accumulation. Et pire: ce que dit cette accumulation sur l'état de la culture. Du patrimoine auquel on fait semblant de rendre hommage, mais qu'on pille, retourne, empaille, remballe et ressert jusqu'à saturation d'un imaginaire collectif déjà pétrifié.
Comme si on n'avait plus rien de nouveau à dire. Comme si tout ce qui restait à faire, c'est de radoter.
Je ne sais plus quoi dire par rapport à ce sujet tellement je partage ton découragement. Sinon de constater que le maire fait la une du journal de Québec à cause qu’il a la grippe, et que Jonhathan Roy aura sa propre télé-réalité. On devrait peut-être inter-changer les mots et les placer dans le bon ordre : « Buisness Show ».
Je travail dans une radio non commerciale de Québec; il y a tellement de talents ici. Des jeunes qui poussent et qui sont relégués aux oubliettes. Des Fred Fortin qui ne seront jamais découvert qu’à star académie par ce système de peigne cul. Des gars comme Phillipe B qui mériterait tellement le succès et qui joue derrière Pierre Lapointe, qui se retrouve lui aussi (malgré un relatif succès) du côté des marginalisés de ce système à la « Pop-matante ». Ce système de la complaisance à s’en rendre malade.
Pour boucler ce commentaire, j’emprunterai l’expression que Bernard Derome a utilisé 2 fois au sujet de la magouille politique à « Tout le monde en parle » dimanche: « Doit-on s’en surprendre? ».
Pingback depuis Twitter Trackbacks for Recycle-la ta chanson – Desjardins [voir.ca] on Topsy.com
Merci David pour ce cri du coeur!
Par contre, tes lecteurs ( moi le premier) n’achète pas ce type de disques. Quand j’ai envie de dépenser un peu d’argent pour me procurer un CD, je vais tenter de trouver un artiste à découvrir. Il a des gens qui sont de vrais musiciens ou de vrais auteur-compositeur-interprète, je vais les encourager.
La prochaine fois, amuse toi sur la convergence de TVA!!
C’est tellement vrai… mais ce n’est pas qu’en musique que les gens optent pour la facilité et le pré-digéré. Quand je vois le succès que connaissent « Twilight » ou les livres de Dan Brown, je me dis que quelque chose cloche en ce monde…
C’est tellement vrai! Il y a même plusieurs artistes (penser ceux de Star Académie, Éric Lapointe…) qui ont réussis à avoir un certain succès « grâce » à des chansons de Richard Desjardins. Le gros hic c’est que les gens ne se renseignent même pas sur la provenance des chansons et l’attribuent à l’interprête et non à créateur. Sic
Beaucoup de gens n’écoutent que la radio commerciale où il ne se joue que du réchauffé et pendant ce temps là des artistes internationaux nous font découvrir nos musiciens e.g. Arcade Fire.
Merci Monsieur Desjardins de nous révéler cet espèce de marasme culturel dans lequel le Québec est plongé.
Le phénomène n’est pas particulièrement original ou local, par contre. Les Michael Bubblé et autres Sinatreux et Sinatreuses reprenant l’histoire de la musique par le petit bout de la lorgnette sont nombreux et pas que de ce côté-ci de l’Atlantique. Quand une formation comme Nouvelle Vague fait la une du contre-culturel, je ne suis pas convaincu non plus que c’est un grand progrès pour l’histoire de la musique, même si personnellement j’y prends plaisir.
Heureusement, il y aura toujours Hayseed Dixie!
Les québécois ont toujours apprécié les reprises, depuis l’époque yé-yé, donc c’est pas d’hier qu’ils craquent pour le recyclage.
Le problème c’est que, si malheureuse soit la situation pour de nombreux mélomanes, c’est devenu une bonne façon pour un label de faire ses frais annuels, question d’avoir les reins assez solides pour signer des artistes qui ont du bon matériel original….Mais malheureusement, la grande majorité de ces produits sont ensuite largement téléchargés »gratuitement » sur le net. Pendant que Sylvain Cossette 70’s vend des tonnes de copies. On tourne en rond….
Le recyclage en ce moment: question de survie pour les maisons de disques, question de visibilité pour les artistes, question de goût pour les acheteurs…
Ce qui n’empêche pas que les albums de musiques »originales » manquent de place dans les magasins et de visibilité dans les médias….et qu’ils sont noyés sur le net dans une mer de nouveautés et de trucs à découvrir.
Reste plus rien qu’à sortir du cul-de-sac. Ouain….on commence par quoi ? Ouf !
Enfin, quelqu’un en parle ! J’avais publié un article à cet effet dans La Presse en juillet dernier. Cette vague de reprises me touche directement, je suis parolière de métier. Et comme la crise du disque n’est pas encore assez difficile, on en rajoute pour les travailleurs de l’ombre comme moi (et comme bien d’autres qui pratiquent ce même métier…) Ai-je le droit de donner le lien de l’article ?
http://www.cyberpresse.ca/opinions/forums/cyberpresse/200907/28/01-887925-paroliers-reduits-au-silence.php
Pour terminer… je n’ai qu’un projet d’album cette année… et encore, ce n’est pas officiel. Le chômage est on ne peut plus présent pour moi… J’espère sincèrement que cette mode de reprises tire à sa fin… pour que je puisse enfin remettre du beurre sur mon pain !
Martine Pratte
Enfin, quelqu’un en parle ! J’avais publié un article à cet effet dans La Presse en juillet dernier. Cette vague de reprises me touche directement, je suis parolière de métier. Et comme la crise du disque n’est pas encore assez difficile, on en rajoute pour les travailleurs de l’ombre comme moi (et comme bien d’autres qui pratiquent ce même métier…) Ai-je le droit de donner le lien de l’article ?
http://www.cyberpresse.ca/opinions/forums/cyberpresse/200907/28/01-887925-paroliers-reduits-au-silence.php
Pour terminer… je n’ai qu’un projet d’album cette année… et encore, ce n’est pas officiel. Le chômage est on ne peut plus présent pour moi… J’espère sincèrement que cette mode de reprises tire à sa fin… pour que je puisse enfin remettre du beurre sur mon pain !
Martine Pratte
Je suis d’accord avec une bonne partie du billet. Je préfère de loin quelqu’un qui essaie et ayant un certain talent aux sans talent des télés-réalité. Je ne crois pas qu’il y ait lieu de les comparer.
Est-ce nécessaire d’être aussi méchant? Ça fait un peu « rabaisser les autres pour se remonter! »
Avez-vous entendu parler du dernier scandale venant du pays de Régis Labeaume? Mon collègue David Desjardins
David, écoutez Pierre Lapointe si vous trouvez que les autres chanteurs radiophoniques font du recyclage. Lui au moins est original, inovateur, créateur. Un artiste avec un grand A comme on n’en fait pas. Une musique puissante et des textes profonds et imagés.
De toute façon, la plupart des gens écoutent ce que tout le monde écoute et font ce que tout le monde fait. C’est navrant mais le monde est ainsi conçu. Heureusement, il y a les autres….
Hum hum, Il ne faut pas mettre le blâme sur nos artistes mais plutôt sur nos gouvernements qui subventionnent (dans une direction) notre culture.
Mais vous les journalistes, devriez savoir ca… N’êtes vous pas les premiers renseignés?
J’en doute!
Il faut que cela cesse ce journalisme provocateur, vide de contenu, noirciceur de pages blanches pour un jourlalisme libérateur de frustrations.
Vous pointez du doigt nos artistes comme si c’étaient des criminels ou des violeurs d’enfants. Faites attentions à nos artistes qui apportent dirvertissement et réconfort à notre société…
Vous savez très bien (n’etes vous pas journalistes) que comme peuple, nous avons le choix d’acheter autant à droite qu’à gauche d’un marché riche qui peut plaire à tout le monde.
Respectez votre peuple, mesdames et messieurs les journalistes et n’essayez pas de nous faire à croire (en faisant rien) que vous êtes l’élite de la société.
Si vous êtes si ¨smart¨ que ça, essayez donc d’écrire une chanson qui fera l’unanimité!
Encore une fois monsieur Desjardins, permettez-moi de vous dire que vous faites le jeu de ceux que vous dénoncer simplement en mentionnant leur nom et ce qu’ils ont produit dans vos billets. Pourquoi ne pas parler de vos coups de coeurs, de 12 hommes rapaillés chantent Gaston Miron, de Catherine Major, de Steve Marin, d’Alexandre Désilets, des Vulgaires machins, de Karkwa, de Malajube ou d’autres qui vous ont touchés. Ceux-la ont plus besoin de vous.
Revenons sur cette chronique de mon collègue David Desjardins, rédacteur en chef du Voir de la Vieille
Il est clair que Yves Lambert a touché une corde sensible en se laissant tenter de reprendre des chansons traditionnelles avec des « artistes connus ». C’est peut-être la goutte qui a fait déborder le vase du journaliste!!…Malheureusement, tout est une question d’accès au financement de projets musicaux et à la diffusion du produit final et c’est bien là que le bât blesse. C’est clair qu’à ce niveau il-y-a une certaine convergence et un accès un peu trop privilégié. Le producteur chevronné a accès au financement pour la production de disque, qui a accès aux studio d’enregistrement, qui a accès aux radios, qui a accès au financement pour la production de spectacle, qui a accès aux subventions pour les spectacles à l’étranger et qui a finalement accès au « grand public ». Comme on ne peut pas réinventer la roue, il faut donc que des producteurs s’intéressent aux « artistes émergents » jeunes ou vieux et les fassent connaitre du « grand public ». Comme ce n’est pas le cas tellement en ce moment, ce sont les artistes eux-mêmes qui doivent s’auto-produire et trouver de nouvelles façon plus originales d’amener leurs « oeuvres » au public. L’internet est donc la planche de salut des artistes plus avant-gardistes qui y trouve un lieu de diffusion pour pouvoir atteindre leur « public cible ». C’est donc clair que d’un côté il-y-a « l’industrie du disque » qui a tendance à radoter et de l’autre, une nouvelle génération d’artistes qui innovent. Pour ma part, il-y-a longtemps que je « surf » sur le net afin de pouvoir satisfaire mon appétit insatiable de nouvelle musique d’ici et d’ailleurs. Last FM, MySpace, CDBaby, U tube etc…ne reste plus qu’à nos artistes d’y occuper une plus grande place et ainsi s’ouvrir sur le monde. Pour ce qui est de notre musique traditionnelle, comme le dise si bien le groupe « Genticorum » c’est la « musique du monde d’ici » lorsqu’il sont en tournée mondiale. Et oui, imaginez-vous donc que la « musique du monde d’ici » est de plus en plus apprécié partout sur la planète, et même ici!!…Genticorum, La Volée d’Castors, Le Vent du Nord, Les Batinses, Belzébuth, Hurlevent, Matapat, Les Tireux d’Roches, Les Frères Brunet, Crowfoot, La Part du Quêteux, Bernard Simard, Olivier Adoue et j’en passe!!…ne manque plus que le public (ainsi que les journalistes!!) soit plus nombreux au rendez-vous pour que le « party » commence!!…