Rapprochez-vous, ce sera plus facile
Desjardins

Rapprochez-vous, ce sera plus facile

Comment fonctionne une chronique, comment ça s'écrit?

Ça dépend. Parfois, tout découle d'une phrase.

"Il y a des moments vers lesquels on revient toujours, nous vivons en eux, nous y sommes, et après il n'y a plus rien."

Ça commence avec cette citation, tirée de Zoli, un roman de Colum McCann, puis ça déboule.

Le lien se crée, se tisse, il se déroule pour atteindre un sujet à deux millions d'années-lumière de ce récit de gitans, ou plutôt de l'histoire de cette Tzigane plus ou moins slovaque, devenue la voix de son peuple, et dont on sait depuis le début qu'elle tombera en disgrâce.

C'est peut-être aussi parce que ce roman est traversé de nombreux fantômes que j'ai tout de suite pensé à l'émission de médiums que j'ai aperçue à la télé l'autre jour, et que le lien s'est fixé.

Un sujet très, très loin du roman, je vous disais, mais tellement près de cette phrase que j'ai soulignée.

M'est revenue en la lisant l'image de cette femme qui pleurait pour la caméra après avoir prétendument parlé à je ne sais plus qui grâce au médium qui faisait répondre le mort à grands coups de table qui bouge. Était-ce son père, son mari, son fils?

Aucune importance.

Ce qui en a, c'est l'exploitation qu'on fait de la fragilité des êtres à des fins télévisuelles. Des gens pour qui "après il n'y a plus rien". Des gens qui veulent revenir à ce moment où leur vie avait un sens, à qui on promet que tout cela est vrai, que c'est bien le mort qui leur parle.

C'est là toute la différence que le "vrai réseau" ne semble pas saisir entre un magicien et un médium.

Le premier émerveille, mais on sait qu'il y a un stratagème. Le résultat est ahurissant, invraisemblable, mais tout le monde pense à la même chose: comment fait-il? C'est quoi le truc?

Avec les médiums, on touche à l'extrême sensibilité humaine, au domaine des émotions, on navigue dans les eaux aussi troubles qu'obscures de la mort, des souvenirs, du deuil et sans doute aussi des regrets. Soudainement, ce qui n'est qu'un truc banal pour un magicien (faire bouger une table) prend des proportions monstrueuses. Le réel n'a plus prise, la raison est évacuée, des milliers d'années d'arnaques organisées (les religions) ou artisanales (les médiums) n'y feront rien.

On veut y croire, donc il faut que ce soit vrai. Sinon, on ne s'enfoncera que plus profondément dans sa tristesse.

Voyez-vous la laideur? Sentez-vous l'odeur répugnante des profiteurs?

Je ne parle même pas des médiums, dont on sait qu'ils sont de joyeux crosseurs que les scrupules accablent rarement. Je parle d'une station de télé qui a déjà l'habitude de la niaiserie et de l'imbécillité, mais qui cette fois pousse pas mal trop fort et trop loin.

Et en même temps, qu'est-ce que nous pouvons être désespérants. Et désespérés, accrochés à des mirages dont nous savons qu'ils n'existent pas, mais que nous suivrons tout de même jusqu'au bout. Comme si de fixer le vide allait nous permettre d'oublier la douleur du présent.

Nous sommes comme cet autre personnage dans Zoli qui ne cesse de courir à sa perte, puis qui dit devant le peloton d'exécution: rapprochez-vous, ce sera plus facile.

ENCORE QUEBECOR – Pourquoi joindre la chorale de ceux qui fustigent Pierre Karl Péladeau? Pourquoi ajouter un autre char au cortège des récriminations qui lui sont adressées?

D'abord par principe.

Péladeau s'attarde ces jours-ci devant les tribunaux à défendre son honneur et sa réputation. Sa cause, il le sait, était plus ou moins perdue d'avance, peu importe que le juge qui y préside soit à côté de ses pompes.

Alors pourquoi avoir poursuivi Sylvain Lafrance et Radio-Canada pour presque trois quarts de million si ce n'est pas pour gagner?

Disons que ça donne l'impression de celui qui souhaite fermer la gueule au monde, à tous ceux qui seraient tentés de faire pareil.

Voilà une raison de crier, voilà pourquoi il faut dire notre dégoût devant les manières d'un homme d'affaires qui ne combat pas, qui ne négocie pas, mais fait taire, et qui écrase jusqu'à l'extrême humiliation comme il l'a fait avec les employés du Journal de Montréal.

Heureusement pour PKP, ses cheerleaders sont nombreux. J'entendais mardi matin Monsieur Liberté lui-même, Éric Duhaime, dénoncer l'attitude des journalistes de la FPJQ devant le géant Quebecor, se moquant d'eux avec la conviction aveugle de ceux qui se croient investis de la mission divine de sauver le Québec de lui-même. Ses arguments? Le monde des médias a changé, des journalistes à 125 000 $ par année payés à ne rien faire, ça n'a pas plus sa place.

Et vlan les caricatures, les raccourcis et les exagérations qui renvoient le discours au monde des slogans bien plus qu'à une certaine vérité.

Mais bon, sur le fond, il n'a pas tort. Qui veut des journalistes? Qui se soucie de la qualité des nouvelles? Duhaime l'a compris lui aussi, l'époque n'est pas à l'information, mais au racolage médiatique. Elle n'appartient pas à un monde de sens, mais à un univers de productivité. La quête du bonheur n'est pas une tentative de vivre mieux, mais de vivre plus. Pour seulement 52 paiements égaux de 35 $.

Pourquoi joindre la chorale de ceux qui fustigent PKP?

Parce que dans l'inélégance des gestes comme dans la médiocrité des idées qu'il défend s'incarne le pire de ce que nous sommes.