Le courrier de la conscience
Desjardins

Le courrier de la conscience

J'écris cette chronique, mais c'est pas toujours moi qui parle.

Les invectives, la politique, c'est moi. Le social, c'est plutôt ma conscience.

Et ma conscience ne vous raconte pas toutes les fois où j'ai claqué 100 $ dans un bar (ça fait 1000 ans, mais bon), quand j'insulte les gens en auto (encore hier), mes perversions (…), mon répertoire d'insoutenables jokes de mononcle, ou encore, mes envies de choses. Ces envies que je partage avec 99,9 % des Occidentaux, parce qu'on nous a dit que c'est ça, la vie.

Et veux veux pas, des fois, même lucide, même si une pub travestie en clip de Lady Gaga te laisse un léger goût de vomi dans la bouche, tu y crois toi aussi, parce que c'est ta culture, ta religion, comme celle de tout le monde autour. Alors t'as envie de choses.

Ma conscience patauge dans la culpabilité, peut-être un peu, c'est vrai. Mais c'est surtout notre hypocrisie qui la débecte en même temps qu'elle la fascine. Elle tique en ce moment sur tous ceux de ces 50 000 manifestants de dimanche qui voteront quand même libéral aux prochaines élections, par dépit.

Je n'écris pas bullshit. Je pense chaque mot, je m'inclus dans la société que je décris, et quand je condamne, je me condamne aussi. Il n'y a pas d'innocents, je suis aussi coupable que le voisin, et ma position reconduit malgré tout le statu quo en exprimant une dissension qui nous fait croire à la liberté, à une autre manière de vivre, ce qui relève désormais non pas d'un objectif un peu utopique mais d'un mécanisme de déculpabilisation.

"C'est ça, continue de nous faire ton prêchi-prêcha de gau-gauche", m'écrit un brave anonyme, je ne sais même plus pour quelle chronique au juste, je viens de retrouver son courriel en faisant du ménage.

Ben justement, c'est pas un prêche. J'ignore ce que c'est exactement, mais ce n'est pas ça. C'est une envie, peut-être. L'expression d'un dégoût, parfois, d'une lassitude aussi. Celle qui vient à la longue, quand on porte tous les jours son regard sur un monde qui se compte en dollars ou se mesure en termes qui appartiennent à la psycho-pop et sa pornographie du bonheur.

Cette chronique n'est pas tout le monde, mais une fraction du monde. Cette frange qui s'inquiète sincèrement en même temps qu'elle refuse de véritablement bouleverser quoi que ce soit.

Convaincue que la vraie vie est ailleurs, trop chicken et confortable pour aller voir.

TOC TOC TOC – "Les ados sont à mon avis généralement intéressants, rigolos, et font le bonheur de leurs parents même quand ils font des pieds de nez. J'ai deux ados et c'est la plus belle période de ma vie. Donc fatigue pas, ta fille est ta fille et ne deviendra pas autre chose…" m'écrit J. Boucher.

Justement, Madame, c'est bien ce qui m'effraie: pouvez pas savoir quel imbécile j'étais à l'adolescence, et vous en trouverez assez facilement pour dire que ce n'est pas tout à fait terminé. J'ai peur JUSTEMENT parce que c'est MA fille, et qu'inévitablement, elle va ressembler à ses parents, mais pas nécessairement à l'éducation qu'elle reçoit. Pire encore: ce que vous dites n'est pas vrai. J'en connais long comme ça, des enfants élevés par des parents qui font comme moi, de leur mieux, et qui virent mal pareil. On ne sait jamais vraiment, c'est une loterie un peu quand même.

On ne peut pas tout contrôler.

Cela dit, vous trouvez les ados rigolos? Un par un, je vous l'accorde, ils sont plutôt sympas, parfois même mignons quand ils ne sont pas catatoniques, devant la télé ou l'ordi. Mais dès que vous vous retournez, ce sont des monstres d'arrogance, des petits cons et des petites connes qui partagent cette même certitude que tous ceux et celles qui ont eu leur âge avant: les vieux sont des abrutis, ils ne comprennent rien, moi je sais, eux pas.

Mais ils ne savent rien, et passeront leur vie à s'en rendre compte.

Et comme bien des parents, je suis un peu débile. Je voudrais que ma fille reste ma petite fille, puis hop, une grande adulte, sans que j'aie à la regarder se casser la gueule, encore et encore. Je voudrais pouvoir mettre mon nez dans ses cheveux et que ça sente encore l'enfant, toujours.

C'est pour cela, Madame, que je l'ai enfermée dans la cave: par pur égoïsme, pour m'éviter à moi de souffrir. Elle ne s'en plaint pas trop, par ailleurs. Quand je l'entends couiner, je repars le DVD de Toc toc toc, son émission favorite, puis plus rien.

MOINDRE MAL – "Le problème, c'est qu'il y a sûrement quelqu'un qui l'a porté au pouvoir", écrit Michel Desmeules à propos de notre Régis national.

Le problème? Quel problème?

Au risque d'en surprendre quelques-uns, je n'ai pas changé d'avis à propos de Labeaume: c'est le maire dont Québec a besoin. Son enthousiasme et sa capacité à fédérer les différents milieux relèvent du miracle, d'une réconciliation que cette ville habituée à s'entredéchirer n'attendait plus.

Ses sautes d'humeur, ce qu'il a dit à propos des journalistes?

J'en pense autant de mal que les dernières semaines. Mais on pourra toujours endurer un maire mal dégrossi et arrogant dans la mesure où il porte en lui la volonté d'amener Québec un peu plus loin qu'au coin de la rue.

Et juste quand j'écris cela, je tombe sur cet extrait de La Presse Canadienne: "Le maire de Québec, Régis Labeaume, a ouvert les rues de sa ville à une chasse au trésor qui permettra au gagnant de remporter un billet vers l'espace. […] Selon lui, aller dans l'espace procure "des sentiments extraordinaires"."

Misère…

Je pars pour quelques semaines, très loin, dans une ville où, je l'espère, il est moins souvent question du maire que de ce qu'il accomplit.

Et s'il vous plaît, pendant mon absence, ne m'écrivez pas. À moins que ce soit pour me dire que vous avez été touché par la main de Dieu, je sais pas moi, que vous avez vu la Lumière. Par exemple, que vous vous êtes rendu compte que les scrupules éthiques de Marc Bellemare sont directement proportionnels à son appétit de vengeance.