Le (grand retour du) département des plaintes
Desjardins

Le (grand retour du) département des plaintes

Retour dans un passé pas si lointain. Au temps où les gens se contentaient de m'aimer secrètement et de m'haïr en m'agonisant d'insultes dans une lettre manuscrite, rendue illisible par une écriture aussi minuscule que frénétique qui occupait chaque centimètre du papier. Ou alors, c'était un bon vieux courriel dans lequel le fiel était copieusement étalé, comme une sorte de miel aigre coulant sur une toast molle: Tadam! Salut Ducon, je t'emmerde!

C'était avant qu'on se passe mes chroniques sur Twitter précédées d'un +1, avant qu'on me voue aux gémonies sur la page Facebook du Réseau Liberté-Québec en ignorant tout le plaisir malsain que j'en retire.

Alors, même si la nostalgie n'est plus ce qu'elle était, on se fait un bon p'tit département des plaintes comme dans le temps?

MONGOLS – Je savais que ça arriverait, quelques membres de ma tribu m'ont pris à partie pour ma sortie plutôt timorée concernant l'évolution du réseau cyclable. Rewind. J'y disais, finalement, que c'est pas si mal cette route sur Père-Marquette, qu'on allait devoir modifier la signalisation pour améliorer la sécurité et la fluidité du parcours, mais que le changement dans les transports se fait lentement, progressivement, sans trop écourer le monde.

Baby steps, comme y disent.

Vous m'avez répondu avec des arguments tout à fait valables en faveur d'un lien direct, ce à quoi je rétorque que ç'eût été idéal, mais peut-être pas aussi souhaitable que vous le croyez dans le contexte actuel qui est plutôt à l'anéantissement des cyclistes. Mais surtout, vous avez tiqué que je vous traite de mongols si vous roulez à vélo l'hiver.

D'abord, capotez pas, je passe mon temps à traiter tout le monde de mongols. Ma fille, le chat, ma blonde, mes amis, mes frères, ma sour (mais pas ma mère, hein). C'est plutôt affectueux.

Sauf que j'ai roulé quelques hivers à vélo, assez pour en avoir retiré beaucoup de plaisir, et pour savoir que c'est aussi passablement pénible. D'où le "mongols", comme dans joyeux mongol, mais mongol pareil. Les vêtements, la mécanique, les autos qui vous maudissent d'être là quand une grosse ornière de neige bloque l'autre voie et que, par conséquent, vous bloquez le trafic, le cadenas gelé, la plaque de glace qui vous envoie au sol: vous aurez beau me servir l'argument de la santé, du fric et tout, reste qu'il faut avoir sérieusement envie de se faire chier.

Si ça vous branche, allez-y. Mais la vérité est là: on ne risque pas de voir des hordes de cyclistes d'hiver apparaître sur les routes, piste cyclable sur René-Lévesque ou pas. Mais on s'en crisse, soyez donc justement des mongols dans ce monde de sécurité maladive, de pratico-pratique, de tapis sauve-pantalons et de pénible gros bon sens où la majorité confond démocratie et dictature du plus grand dénominateur.

LE PAYSAGE – "Pour qui vous vous prenez? Dans votre chronique, vous dites ne pas comprendre pourquoi on voudrait vivre sur le bord du boulevard Sainte-Anne. Si je veux habiter dans une maison qui m'appartient, que je ne veux pas payer cher, et que cette maison-là est située sur le bord d'une autoroute, c'est mon droit, non?" – Michel

Oui, Monsieur, c'est votre droit. Comme c'est le mien de répéter que je comprends pas, qu'il n'y a jamais une économie d'argent ou une quelconque volonté de posséder ma demeure qui me fera vivre dans ces conditions. Chaque fois que je prends la 20, je regarde les maisons au bord de la route avec une surprise sans cesse renouvelable: kessé qu'y font là?

Cela dit, on est à côté du débat qui était: que fait-on du patrimoine agricole de la Côte-de-Beaupré, quel intérêt avons-nous à préserver ce qui reste d'un paysage déjà malmené?

Mais au fond, en éludant la question, vous y répondez. Je vous ai parlé de décor, d'histoire, de qualité de vie, de beau et de laid, vous m'avez répondu "c'est pas cher".

Finalement, votre intérêt pour le patrimoine, c'est surtout de savoir à combien il revient au pied carré? C'est bien ce que je croyais.

ENCORE LE FRIC ET LE GOÛT – On ne refera pas ici, pour la millième fois, tout le débat sur le goût, la critique… D'abord parce qu'on ne s'entendra jamais, puis parce que vous commencez à sérieusement m'emmerder à force de refuser de voir la réalité.

Dans le genre, Dominique écrit à propos de la chronique de la semaine dernière sur le goût formaté par Star Académie: "Banal et nul pour qui, pourquoi? (…) Une ouvre artistique a la valeur de ce qu'elle produit comme effet."

Ok, mais si cet effet est fabriqué artificiellement, quelle est sa véritable valeur? Je veux dire: si cet effet est le résultat d'un calcul marketing où l'on construit de l'émotion à force de séquences judicieusement choisies, d'une mise en scène élaborée sur des semaines et des semaines et d'un matraquage médiatico-publicitaire qui n'a finalement rien à voir avec une ouvre d'art, mais tout à voir avec la mise en marché, une ouvre a-t-elle une autre valeur que marchande?

Bref: l'émotion fabriquée est-elle encore une émotion, ou plutôt une commande, un conditionnement?

D'autres, dans le même sens, m'ont reproché mon mépris pour Star Académie, pour les gens qui apprécient l'émission, la musique qu'elle produit. "Ils sont libres d'aimer ça ou non", m'a-t-on écrit quelques fois.

Je cherchais une manière intelligente de vous répondre, je suis tombé sur une explication de la pensée de Spinoza qui, en gros, dénonce la fausse liberté qui consiste à se croire vraiment libre, alors qu'il y a mille conditions qui nous empêchent de l'être.

La seule liberté, donc, c'est d'être conscient de ce qui nous asservit, nous conditionne, nous fabrique. Ici, le marketing qui façonne le goût.

"Ça n'a rien de bien nouveau comme phénomène", a ajouté un lecteur qui faisait son malin.

Et puis quoi? Au terme d'une révolution dans l'éducation qui devait démocratiser le savoir et la culture, on se retrouve finalement aussi cons qu'avant, menés par le bout du nez, les curés remplacés par la télé et le désir de posséder pour posséder.

Vous avez raison, rien n'a changé. Ça vous rassure, vous?