Croire
Chronique d'idées, d'humeur, de sport, d'actualité ou littéraire? Un peu tout ça en même temps, tiens.
Ça commence par l'actualité, qui est sportive et nostalgique.
À moins d'avoir passé les derniers jours sous une pierre, vous avez vu la marée bleue se répandre sur la ville: 50 000 personnes débarquées sur les Plaines pour se souvenir du bon vieux temps et pour rêver ensemble qu'un jour, elles pourront le revivre. J'en ai vu partout, ça débordait de tous les côtés. À Sainte-Foy, elles étaient à tous les arrêts d'autobus. Plus tard, sur Champlain, j'ai vu l'escalier du Cap-Blanc virer au bleu.
Riez si vous voulez, moi, je ne trouve pas cela très drôle. Ni accablant d'ailleurs. Je trouve ça… comment dire… juste normal, mettons.
Je lisais Pratte dans La Presse qui disait sensiblement la même chose que Tasha Kheiriddin du National Post lundi: en l'espace de quelques mois, dans ce bastion conservateur (essentiellement pour des motifs économiques), les gens de Québec descendent dans la rue pour réclamer une cure d'amaigrissement de l'État au provincial, puis ensuite demandent le financement public d'un amphithéâtre dont on ignore s'il sera rentable (et on se doute que non).
Au final, nos deux scribes demandent plus ou moins la même chose: coudonc, sont schizos ou quoi?
Et c'est là, sur cette question relative à la santé mentale ambiante de la région 03, que débute la portion littéraire de cette chronique, avec deux romans, tout frais sortis, et qui répondent peut-être à la question de ces éminents collègues.
Deux livres, donc. Deux romans. Le plus récent Michel Houellebecq (La Carte et le Territoire) et le tout premier de Nicolas Langelier (Réussir son hypermodernité et sauver le reste de sa vie en 25 étapes faciles). Des récits qui se croisent et se recroisent en décrivant la dérive de nos sociétés modernes, l'absence de sacré, la perte des anciens repères, nos rapports affectifs aux objets, la difficulté à communiquer, les remparts qu'on élève entre nous, les familles fuckées, les amours impossibles, tout cela dans une époque qui ne rêve plus, qui a oublié comment rêver en gang, à la même chose en même temps. Alors pour ne pas mourir de peur et d'ennui, on déconne, on prend tout à la légère, on dédramatise, on ironise, on caricature, on se planque, on fuit par en avant. On se distrait en attendant de mourir.
Dans un cas comme dans l'autre, non seulement le constat est brutal, mais il est juste.
Nous voici, maintenant, peuples occidentaux sans Dieu, sans promesse d'un avenir meilleur, sans rêve commun, sans aspirations, avec comme dernière satisfaction un matérialisme où le bonheur est toujours fuyant, rendu caduc par la prochaine pub.
Vous ne voyez pas le rapport avec le sport, avec la Marche bleue, avec cette nostalgie récupérée par tout ce qui veut se faire réélire ou scorer fort au prochain sondage BBM?
Je vais vous faire un dessin, ok?
Ici, un grand vide. Là, quelque chose pour le remplir. Ce n'est pas une idée, c'est du hockey. Mais c'est un espoir pareil, comprenez-vous? C'est l'occasion de crier ensemble, de vénérer les derniers dieux qui sont ceux du stade, de l'aréna.
Je vous le disais, tout cela n'est pas édifiant ni triste. C'est juste… normal. Une conséquence du monde dans lequel nous vivons.
Un monde où plus rien ne nous galvanise. La politique s'écrase sur elle-même, proprement, comme un casino de Vegas qu'on dynamite, mais il n'y a rien pour le remplacer. La question nationale n'éveille même plus les passions, la culture populaire se fragmente en champs d'intérêt de plus en plus étroits, le monde est divisé en parts de marché.
La chroniqueuse du National Post déplore que "le pain et les jeux" l'emportent sur la saine gestion de l'argent public. Elle a parfaitement raison. Sauf que toute l'idéologie que son journal défend carbure exactement à cela: à l'asservissement du monde à un capitalisme qui trouve ses aises dans le divertissement, qu'il soit sportif ou culturel ou que sais-je encore.
Cela nous a menés au cynisme actuel, lequel a pour conséquence que pour vibrer tous ensemble, il ne reste plus grand-chose. Plus de messe en tous cas. Plus de politique non plus. Même pas la sensation qu'un monde meilleur nous attend demain.
Il reste quelques concerts rock, les plus consensuels. Puis il y a le sport. Et là, on parle de notre sport, de la fibre identitaire ou de ce qui en reste.
Cette marche sur Québec, cette demande complètement irraisonnable et effectivement un peu schizo d'un amphithéâtre financé à même les fonds publics, c'est pas juste une affaire de nostalgie. Ça dépasse la raison.
Les gens ne s'ennuient pas seulement de Wally Weir, de la mitte de Dieu ou de Wilfrid Paiement. Ils s'ennuient d'une sorte de foi qui serait renouvelable, match après match, saison après saison. Ils s'ennuient de l'espoir. Ils s'ennuient de n'être plus engourdis. Ils s'ennuient des victoires comme des défaites.
Ils ont besoin de croire en quelque chose, en n'importe quoi. Juste de croire.
C’est bien vrai que nous sommes un société qui carbure au divertissement. Un sportif professionnel bien ordinaire gagne dix fois plus qu’une infirmière, vingt fois plus qu’une éducatrice en garderie. Si on les évaluait en fonction de leur véritable contribution à la société… C’est la loi du marché et c’est bien normal qu’en découle un certain cynisme. Et réalistement, même si nous obtenons une équipe de hockey, elle sera certainement bien ordinaire. Ce qui contribue aussi au cynisme, c’est que nous sommes aujourd’hui plus informés (mieux, ça reste à voir). Nous savons que le églises, les politiciens, la publicité et les médias nous mentent dans leur seul intérêt. Rien n’est gratuit, personne ne nous fait de cadeau, les financements à 0%, ça n’existe pas, les X mois sans intérêt non plus. La première préoccupation de toute entreprise privée sera toujours le profit. L’argent que les gouvernements dépensent n’est pas le leur, chose qu’ils oublient trop souvent. Prenons soin de nos proches, c’est ce qui nous rapporte le plus.