Insoumis
Desjardins

Insoumis

Il y a des semaines comme cela. De celles où vous savez que la chronique hebdomadaire vous placera à la remorque de l'actualité, parmi les derniers wagons des commentateurs de sujets difficilement contournables.

Vous vous retrouvez donc à suivre la parade. Quelque part vers la queue du cortège, au milieu d'une des dernières fanfares dont on entend surtout les gros clairons, les tubas, les trompettes, la grosse caisse. Moi, je suis plutôt du genre caisse claire et xylophone. Ratatatat, la caisse claire pour le rythme des mots qui déboulent. Et le xylophone, aussi. Pour bûcher fort, mais laisser la beauté des sons feutrés étouffer un peu de la colère du geste.

Alors me voilà, un peu pow pow, un peu gougoune, avec deux sujets déjà archi-usés en seulement quelques jours. On commence par quoi? Les vélos ou Mgr Ouellet? Les vélos, tiens.

Les vélos parce qu'il fait beau, et parce que je risque moins de me fâcher tout de suite. Enfin, si je ne me fâche pas, c'est parce que je me retiens beaucoup, contrairement à plusieurs qui ont les poings en l'air depuis quelques jours, maudissant tous les crisse de becyks dans le chemin. Dans LEUR chemin.

Et puis j'ai déjà tellement écrit sur le sujet que j'ai évidemment l'impression de me répéter. Courtoisie, respect mutuel, la route appartient à tout le monde et gnagnagna…

Maintenant, oublions toutes les règles de civisme. Oublions le Code de la route, les vélos, les voitures. Qu'est-ce qu'il reste? Des gens. Des humains.

Des corps vulnérables. Des corps tordus sur la route. Brisés. Ouverts. Des corps dans des ambulances, à l'hôpital, à la morgue. Des familles dévastées et des conducteurs traumatisés, parce que ce ne sont pas tous des mongols au volant qui tuent des cyclistes, et même quand ce le sont, ils ne voulaient pas nécessairement les buter non plus. Seulement leur faire peur, hein?

Ou peut-être étaient-ils trop pressés pour attendre…

Ça vaut la peine de s'interroger: qu'est-ce qui urge tellement dans vos vies, déjà à moitié comateuses tandis que vous poireautez, assis confortablement dans des tanks de métal climatisés, pour que ralentir une fois de temps à autre à cause d'un vélo vous gâche autant l'existence?

Je demande comme ça, avec le sentiment, cependant, que vous n'avez aucune réponse.

Trouvez pas ça bête, être aussi pressé de rien? Être pressé pour l'être, pour donner de l'importance à du temps qu'on croit précieux, mais qu'on gaspille déjà, paumé dans le trafic? Encore plus bête, la colère que vous faites simplement parce qu'on est là, sur le bord du chemin, de votre chemin. Comme ce con qui nous a dépassés en pick-up l'autre jour, près de Lac-Beauport, en nous faisant toutes sortes de signes qui voulaient dire qu'on ne méritait pas de vivre, et dont je devinais que si nous n'avions pas été cinq contre un, il se serait arrêté pour amener l'altercation à son niveau intellectuel: le même que l'orang-outang.

Pour ceux-là, peut-être un jour, l'hôpital psychiatrique offrira le service à l'auto. Pas pour les soigner, mais les rassurer.

– Allo docteur, j'engueule les gens à vélo sur la route, j'ai envie de leur passer sur le corps, c'est grave?

– Oui, mais rentrez tout de même chez vous. La connerie est aussi banale qu'incurable.

Pow pow, Mgr Ouellet asteure. Je n'ai pas envie de lui répondre, puisqu'on n'attaque pas telle suffisance. Regardez-le, ce n'est pas un homme, c'est une statue. Déjà, son cour est froid comme le marbre.

J'ai plutôt envie de répondre à un lecteur. Pas un ami, une connaissance. On s'est pognés quelques fois à propos de l'Église, on a discuté plus poliment de religion en général, de foi, de spiritualité.

Ce qu'il m'écrivait, en gros (j'ai égaré son courriel), après que j'ai écrit je ne sais quelle charge anticléricale, c'est qu'il était fasciné par notre capacité à nous, petits scribouillards ignorants, d'être aussi sûrs de nous, sûrs de détenir la vérité.

Nous, c'est moi, et c'est aussi le confrère Patrick Lagacé qui signe une charge virulente contre le cardinal cette semaine. Une attaque presque sauvage, vicieuse, mais nécessaire.

Essentielle parce qu'il s'agit d'une guerre. Une guerre de certitudes.

La nôtre: celle de détenir, oui, une forme de vérité. Une vérité absolument contraire à celle que défend ce cardinal qui laisse le venin de la culpabilité et de l'opprobre infuser dans les euphémismes et les sous-entendus de ses discours nauséeux.

Notre idée à nous? Elle est simple et humble, contrairement à celle de l'Église, qui pontifie, qui déclame, qui croit malgré tous ses échecs passés détenir le secret du bonheur collectif.

Ce à quoi nous croyons, c'est la liberté. Bien évidemment, on me répondra que nous en usons bien mal. Même qu'il arrive qu'on ne sache trop quoi en faire, qu'on en abuse, qu'on la banalise, ou pire, qu'on la confonde avec notre pouvoir d'achat. Vrai, vrai, vrai, et encore vrai. Mais malgré nos turpitudes, nous n'y renoncerons pas. Nous apprenons à nous en servir, pour le meilleur et pour le pire.

Alors voilà, oui, nous sommes habités par cette certitude. Que notre liberté malhabile vaut mieux que l'asservissement. Que le bonheur ne passe pas par un dogme religieux. Que nous refusons de revenir en arrière sous prétexte que le chemin que nous avons choisi est truffé de pièges sur lesquels il nous arrive souvent de trébucher.

Nous nous relevons quand nous tombons, et peut-être qu'à force de nous casser la gueule, nous apprendrons un jour à vivre mieux. Mais chose certaine, nous assumerons notre bonheur comme notre malheur. Et même devant nos plus catastrophiques erreurs, collectivement et individuellement, ce que le Québec entier est en train de dire à Mgr Ouellet, aux freaks de la vie à tout prix, c'est qu'ils ne nous imposeront pas leur morale.

Nous sommes et resterons insoumis.

Ratatatat!