Desjardins

Les agaces

Il y a quelque chose d'absolument adorable dans le discours que tiennent mes amis de la radio depuis quelques semaines à propos du nouvel et toujours aussi hypothétique amphithéâtre.

Eux qui vomissent les subventions à la culture et l'intervention de l'État dans un quelconque secteur d'activité théoriquement mieux servi par le privé, les voilà qui se désolent que le gouvernement fédéral tarde à sortir le chéquier. Et même qu'ils se mettent à chialer comme des enfants quand ils entendent Harper et le beau Maxime Bernier servir leur propre sermon.

Bon, je sais, je ne suis pas le premier à souligner la contradiction. Mais voyons maintenant par quelle contorsion idéologique ils parviennent à faire ignorer à la main gauche ce que fait la main droite. Ou si vous préférez: comment font-ils pour justifier cet aussi soudain qu'opportuniste changement de cap?

Avec l'argument du p'tit dernier qui regarde ses grands frères recevoir le linge neuf qu'il devra porter dans cinq ans.

"Me semble que c'est à mon tour, là", argumentait le coanimateur l'autre matin à Radio X.

Pauvre ti-pitte.

Je me moque, mais il n'a peut-être pas tout à fait tort. En fait, je n'ai pas vraiment d'opinion sur le financement public du Colisée, si ce n'est celle-ci, plutôt molle: pourquoi pas?

Mon agacement est plutôt dans l'étalement public du montage financier qui se fait depuis des semaines à grands coups de conférences de presse, de pleines pages dans les journaux, d'interminables explications à la radio, à la télé, et d'études que tout ce qui porte une cravate, a été élu ou nommé quelque part se donne le droit de commenter.

Une sorte de concours de popularité entre paliers de gouvernement.

Pas qu'on souhaite que la chose demeure secrète, mais cette manière de négocier par médias interposés est d'une telle inélégance – sans compter que ça ameute l'Ouest canadien, qui est évidemment contre – que de répondre positivement par la suite ressemble à du masochisme.

On fait un pari? Le fédéral va injecter tout l'argent qu'il faudra dans ce nouveau Colisée. Il laisse seulement sécher Régis et Sam Hamad un peu. Pourquoi? Parce qu'ils le méritent, parce qu'on ne quémande pas en mettant un couteau sous le menton des passants. Ça ressemble un peu trop à de l'extorsion.

Bien sûr, j'ignore ce qui se déroule en coulisses, et sans doute le maire, exaspéré d'attendre, a-t-il fini par sortir publiquement pour faire aboutir le projet, reste que son attitude comme celle du ministre de la région met tout le monde dans l'embarras.

Sauf peut-être les députés conservateurs de Québec qui, eux, se peinturent dans le coin comme des grands, sans qu'on les aide. Leur sortie publique avec des chandails des Nordiques sans avoir rien d'autre à proposer que quelques voux pieux est l'exercice de racolage le plus pitoyable qu'il nous a été donné de voir depuis longtemps en politique.

En fait, la chose était d'un tel ridicule qu'on comprend mieux, chaque fois que l'un d'eux ouvre la bouche, que le cabinet du premier ministre applique un contrôle aussi serré sur ses députés.

Rien que des putes, vous dites?

Nah, les putes ont au moins quelque chose à offrir. Ceux-là jouent un autre jeu, détestable. La séduction puis la dérobade.

Quand j'étais ado, on appelait ça des agaces.

UN ÉLAN – Pensez bien que j'allais vous parler de vélo alors qu'on sort non pas d'une semaine, mais d'un mois pendant lequel la ville s'est transformée en Mecque du bicycle.

D'abord, il y a eu le Vélirium, les Championnats du monde de vélo de montagne (le tout parfaitement orchestré par les gens de chez Gestev), puis le Grand Prix cycliste.

Ivan Basso (champion du Giro d'Italie cette année), croisé lors d'une rencontre avec les clients de la boutique GTH, m'a regardé d'un drôle d'air quand je lui ai dit que Québec se fichait éperdument du vélo. Et même, que la tendance, chez nous, était plutôt à l'anéantissement du cycliste.

Tu me niaises, disait le regard de celui qui, comme les autres, a été reçu ici en prince, avant qu'il ne se recompose et me serve une réponse lénifiante sur la toute-puissance du Pro Tour. La même que Ryder Hesjedal quelques heures plus tôt en conférence de presse: nous irons là où on nous dit d'aller.

Basso a dû croire que j'étais un solide tata quand il a vu tout ce monde autour d'un parcours splendide, peut-être trop carte postale à mon goût, mais qui avait l'avantage de se marcher facilement et, c'était évidemment l'idée, de faire joli à la télé.

Vous vous rappelez votre bonheur pendant les mondiaux de hockey, lors des grosses parties, ben moi, vendredi, c'était pareil. Check, c'est Hincapie. Go Ryder! Et là, c'est Horner. Et là Sagan. Et Leipheimer. Heille, Rollin a encore changé de vélo, ça va ben mal…

Mon bonheur était encore plus grand parce que je n'étais pas seul avec ma gang, avec ceux qui roulent et qui composent habituellement, dans ce pays qui se fout du cyclisme, 99,9 % des amateurs. Vous aussi vous étiez là! Vous avez pris congé, même si vous n'y comprenez rien, même si c'est long, et surtout un peu obscur pour le néophyte de voir trois ou quatre types se regarder en chiens de faïence pendant qu'un Français se sauve doucement vers la victoire.

Peu importe: vous avez répondu à l'appel, vous avez crié, il y avait une énergie à l'arrivée de la course comme j'en ai rarement senti ici pour d'autres sports que le football et le hockey.

J'ai le sentiment que plus ça va, plus il éclot dans cette ville une envie. Une vibration, oui. Appelons ça un élan. Un enthousiasme contagieux, le goût de vivre des expériences nouvelles ensemble, d'investir la rue, de s'imbiber d'autre chose que de téléromans et de scandales.

Une envie qui, sait-on, pourrait peut-être un jour venir à bout des atavismes d'une classe moyenne trop confortable, individualiste et bougonneuse.

Si, ne serait-ce que pour un jour seulement, vous vous mettez à tripper sur les cyclistes plutôt que de vouloir les écraser, alors là, vraiment, tout est possible.