Le cul, la vie
Si on ramenait le cours d'éducation sexuelle dans les écoles et que j'étais prof, je commencerais chaque année par la même vérité universelle: les garçons feront tout ce qui est en leur pouvoir pour coucher avec les filles.
Suivrait une confession: je le sais, parce que moi aussi, bon. Je n'avais qu'une règle: ne jamais dire à une fille que tu l'aimes si c'est pas vrai. Parce que ça, c'est juste odieux.
J'ai donc payé des sorties au cinéma, feint l'intérêt pour une myriade de sujets qui m'intéressaient à peu près autant que la dentisterie animale, assisté à des spectacles d'un ennui mortel sans rien dire (un exploit), enduré des copines débiles, des disques médiocres, des émissions de télé insoutenables, et surtout, j'ai déversé toute ma science, qui consistait en un mélange de ténèbres intellectuello-trash et de coulis de mièvreries aussi collantes et subtiles que du sirop de poteau.
Voilà ce que je dirais aux filles si j'étais prof d'éducation sexuelle: méfiez-vous des garçons. Y compris des gentils. Et pareil pour l'inverse. Les filles, elles, vous feront croire qu'elles ont terriblement envie de vous, mais que tout s'arrête là. Elles vous diront que c'est pas grave si vous n'êtes pas amoureux d'elles, que c'est juste un peu d'affection, de sexe pour le plaisir, ce qui sera un épouvantable mensonge que vous croirez parce que ça fera bien votre affaire. Et ça durera jusqu'au jour où vous aurez droit à une crise de nerfs au moment de lui annoncer que c'est fini, vous êtes amoureux de sa meilleure amie.
Tout ça pour en venir à cette histoire d'enseignante qui s'est retrouvée dans la page des faits divers pour avoir distribué à ses élèves de secondaire 2 un questionnaire particulièrement explicite qui visait à démonter quelques préjugés et autres conceptions erronées sur la sexualité.
Genre: le sperme fait maigrir. Vrai ou faux selon vous?
Rappelez-vous: les garçons diront n'importe quoi pour coucher avec une fille. Ou pour lui faire faire ce dont ils ont envie.
Et c'est peut-être la seule chose qu'aurait dû dire la prof: si c'est trop beau pour être vrai, il y a de bonnes chances pour que ça ne le soit pas. Mais en même temps, qui peut répondre à ce genre de question dans le détail, sinon un prof, ou mieux, une sexologue.
J'en ai donc appelé une, Jocelyne Robert, ma préférée parce qu'elle parle admirablement de cul: avec une simplicité dans la forme qui ne renie pas la complexité humaine sur le fond.
Son avis: "Voilà une prof qui, probablement, paye pour son zèle, pour avoir voulu aider."
Parce que selon Jocelyne Robert, on se fout le doigt dans l'oil jusqu'au coude en imaginant qu'Internet a démocratisé le savoir sur la sexualité et que les ados en connaissent plus que nous.
Le Web a magnifié le pouvoir de la porno, devenue la référence de toutes les pratiques. Mais l'information qu'on y trouve sur la sexualité normale, la vraie? À moins de savoir où trouver, elle est à peu près aussi fiable que celle qu'on glane sur les sites de conspirationnistes du 11 septembre.
Comme pour tout le reste, on trouve en ligne une tonne de conneries, et les forums de discussion ont amplifié le phénomène des légendes urbaines à un degré qu'il est difficile d'imaginer si on n'évolue pas dans le monde cybernétique des ados.
En fait, le ministère de l'Éducation a abandonné les cours d'éducation sexuelle au pire moment, soutient Jocelyne Robert.
Remarquez, on le comprend, le ministère. L'époque n'est pas au courage dans l'éducation, elle est à la survie. Elle est aussi au clientélisme qui fait des parents-rois. Des parents victimes de l'hystérie ambiante lorsqu'il est question de leurs enfants et de sexualité.
Aussi, si on ramenait l'éducation sexuelle dans les écoles et que j'étais prof, je commencerais finalement par dire ceci: vos parents sont maladroits pour parler de sexe, mais c'est normal. Ils ont peur que vous grandissiez, ça les affole, ça leur fait réaliser leur âge. Et comme ils ont souffert, ils voudraient vous épargner les mêmes souffrances en vous enfermant dans l'ignorance. Ils ne le font même pas consciemment, c'est comme ça, c'est tout.
La vérité, c'est qu'ils sont terrifiés. Terrifiés à l'idée que vous sachiez quoi que ce soit sur le goût du sperme, les érections, la longueur des pénis et la sodomie.
Après, je ne leur dirais pas que des vérités universelles, mais aussi des choses qui fuckeraient complètement leur manière d'envisager le monde, qui viendraient démolir les lieux communs avec d'autres lieux communs. Parce qu'en les accumulant, on finirait par obtenir une idée de la réalité, comme une sorte de miroir brisé qui reflète en kaléidoscope plusieurs petits morceaux de vie.
Par exemple, que la fille qui parle toujours de cul, ce n'est probablement pas la plus expérimentée ni la plus délurée.
La plus cochonne, c'est la jolie fille timide, dans le coin, là. Elle aime désespérément ce gars qui l'aime un peu, mais pas autant qu'elle le voudrait, ou qui l'aime mal. Elle fait tout ce qu'il veut, même ce qu'il ne demande pas, juste pour qu'il tombe amoureux, qu'il reste, qu'il ne parte jamais.
Pourtant, il va partir, et elle va se sentir conne.
Et là, je poserais la question: cette fille est-elle conne?
À ceux qui diraient oui, je répondrais que, visiblement, ils n'ont jamais aimé, qu'ils ne peuvent pas comprendre. Mais que ça va leur arriver, leur faire mal, et que comme tout le monde, ils devront se rhabiller, sentir la douleur les traverser, avoir l'impression qu'ils n'aimeront plus jamais, que la vie est finie.
Sauf que non, en fait, ce n'est qu'une déchirure parmi d'autres. La vie ne se termine pas là, elle commence. C'est de la souffrance que naît la beauté.
Belle chronique !
Ah ! Que j’aurais voulu vous avoir comme prof. Excellente chronique.
Wow, que dire de plus. Encore et toujours une très belle chronique!
Sur le fond, il est clair que d’abandonner les cours d’éducation sexuelle est un très mauvais choix politique. Bravo de le rappeler.
Sur la forme: Je crois qu’il faut user de prudence lorsqu’on avance des « vérités universelles » sur les comportements associés aux catégories sociales « gars/filles » et « parents », qui ont mauvais goût en reconduisant, de façon dissimulée, des stéréotypes nuisibles. C’est ainsi que la fille qui transgresse les frontières en se comportant exactement comme un garçon en matière de sexualité est étiquetée par ses pairs comme une « salope ». Finalement, en fonction de leurs ressources et de leur histoire personnelle, les parents ne sont pas tous maladroits pour parler de sexe.
D’accord avec Janie. Les qualificatifs de « cochonne » et « conne » stéréotypent les filles; pas d’équivalents aussi lourds de réprobatioon pour les gars. L’article aurait été meilleur sans cet « effet spécial ».
Par ailleurs: http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/actualites/education/201012/08/01-4350495-vers-un-retour-des-cours-deducation-sexuelle-a-lecole.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=envoyer_cbp
En lisant cette chronique, je n’ai pu que penser à un professeur que j’ai eu en secondaire 3 et 5 (juste avant la récente réforme). C’est le seul qui a su nous parler de sexualité sans nous infantiliser. Il était conscient que plusieurs d’entre nous avaient déjà sauté le pas, et que les autres n’étaient pas non plus tout à fait chastes et purs. Il n’avait pas peur de donner des informations utiles et concrètes (je le remercie d’avoir dit ouvertement en classe que la première pénétration pour une fille, c’est souvent douloureux, que ça prend de la douceur et de la lenteur pour y arriver.)
Il y a comme ça des gens qui arrivent à parler de sujets délicats avec les mots qu’il faut, et l’attitude qu’il faut.
C’est pourtant vrai que l’on se sent terriblement CONNE, (désolée pour ceux à qui le mot déplaît), lorsque l’on offre par amour le plus profond de notre intimité et par ricochet, insidieusement, mais sûrement, de notre âme, à quelqu’un pour qui l’on ne sera jamais plus qu’un divertissement en attendant l’élue, la vraie…
Vos paroles ont touché droit au cœur la jolie fille timide que j’ai été, et bien franchement lorsque l’on parle de sexualité aux jeunes et moins jeunes, je trouve que l’on oublie trop souvent de dire à quel point au-delà des corps, les cœurs aussi se mettent à nus et s’exposent à de terribles maux. Merci de ne pas réduire la sexualité humaine à un simple mécanisme biologique. C’est important d’en parler parce que le condom ne peut malheureusement pas protéger contre la désillusion amoureuse. Grâce à vous, ce soir je me suis sentie un peu moins conne… ;-)