Desjardins

Le supplice chinois

Je suis assez nul en économie, mais en histoire, pas si pire. Enfin, j'en connais suffisamment pour que l'expression révolution culturelle, telle qu'employée par Raymond Bachand, résonne à mes oreilles comme une poignée de gravier concassé zéro-trois quarts qui n'en finirait plus de faire des triples boucles piquées dans la sécheuse, ou comme Garou qui imite Chewbacca aux Olympiques.

C'est dire si je souffre.

Je ne serai sans doute pas le seul à le souligner, mais faisons tout de même: l'emploi de cette expression a quelque chose d'atrocement inapproprié. Ah oui, ça sonne bien si vous travaillez en pub. Si vous faites de la politique, c'est autre chose. Mais les deux se confondent si souvent…

Petites précisions, donc: la révolution culturelle du ministre, si j'ai bien compris, c'est la fin de l'âge d'or du tout-est-gratisse. Ou si vous voulez, c'est la remise en question de la gratuité de certains services et des bas tarifs pour d'autres. La révolution culturelle en Chine, assez énorme pour que toute utilisation de l'expression s'y réfère, fut quant à elle un massacre. Un vrai. On parle de quelque chose pas loin du million de morts. M. Bachand le saurait s'il consultait une encyclopédie ou ce bidule, lui-même révolutionnaire, qu'on nomme Internet.

Si on résume très très très grossièrement, on a entre autres déporté des milliers de gens, saisi leurs biens, et on en a assassiné tout un paquet sous prétexte qu'ils avaient une opinion qui n'était pas parfaitement calquée sur celle du pouvoir. L'objectif était surtout d'écarter quelques inconvenants et de radicaliser le régime.

Ce qui est inutile au Parti libéral, anyway, puisqu'il y règne une discipline de la ligne de parti si sévère qu'on les croirait tous issus de camps de rééducation. Faut les écouter, tous ces ministres, incapables qu'ils sont de se retenir de chanter les louanges de Jean Charest au moins cinq fois dans une entrevue de trois minutes. Mao en serait presque jaloux.

Blague à part, si M. Bachand et ses aides avaient pris la peine de consulter la fiche Wikipédia sur le sujet, ils y auraient même déniché quelques références, dont cette citation d'un historien, Eric Hobsbawm, pour qui la révolution culturelle fut une "campagne contre la culture, l'éducation et l'intelligence sans parallèle dans l'histoire du 20e siècle".

Ça donne le goût, hein?

Maintenant, je ne dis pas que le ministre a tout à fait tort. Pas partout, pas tout le temps, du moins. Je crois, par exemple, à une hausse des tarifs d'électricité, si toutefois les plus pauvres en sont exemptés. Si ça fait de moi un monstre, too bad. D'ailleurs, j'aimerais bien que la gauche, toujours contre ces hausses, m'explique clairement: où est le problème? Dans redistribution de la richesse, y a pas le mot richesse aussi?

Mais bon, entre références maoïstes et mon apparent penchant pour le néolibéralisme sauvage, je me sens virer Alain Dubuc sur les bords. Pas sûr d'aimer ça.

Et puis je ne suis pas très crédible non plus, puisque comme je l'écrivais plus haut, je suis assez nul en économie.

Mais j'ai mal à mon histoire, au point de crier vengeance. Aussi, M. Bachand, pour vous faire pardonner tout en respectant l'esprit d'ignorance qui a présidé au choix de cette expression par un de vos visionnaires vizirs, je suggère de condamner à l'exil celui ou celle qui a eu la brillante idée de ce nouveau slogan.

Destination: le ministère de l'Éducation, ce qui relève du plus cruel supplice chinois. Mais on saura sans doute s'y employer à faire quelque chose de jovialement transversal avec toute cette incompétence.

ES-TU CONTENTE? – Parlant d'incompétence, que dites-vous des Jeux olympiques à V et à RDS? Avouons que ce n'est pas l'apocalypse qu'on escomptait (il y a les Brassard, Harvey et Boucher qui sauvent les meubles), mais c'est loin d'être génial. Outre les éditoriaux déments au patin de fantaisie et la torture d'avoir à se farcir la même ribambelle d'ahuris qu'on doit déjà souffrir au hockey chaque semaine, c'est tout de suite après les compétitions de snow qu'on a eu droit aux plus mémorables exemples d'insuffisance intellectuelle.

Imaginez. Vous avez le job. Vous n'êtes pas connue. Vous êtes en bas des pentes aux Olympiques avec le tout nouveau détenteur d'une médaille d'argent en snowboard cross, et tout ce que vous trouvez à demander, c'est:

"Es-tu content d'être aux Olympiques?"

"Es-tu content d'avoir gagné une médaille?"

Misère…

Il y avait pourtant beaucoup à dire, de l'information à réclamer. Pourquoi ce ralentissement à la fin du parcours qui t'a fait perdre la course? Avais-tu vu la chute derrière toi? Comment Machin a-t-il pu te reprendre toute cette avance?

J'étais assis sur le bout du divan, à lui souffler les questions qu'elle devait poser. Mais elle écoutait pas, la p'tite sacrement, tout absorbée qu'elle était à sourire pour la caméra, à contempler son reflet dans la lentille, à être là, dans l'écran de milliers de gens.

Mettons cela sur le compte de l'inexpérience. Mais c'est aussi le journalisme à l'époque de la télé pour la télé, de l'image comme finalité: l'important, c'est d'avoir sa face étalée sur 40 pouces de cristaux liquides. Ce que tu dis? On s'en souviendra moins que de ta coiffure.

En fait, je crois que c'est à elle-même qu'elle posait la question: Es-tu contente d'être aux Olympiques?

C'est bête, mais moi, j'aurais préféré qu'elle reste à la maison. Sauf que ça, c'est moi. La plupart? Je vous parie qu'ils trouvent sa coiffure très jolie.

Tout ça pour dire qu'on a le journalisme qu'on mérite.