Desjardins

La montée de la droite expliquée aux enfants

Pourquoi la droite est-elle aussi populaire?

Essentiellement, parce qu'elle répond à quelque chose, et qu'elle y répond vite et bien. Par bien, je veux dire: avec une incomparable efficacité.

À quoi répond-elle au juste?

À l'insatisfaction, à la complexité inhérente à la gauche, mais elle répond à la peur, surtout. Regardez comment opère le Tea Party aux États-Unis. Écoutez les mensonges de Fox News, prodigués comme de l'information. Tapez-vous les délires paranoïaques de Sylvain Bouchard pendant 15 minutes cinq fois par semaine, et essayez seulement de ne pas mourir d'inquiétude.

Toujours la peur de se faire fourrer, la peur de perdre le contrôle, d'être malade et de ne pas être soigné à cause du système de santé pourri. La peur de l'État qui vous vole votre cash. La peur du socialisme, la peur de cet État totalitaire qui veut votre bien et qui va l'avoir, bon.

C'est pour ça qu'ils parlent tout le temps de liberté?

Si on veut. C'est une manière de répondre au sentiment d'impuissance que provoque la mainmise de l'État sur plusieurs aspects de la vie. Pour eux, la liberté, c'est surtout celle de dépenser son fric comme on le souhaite, donc d'être taxé au minimum, et d'assumer soi-même son bien-être plutôt que de laisser l'État s'en charger. Remarquez, souvent, ça se défend. Je veux dire que le système auquel ils s'en prennent est attaqué de l'intérieur, et prête ainsi le flanc à tous les assauts, avec pour seul rempart l'idée qui est à l'origine du système en question.

Euh, je te suis pas trop, là…

OK, prenons le système de santé. Une statistique comme celle qu'a diffusée la Fédération des médecins spécialistes du Québec, il y a quelques semaines, sur l'inflation monstrueuse de la bureaucratie du système de santé ne peut que donner raison aux détracteurs de l'universalité des soins gratuits pour tous. La bête semble en effet grossir, inexorablement, et il n'existe aucune véritable volonté politique d'en venir à bout.

La réaction de la droite, c'est: vous voyez bien, le monstre que vous avez créé est en train de se dévorer lui-même pour devenir plus gros. Alors tuons le monstre.

En face, la situation est à ce point indéfendable qu'il ne reste plus qu'à invoquer le principe d'universalité, c'est-à-dire à brandir l'idée (l'égalité et l'accessibilité) bien haut, comme un mât beau et solide au bout duquel on tendrait cependant des voiles déchirées.

Pourquoi tu dis que la droite répond bien à la situation?

Parce qu'elle propose des solutions réconfortantes, qui ont l'air magiques et semblent irréfutables parce que déguisées en pragmatisme et en gros bon sens.

D'habitude, on commence par invoquer le monopole des sociétés d'État comme principale source d'une piètre gestion et de déficience des services. Cela va de soi, disent-ils: sans compétition, sans rivalité, pourquoi se forcer pour offrir de meilleurs services et être concurrentiels?

Le gros bon sens, vous disais-je, leur donne évidemment raison.

L'expérience, elle, nous montre que l'entreprise privée n'a pas de quoi pavoiser. Des exemples? Il y en a mille, mais prenons-en un tout simple: la téléphonie cellulaire. Une poignée de compagnies offrent des services au Canada, pourtant, les coûts sont parmi les plus élevés au monde. Où sont donc les bénéfices d'un marché ouvert et de la concurrence?

Et la dernière fois que vous avez appelé au service à la clientèle d'à peu près n'importe quelle entreprise privée, combien de temps avez-vous poireauté en attente? Pourquoi en serait-il autrement dans un hôpital au rabais que vos assurances privées vous obligeront à fréquenter, parce que vous n'aurez pas les moyens de vous payer le forfait blindé dont vous rêvez, celui qui donne accès aux soins rapides, dans des hôpitaux immaculés, comme aux States?

Je suis démagogue, dites-vous? Sans doute, oui. Je joue le jeu des médias de la droite: du n'importe quoi packagé comme une irréfutable preuve. Une demi-vérité bien emballée.

OK, mais es-tu en train de dire que ce serait pire encore avec le privé?

Non. Je suis en train de dire qu'on n'en sait rien. Je suis en train de dire qu'il n'y a pas de modèle parfait. Mais surtout, je suis en train de dire ma colère qui n'est pas exactement la même que celle d'une droite prête à se tourner vers n'importe quoi, et surtout à se détourner de son prochain pour assurer son confort.

T'es en colère comment?

Je suis un champ de bataille, je me sens scindé, divisé. Une guerre entre raison et passion. Je suis criblé de doutes, révolté contre l'imbécillité et l'absence de vision des politiciens et des fonctionnaires qui ont laissé se lézarder nos idéaux de justice sociale par manque de courage. Je suis en colère contre une machine immense que je n'arrive pas à saisir, à comprendre, et qui avale tout. Une machine de laquelle émanent des décisions qui me semblent absurdes, si absurdes, en fait, que j'en viens à comprendre les tenants de la droite, à partager leur indignation, même si je refuse leurs raccourcis et leurs solutions toutes faites qui puent l'injustice.

En fait, ce que je ne comprends pas et qui m'irrite se résume par une question: si une bonne idée est brisée, et même si elle montre d'importants signes de faiblesse, est-ce qu'on pourrait pas la réparer plutôt que de la remplacer par une autre qui a l'air meilleure simplement parce qu'elle n'est pas aussi usée?

Mais bon, en même temps, je sais bien que les idées sont comme le reste: toujours plus séduisantes et racoleuses quand elles sont encore dans leur emballage.