Courrier des grandes et petites morts
Courte pause, histoire de mettre au point quelques idées, et de répondre, surtout, au courrier qui abonde. Comment s'attendre à autre chose quand il est question de religion, d'avortement, de soins de santé, de vie et de mort?
À propos de la chronique d'un homme très malade qui ne veut pas en finir, la semaine dernière, R. écrit: "Votre texte m'a absorbé alors que je dînais à la cafétéria de l'hôpital où j'étais de garde, car je suis médecin résident. Le point qui m'a agacé, vous le devinerez bien, est le passage où le médecin traitant du patient aurait affirmé qu'il coûtait cher… Il est très possible que ce médecin ait dit cela à cet homme, toutefois, cela ne reflète certainement pas l'opinion de la majorité des médecins quant à la pertinence ou non des soins lorsque l'on est au crépuscule de sa vie. Je n'ai que 34 ans, mais je suis déjà assez vieux pour avoir quelques souvenirs et me rendre compte que même si le corps vieillit, le cour (au sens "tête" du terme!) lui ne vieillit pas et qu'en conséquence, le désir de vivre peut encore être très vif, même à 88 ans. Sur ce (car on vient de m'appeler pour un nouveau cas à l'urgence), je vous souhaite une bonne journée et une longue vie."
Par où commencer? Par ce que j'écrivais en préambule à cette histoire inventée: je ne voulais pas en faire un commentaire politique ou moral, simplement un cri du cour. Je voulais montrer l'envie de vivre à tout prix, et peut-être un peu aussi, puisque l'anecdote est modifiée, mais sa prémisse authentique, le manque d'empathie de certains médecins.
Ce n'est évidemment pas le cas de tout le monde, et il y a des cons partout, sauf qu'un plombier un peu bête, on s'en remet plus facilement.
Cela dit, puisqu'on aborde la partie délicate du sujet, je ne suis même pas certain que ce médecin de mon histoire a tort. Où se termine le traitement et où commence l'acharnement? Ça dépend à qui on parle. Comme vous le dites, les avis sont partagés. Et si le débat éthique est intéressant, il est aussi relativement impossible à faire aboutir, puisqu'on y fait entrer la religion, la morale, et en plus ce côté un peu tata qu'ont parfois les médecins lorsqu'ils confondent leurs patients et un arbre de Noël.
Les voilà qui s'émerveillent devant le miracle de la médecine moderne: c'est si beau toutes ces lumières qui scintillent, faudrait les laisser allumées plus longtemps…
Là où se consomme le plus souvent le divorce entre médecins et patients, c'est dans une incapacité à communiquer correctement qui s'étend de la maladresse à la goujaterie.
Un médecin peut bien penser: ce type nous coûte cher, ça n'a pas de sens. Il peut même tenter de raisonner son patient. Sauf que le lui dire ainsi, le culpabiliser en lui montrant où apparaît son nom dans la colonne des passifs du budget de l'État, ça mérite des baffes.
Mais bon, on n'achève pas les cons, même s'ils sont incurables. Au contraire, en général, ils ont droit à une promotion.
Directeur de l'hôpital, docteur, ça vous dit?
FAUT EN PARLER – Beaucoup de lecteurs m'écrivent sensiblement la même chose: d'habitude, nous sommes plutôt d'accord avec vous, mais là, non. L'avortement, nous sommes contre.
De même, bedang, nos routes divergent de manière presque spectaculaire. Ils ne sont pas plus conservateurs que moi pour le reste. Sont pas contre la contraception ou le sexe avant le mariage. Ils emmerdent monseigneur Chose.
Ce qui les fait freaker, dans la vaste majorité des cas, c'est la banalisation, l'avortement qu'on confond avec un moyen de contraception. Ils disent aussi que c'est un tabou.
Pas le droit d'en parler, donc? Puisque je suis absolument pro-choix, mais flabbergasté par le phénomène, parlons-en.
Est-ce rétrograde de dire qu'il ne se fait pas assez de prévention pour limiter le nombre d'avortements au Québec? Est-ce qu'on met à risque les droits des femmes en s'interrogeant sur le coût psychologique d'avortements répétitifs? Et là, on ne parle pas d'une bad luck, ou même de deux, et encore moins d'un viol, comme l'autre cosmonaute qui croit saisir le monde alors qu'il évolue en orbite autour. On parle d'avortements en série, d'insouciance chronique, et peut-être aussi d'un gros mal de vivre qui vient avec.
Est-ce rétrograde, encore, d'ajouter que des études montrent que les États qui font le plus d'éducation sexuelle connaissent généralement le moins grand nombre de grossesses non désirées, et qu'il serait à peu près temps qu'on investisse là-dedans, massivement?
Ces lecteurs ont raison sur un point: le tabou. Et derrière, la peur de culpabiliser, de revenir en arrière. Voilà pourtant ce qu'on devrait dire sur l'avortement, avec délicatesse, mais aussi en responsabilisant les gens:
Mal prise, c'est là, c'est facilement accessible, on ne te jugera pas, c'est pas un crime, mais c'est pas rien non plus. Et tu peux aussi faire plein de choses pour ne pas en arriver là, pour prévenir ce qui risque d'être une épreuve pénible. Pis toi aussi, mon gars, c'est ta responsabilité, pas seulement la sienne à elle. Voici la photo d'une clinique. Voici comment ça se passe. Voilà ce qu'elle ressent, elle. Essaye donc de me dire que t'aimes pas ça mettre une capote maintenant.
DONNE-MOI TA BOUCHE – Encore cette chronique où j'inventais la vie d'un homme qui n'a plus que ses souvenirs: j'y écrivais cet épisode où il se remémore, parmi plein d'autres choses, sa femme qui lui taille une pipe.
Suzanne répond, depuis une lointaine banlieue de la Terre: "Pourquoi t'as besoin d'insulter les femmes au passage? Quand une femme lit ce genre de remarque, elle ressent de la colère et cela fait en sorte qu'il peut y avoir une guerre de pouvoir dans la chambre à coucher et que les femmes se braquent de plus en plus à ne pas vouloir essayer de nouvelles choses. T'as beaucoup de talent mais quand tu passes ton fiel sur le dos des femmes, là tu baisses dans mon estime."
Tailler une pipe, une nouvelle chose? Mon fiel?
Anyway, il y avait bien une raison pour inclure cette scène, pour y mettre du sexe, de l'érotisme. Parce que c'est la vie, madame. Con de même, oui. Et aussi parce que pour cet homme, le souvenir de ces délicieuses petites morts lui faisait un peu oublier la grande.
Monsieur Desjardins,
Vous remercierez Suzanne de ma part, son commentaire m’a fait bien rire.
Moi aussi j’aime les « cosmonautes » qui sont des clowns qui s’ignorent.
Amitiés,
SDelisle