Première réaction en lisant le dossier de samedi dans La Presse sur les jeunes et la culture:
Ouin, pis?
Je veux dire: pis moi? Pis nous? Pis dans mon temps?
Réponse: c'était pareil. Pas pire, pas mieux.
En fait, l'état de la culture chez les cégépiens n'est pas une surprise ou un événement. C'est un résultat attendu. Un aboutissement. Le symptôme d'un climat social.
Tenez. J'ai justement sous les yeux le palmarès Nielsen SoundScan des meilleures ventes de disques d'il y a deux semaines. Numéro 1: Marjo. Des reprises en duo. Numéro 4: Beau Dommage, une compilation. Numéro 5: encore Marjo, encore des reprises. Numéro 9: Nana Mouskouri, une compil. En anglais, pareil. Patrick Norman chante Hank Williams, Kenny Rogers fourgue un nouveau best of (son 50e?), KD Lang une compil et Sade nous refait le même disque que les autres fois. Ah, et il y a Peter Gabriel qui chante des reprises aussi. Pis Luce Dufault, qui fait pareil.
Qui se procure ces albums? Pas les cégépiens, ils n'en achètent presque plus. Ce sont leurs parents qui consomment cette culture de la redite éternelle, de la nostalgie empaillée.
Nos jeunes sont le produit de leur environnement, ils sont une conséquence. Ils ne sont pas à blâmer autant que nous le sommes.
Ce qu'on leur répète silencieusement depuis qu'ils sont nés, c'est ce que dit ce palmarès, et c'est ce que diront aussi tous les sondages éventuellement réalisés auprès des adultes sur leurs propres habitudes de consommation culturelle: la curiosité est facultative. Et la culture, un objet de consommation comme les autres.
Parmi les véritables responsables de ce lamentable état des lieux, bien plus qu'Internet, comptons les médias traditionnels, à commencer par la télé et la radio de masse. Cette dernière, surtout, avec ses comités de sélection musicale qui enfoncent dans la tête de tout le Québec la même cochonnerie formatée suivie de l'éternel retour en grâce d'Éric Lapointe et de la pop prédigérée des académiciens.
Puis il y a les parents, qui achètent les duos de Marjo, qui écoutent La Poule, Le Banquier, qui remplissent les salles pour la 12e supplémentaire de Martin Matte, ce qui serait ben correct si, une fois par année, ils allaient aussi au théâtre, genre…
Et enfin, il y a l'école où, par dépit, on fait lire Twilight aux élèves en se disant que c'est mieux que rien du tout.
Savez quoi? La surprise dans ce sondage, ce n'est ni la prédominance de l'anglais dans les goûts du public post-ado ni l'omniprésence des humoristes dans la déclinaison qu'ils font de leurs artistes favoris.
L'événement, le miracle même, c'est que ce ne soit pas pire encore.
LES PASSEURS – Je disais plus haut que tout était pareil quand j'étais plus jeune, de l'âge des sondés. Il y a quand même des choses qui changent. Par exemple, l'offre musicale au Québec est de loin supérieure à ce qu'elle était au début des années 1990.
Et c'est vrai, Internet, qui n'avait pas encore la dimension domestique qu'on lui connaît, permet un accès ahurissant à la musique, aux clips, au cinéma, à de l'information culturelle, à l'histoire.
Maintenant, qu'est-ce que ça change dans la réalité?
Pas grand-chose.
Parce qu'on consomme ce qu'on nous programme à consommer, et Internet n'est qu'un grand tuyau. Il faut encore des passeurs, des gens qui développent ce qu'on croit n'être qu'une inclination, mais qui est aussi une aptitude: le goût. Et aussi l'envie de découvrir, d'aller au-delà des conventions, de sortir de sa zone de confort. Enfin: d'apprendre à consommer avec discernement, à reconnaître la programmation que la pub opère dans les esprits. À être critique.
Mais bon… On peine déjà à apprendre aux enfants puis aux ados à lire et à écrire (faut-il encore rappeler les statistiques honteuses sur l'analphabétisme au Québec?), ne reste souvent plus assez de carburant dans la machine pour ouvrir les écoutilles de ce petit monde avant que ne s'installe définitivement la culture du "à quoi ça me sert de savoir ça?".
Et pourtant, quand les parents abdiquent, ou qu'ils ne peuvent servir de modèle, c'est le rôle des profs.
Savez ce que je ferais si j'étais prof? J'imposerais une ouvre par jour.
On y consacrerait 30 ou 40 minutes, pas plus.
C'est pas long, vraiment pas. Mais il s'agit d'allumer une lumière quelque part, et de tirer large pour finir par atteindre la cible. Après, aux enfants de faire le reste.
Lundi, ce sera une chanson de Fred Fortin. Dollorama, sur le dernier album, pour le réalisme cru du texte, pour la petite violence de l'enfance, pour la dictature de la beauté. Pour l'humour noir.
Mardi, on écoute Histoire de Melody Nelson de Gainsbourg. C'est tout, je ne dis rien. Pas de leçon, au mieux une mini-mise en contexte. Ça leur donnera peut-être envie de voir le film. Puis d'écouter les autres disques. Ou de lire les bédés du réalisateur, Yoann Sfar…
Mercredi, on lit une nouvelle de Murakami. Ils partent avec ça, avec les mots dans la tête. On en reparlera un autre jour, quand ça aura poussé quelque part, en secret, au fond d'eux.
Jeudi, on écoute Christmas Card from a Hooker in Minneapolis, une des plus belles, plus graves et plus tristes de Tom Waits. Je leur traduis les paroles. On en parle un peu. Ils disent voix graveleuse, thème déprimant. Je leur réponds: voici la vie des gens que vous croisez au centre-ville le soir mais que la société préfère ignorer.
Et vendredi? Je me fais virer à la suite des plaintes de parents qui craignent que je corrompe l'esprit de leurs enfants.
En vous lisant, j’avais un mot dans le tête: programmation. Celle que nous sert les médias de masse, aspetisée, chronométrée, encadrée mais également celle qui se rattache au monde de l’éducation avec ses règles, ses cibles à atteindre, ses cadres « structurant », ses données probantes. Notre société est obsédée par la notion d’efficience, de rendement. Bien lire, c’est lire au-delà des mots, confronter notre perception du monde et celle d’un auteur. Dans le cadre de mon travail, j’ai développé plusieurs projets qui plaçait la culture au centre de mes interventions. J’ai exploité des scénarios de films, des textes de chansons pour enrichir le vocabulaire, développer la compréhension des textes, des shémas narratifs. J’y ai toujours vu aussi une manière d’aider mes jeunes à comprendre qui ils sont et à s’affirmer dans leur différence. Je travaille avec des jeunes vivant avec un handicap pour qui la communication orale et écrite représente un grand défi. Ceci étant dit dans le contexte actuel où le rendement est devenu une priorité, il faut constamment motiver nos objectifs, justifier nos actions pour réduire les listes d’attente. Je comprends et j’accepte le but de la démarche. Il faut trouver des solutions aux problèmes actuels aux moindre coûts. Mais encore faut-il accepter de ralentir le rythme des programmation….accepter que pour apprécier un texte de chanson, une oeuvre littéraire ou un film, il faut du temps…
Bel et vrai article!
Seul problème: si vous étiez prof au secondaire (je suppose que vous ne feriez pas lire Murakami à des enfants quand même… ;o) ), vous n’auriez pas30 ou 40 minutes par jour. Vous auriez quelque chose comme 55 minutes 5 jours/9 jours.
Sur 55 minutes (ou parfois 75 minutes) 40 minutes c’est déjà beaucoup.
Et un programme a respecté.
Ce qui est désolant c’est que les défis auxquels les profs font face sont si grands qu’ils n’ont même pas le temps de faire les passeurs avec ceux qui sont curieux. Un élève qui va bien est rarement la priorité… et ce n’est pas parce qu’il va bien que sa famille sera le passeur en question.
Pas simple.
Le milieu de l’éducation réalise de plus en plus que les arts et la culture auprès des jeunes contribuent, entre autres, à un engagement dans l’apprentissage, la créativité de la personne, une ouverture sur le monde, le développement de l’imaginaire, une estime de soi, le travail d’équipe, etc…
Il faut voir leur intégration en salle de classe comme un moyen pour alléger les tâches au quotidien et pour créer des liens entre l’école et la communauté.
Il importe que la formation des futurs enseignants les sensibilise à cette réalité, les conscientise à leur rôle de passeur culturel et qu’elle leur offre des outils pour le faire.
Oui, la découverte de la richesse des œuvres artistiques est essentielle au développement de l’identité culturelle des jeunes, néanmoins, il faut aussi les amener à créer et découvrir des démarches artistiques en leur donnant l’opportunité de rencontrer et collaborer avec des artistes professionnels.
C’est aussi le rôle de la direction d’école passeur culturel d’intégrer les arts et la culture comme une priorité dans son projet éducatif, de mettre en place un comité culturel dans son école qui rassemble ses alliés (artistes, jeunes leaders, organismes artistiques et culturels, parents, personnel de l’école) afin de développer et financer des programmations pédagogique et parascolaire qui répondent aux besoins et à la réalité du milieu.
La francophonie canadienne hors-Québec a développé une Trousse du passeur culturel à l’intention des directions d’école (www.passeurculturel.ca) afin de répondre aux défis particuliers de l’école francophone qui oeuvre dans un milieu majoritairement anglophone. Cet outil a des répercussions tangibles auprès des intervenants scolaires et, ultimement, crée un impact positif sur le sens d’appartenance à la langue française et la vitalité culturelle des jeunes.
Une étude américaine explique bien les choix culturels des ados : ceux-ci sont très souvent fait sous la contrainte du conformisme et de la peur du rejet social. J’ajouterais que cela s’applique certainement partout sur la planète et pas seulement chez les ados, les adultes aussi…
Voici le lien de cet intéressant article publié par Scientific American (en anglais, bien sûr) : http://www.scientificamerican.com/article.cfm?id=in-teen-music-choices-fear-rules