Pour une fois, le spectacle n'a pas triomphé.
Pour une fois, nos cerveaux n'ont pas assimilé les images d'horreur à l'habituelle fiction que constitue le journal télévisé dès qu'il est question d'un événement qui ne se déroule pas ici, chez nous, dans le décor familier de nos villes triomphantes d'opulence et de nos banlieues manucurées.
Pour une fois, nous n'avons pas pu ignorer les images qu'on nous montrait.
Si les médias ont versé dans le sensationnalisme dans leur couverture du tremblement de terre à Port-au-Prince? Peut-être un peu, oui, mais il me semble que cette fois, pour une fois, c'est pour toutes les bonnes raisons.
Pour qu'on ne puisse pas oublier. Pour qu'on ne puisse pas se retrancher dans le quotidien et ignorer ce qui se trame là, si près, mais si loin, les fantômes surgis des décombres allaient nous hanter jusqu'à l'heure du dodo.
C'était ma plus grande crainte tandis que défilaient les images de cadavres ensevelis sous les gravats, alignés dans les rues, comme un immense marché de la mort: que nous soyons à ce point désensibilisés que plus rien ne nous touche. Qu'on regarde Haïti avec notre détachement habituel, celui qu'impose la répétition médiatique du cataclysme, mais aussi, sa distance géographique, physique.
Et comment comprendre? Comment imaginer l'inimaginable pour nous qui ne connaissons ni la peur ni la misère à cette échelle?
Comment comparer notre trop de tout et leur trop de rien? Comment mesurer leur temps, leur urgence bien réelle, et notre temps à nous, marqué par l'horaire des émissions à la télé, l'école, les devoirs, le ménage, le travail: par la vie normale qui suit son cours.
J'ai eu peur que leur trop de rien ne nous soûle, mais le contraire s'est produit. Leur vide nous a aspirés.
Tant mieux.
Sur le Web, on peut mesurer l'impact sur le monde culturel d'ici qui, même dans ses strates plus confidentielles, se mobilise.
Des bédéistes comme Francis Desharnais (Burquette), Paul Bordeleau (Faüne) et Philippe Girard (Tuer Velasquez) – et il y en a plusieurs autres! – proposent des encans en ligne, sur leurs blogues, pour des planches de leurs ouvres. Tout l'argent recueilli ira à la Croix-Rouge.
Fondé spontanément, le regroupement d'artistes professionnels et amateurs sous la bannière Mesi (merci, en créole) propose des ouvres en échange d'une preuve de don au CECI, à la Croix-Rouge, à Médecins sans frontières et à quelques autres organismes du genre. Ici, un dessin de Marie Lafrance dont vous reconnaîtrez le style si vous avez des enfants (elle illustre plusieurs livres de timounes) en échange d'un don de 50 $. Plus bas, on trouve de superbes illustrations d'Élise Gravel, un chat tricoté main par Sophie Thouin. Toujours, on demande de faire suivre le reçu d'un don électronique pour obtenir l'ouvre.
Ces artistes donnent pour encourager le don. Ils ne gardent rien. Pas un sou. J'applaudis.
La mobilisation est généralisée, parfois ahurissante quand elle se répercute avec l'habituel triomphalisme des attachés de presse au service des grandes entreprises, habituées à célébrer leur générosité à grands coups de communiqués.
N'empêche, on sent la volonté d'aider, partout. Et l'urgence d'agir s'entend.
Pendant les quatre parties de football de la NFL en fin de semaine, les animateurs, des joueurs d'origine haïtienne et des pubs dans le bas de l'écran martelaient la nécessité de donner, tout de suite, numéro de téléphone à la clé.
Même George W. Bush, chargé par Obama, avec Bill Clinton, de coordonner l'aide, a eu sa plus sage parole depuis son élection (enfin, depuis son assermentation, mettons) à la présidence des États-Unis: "Send your cash, now!"
Ici, tous les réseaux se donnent la main et présenteront un téléthon-concert, sans pub, faisant fi des rivalités. Pas un pour en profiter et nous refiler Terminator 2 en même temps. Bravo.
Pour une fois, enfin, les voix des imbéciles médiatiques ne sont qu'un crépitement distant. Leur absence de compassion se heurte à un sentiment plus puissant que le confort de l'indifférence. Leur indécence à proclamer qu'ils ne donneront pas, incitant ainsi les autres à faire pareil, semble enfin étouffée par ce qui ressemble à une lame de fond d'un humanisme qui nous rend tous un peu plus beaux, et notre monde sauf et douillet un peu plus décent.
La bêtise de ceux qui prétendent que "ce pays l'a bien cherché" est écrasée par les gestes purs, par les témoignages écorchés de ceux qui pleurent des proches, de la famille, leur pays.
"Quelque part dans mon cour, c'est la fin du monde", écrit dans l'Observer Régine Chassagne, co-leader du groupe Arcade Fire dont les parents font partie de la diaspora, des réfugiés de ce pays qui ne cesse d'encaisser les coups, mais garde la tête haute, on ne sait trop comment.
Pour une fois, disais-je, le spectacle n'a pas triomphé. Il s'incline enfin devant autant d'humanité. Mieux, il lui prête sa force de diffusion.
Pour une fois, tant de mal génère le bien.
Pour une fois, l'indifférence n'a pas gagné. Enfin, pas encore.
Merci Haïti, ta douleur vive nous redonne un peu de dignité.
Monsieur Desjardins
C’est curieux mais c’est avec une toute autre paire de lunettes que j’observe, de loin il est vrai, le même phénomène. D’où certaines questions que je ne puis m’empêcher de poser.
D’abord, vous écrivez : « Pour une fois, disais-je, le spectacle n’a pas triomphé. Il s’incline enfin devant autant d’humanité. Mieux, il lui prête sa force de diffusion. » C’est toujours avec plaisir (ironie, ai-je besoin de le souligner) que je regarde la couverture médiatique faite par le journaliste de TVA dépêché sur les lieux. Tandis qu’il perd son souffle à chaque fin de phrase pour nous rappeler sa vision de l’apocalypse, un menu déroulant s’affiche au bas de l’écran où on peut lire les derniers potins du sport et du vedettariat. Eh oui, c’est comme ça que j’ai appris que la chanteuse Amy Winehouse a été coffrée pour conduite en état d’ébriété. N’est-ce pas un signe d’indifférence, voire de mépris ? Le spectacle n’a pas triomphé dites-vous ?
Récemment, j’écrivais à mes amis : « Alors que la peste noire décimait l’Europe au 14 ème siècle, voilà qu’en ce début siècle la peste médiatique sévit 24 heures sur 24 pour tuer le peu de sens critique que nature a bien voulu nous distribuer bien qu’inégalement. Après la crise économique mondiale et la pandémie, que restera-t-il d’Haïti dans un mois ? Autant de ruines sur le terrain que dans nos souvenirs. » Eh oui, une fois de plus, faute de pouvoir se faire les dents sur des nouvelles dignes d’intérêt dans notre espace immédiat, les journalistes ont entamé à nouveau le grand bal médiatique où l’on tourne sans arrêt 24 heures sur 24 en cherchant à inventer de nouveaux pas : Qui retrouvera-t-on en premier ? Quel enfant sera sauvé in extremis ? Ah ! Quelle est belle la valse médiatique … Et, fidèles à ce que nous sommes nous-mêmes, les humains, dans trois semaines ou moins, nous en aurons la nausée à force de les voir tourner et valser ces journalistes « humanitaires ».
Enfin, en écho avec le tremblement de terre de Lisbonne en 1755, on dirait que votre « foi » n’a pas été secouée lorsque vous écrivez : « Pour une fois, tant de mal génère le bien. » Seriez-vous un lecteur de Leibniz ? Pourquoi les pays riches de la planète ne sont intervenus que discrètement au cours des dernières décennies dans cette patrie déchirée par la guerre civile et l’instabilité politique ? Pourquoi faut-il attendre une catastrophe à la fois naturelle et humaine (déficience dans les moyens et les connaissances pour construire des structures capables de résister aux impacts naturels) pour passer à l’action ?
Ainsi, comme ma mauvaise conscience me l’indique, c’est avec stupeur et tremblements que j’ai lu votre dernier commentaire, étant à peu près persuadé que vous ne pouviez pas ne pas parler de cet événement historique. Pour ma part, aussi cruel que cela puisse paraître, il n’y pas plus de mal que de bien qui ressort de cette événement : la nature frappe aveuglément, ce qui signifie en vertu de ses lois, les peuples comme les individus. Il est seulement triste que la même humanité n’ait pas eu le même soubresaut de conscience morale pour certains génocides. Quant à l’humaine nature, elle sévit déjà tandis qu’on se déchire probablement la moindre parcelle de terrain pour reconstruire question d’enrichir le portefeuille des actionnaires de compagnies.
C’est touchant mais concrètement on fait quoi avec tout cet argent? C’est malheureusement là que s’arrête notre raisonnement et que s’apaise du même coup la conscience occidentale. Haïti a reçu jusqu’à maintenant une aide d’une valeur de près d’un milliard. Et puis après? Dans un an parions que tout le monde s’en balancera. Quelqu’un se rappelle du tsunami au Sri Lanka? Ils ont reçu du viagra et des vestes de ski il paraît. Ils ont dû supprimer 75 tonnes de médicaments périmés. Les ONG n’ont versé que 39% de l’argent promis car la générosité des donneurs a dépassé de beaucoup trop la capacité du pays à gérer ce capital.
Encore une fois, le problème n’est pas le manque de générosité financière mais les lacunes en infrastructures et institutions nécessaires. Nous occidentaux prenons pour acquis nos systèmes judiciaires, administratifs et leur fondements légaux, dont nous bénéficions pourtant depuis seulement 300 ans. Ce n’est pas toute la planète qui est rendue au même niveau. Saviez-vous qu’il faut environ 7 ans de paperasse pour démarrer une entreprise parfaitement en règle en Haïti? Ce dont le pays a besoin c’est d’une réelle prise en charge administrative. Hélas, c’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire car cela suscite beaucoup plus de temps, de collaboration et de confiance.
C’est vrai que c’est facile de signer un gros chèque et de leur dire bonne chance! Le guichet pour l’encaisser s’est probablement écroulé anyway.
Pour le Sri Lanka, lisez l’article dans The Economist de cette semaine. Pour une étude sur le droit de propriété et autres merveilles oubliées de la civilisation moderne lisez Hernando de Soto – Le Mystère du Capital. On y apprend entre autres que :
« In Haiti, untitled rural and urban real estate holdings are together worth some 5.2 billion. To put that sum in context, it is four times the total of all the assets of all the legally operating companies in Haiti, nine times the value of all assets owned by the government, and 158 times the value of all foreign direct investment in Haiti’s recorded history to 1995. »
C’est touchant mais concrètement on fait quoi avec tout cet argent? C’est malheureusement là que s’arrête notre raisonnement et que s’apaise du même coup la conscience occidentale. Haïti a reçu jusqu’à maintenant une aide d’une valeur de près d’un milliard. Et puis après? Dans un an parions que tout le monde s’en balancera. Quelqu’un se rappelle du tsunami au Sri Lanka? Ils ont reçu du viagra et des vestes de ski il paraît. Ils ont dû supprimer 75 tonnes de médicaments périmés. Les ONG n’ont versé que 39% de l’argent promis car la générosité des donneurs a dépassé de beaucoup trop la capacité du pays à gérer ce capital.
Encore une fois, le problème n’est pas le manque de générosité financière mais les lacunes en infrastructures et institutions nécessaires. Nous occidentaux prenons pour acquis nos systèmes judiciaires, administratifs et leur fondements légaux, dont nous bénéficions pourtant depuis seulement 300 ans. Ce n’est pas toute la planète qui est rendue au même niveau. Saviez-vous qu’il faut environ 7 ans de paperasse pour démarrer une entreprise parfaitement en règle en Haïti? Ce dont le pays a besoin c’est d’une réelle prise en charge administrative. Hélas, c’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire car cela suscite beaucoup plus de temps, de collaboration et de confiance.
C’est vrai que c’est facile de signer un gros chèque et de leur dire bonne chance! Le guichet pour l’encaisser s’est probablement écroulé anyway.
Pour le Sri Lanka, lisez l’article dans The Economist de cette semaine. Pour une étude sur le droit de propriété et autres merveilles oubliées de la civilisation moderne lisez Hernando de Soto – Le Mystère du Capital. On y apprend entre autres que :
« In Haiti, untitled rural and urban real estate holdings are together worth some 5.2 billion. To put that sum in context, it is four times the total of all the assets of all the legally operating companies in Haiti, nine times the value of all assets owned by the government, and 158 times the value of all foreign direct investment in Haiti’s recorded history to 1995. »
Un chapitre de l`histoire du monde s`ouvre avec le séisme de Port-au-Prince. À nous de suivre comment va se dérouler presque sous nos yeux la reconstruction de cet état. Je sais qu`il y a eu plein d`évènements aussi terribles que celui-ci mais mon ignorance est trop grande pour pouvoir comparer. Là je n`ai pas d`excuse. Ultra médiatisé, je me sens l`obligation d`écouter, de lire et d`entendre afin de pouvoir comprendre les qui seront prises pour redonner à ce peuple sa dignité. Ce désastre aura permis que la planète entière entende les gémissements du peuple Haitien. La planète ne peut pas se boucher les oreilles et se fermer les yeux: on doit trouver des solutions et on devra les trouver ensemble de façon diplomatique. Une grande page d`histoire se déroule nos yeux. Je me croise les doigts et espère que ce tremblement de terre aura fait trembler le coeur de chacun d`entre nous afin que la compassion nous revienne.