Ni le cour ni la tête
Parti une semaine avant le jour de l'élection, je me demandais un peu naïvement si le pays dans lequel je reviendrais serait tout à fait le même.
Et alors?
Alors rien.
Oui, oui, j'ai bien lu les résultats de l'élection. J'ai bien vu la majorité des conservateurs et lu les 76 métaphores océano-météorologiques employées par mes confrères et consours pour décrire la fulgurance de l'amour ayant porté les néo-démocrates dans le camp de l'opposition officielle.
En fait, le mardi matin, j'ai passé une bonne demi-heure, couché dans le lit de l'appartement à Barcelone, à faire le bilan de l'élection, quelques heures seulement après qu'on eut fermé les bureaux de scrutin à Victoria.
Si vous m'aviez entendu, vous auriez presque cru que j'avais remporté le gros lot. Mais en fait, en sadique que je suis, je me réjouissais surtout de voir quelques-unes des plus détestables têtes conservatrices tomber au Québec. Même si ce sont parfois d'autres épouvantails qui sont venus les remplacer.
Ce furent là mes seules véritables réactions, si je puis dire. Pour le reste, la victoire de Harper n'avait rien de surprenant. Quant au phénomène néo-démocrate, c'est une lame de fond qui révèle surtout une politique de surface. Ce vote massif, me suis-je dit, ce n'est pas un coup de cour, c'est un coup de tête, en cela qu'il n'a rien de réfléchi, qu'il n'est même pas émotif. Tiens, essayons donc le bon Jack, se sont dit les Québécois, comme on décide de la couleur d'une nouvelle voiture ou des armoires de la cuisine qu'on rénove.
Et c'est justement en cela que rien n'a changé, et que rien ne changera non plus.
J'aurais aimé pouvoir vous dire que la victoire des conservateurs et la présence massive du NPD à l'opposition allaient provoquer une réflexion profonde sur l'identité canadienne, sur nos valeurs, sur l'économie. De même, que la mort clinique du Bloc allait ranimer la question nationale, ou du moins, la ramener dans l'arène politique du Québec où elle n'est plus depuis longtemps.
Mais en même temps: comment expliquer ce revirement soudain? Je veux dire: pourquoi les Québécois ont-ils subitement délaissé le Bloc et même les conservateurs au profit du NPD? Comment expliquer ce revirement spectaculaire qui semble ne se fonder sur rien d'autre qu'une envie d'essayer autre chose? Comment trouver un sens dans les résultats de cette élection, sinon, justement, dans le fait que fondamentalement, ce pays n'a pas changé et ne changera pas. Comme le reste de l'Occident, il a assimilé la politique à une idée de la consommation. Nous votons comme nous achetons. Ni avec la tête ni avec le cour. La démocratie est une compulsion.
Comme pour tout le reste, avec la même désinvolture, nous nous contentons d'exhaler ce que nous respirons: l'air du temps.
TOURISME – Chaque fois que j'ai le malheur de mettre les pieds dans une zone hautement touristique, j'ai la même question en tête: pourquoi les gens viennent-ils ici?
Je reviens d'un voyage en trois temps, à Paris, Toulouse et Barcelone, et honnêtement, il y a bien des fois où je me serais cru à Times Square, dans Bourbon Street, la rue Saint-Jean ou la Sainte-Catherine. Toujours les mêmes grands magasins, toujours les mêmes vendeurs de babioles, et les mêmes t-shirts débiles, sombreros, casquettes avec support à canettes. Ou alors ce sont des trucs comme vous pouvez en acheter chez n'importe quel encadreur du coin. Une photo en noir et blanc du Moulin rouge. Une affiche dessinée par Toulouse-Lautrec.
Notez que je ne questionne même pas ici la valeur de ces cossins, seulement la pertinence de voyager si c'est pour revenir aux choses qu'on connaît par cour, si c'est pour aller manger chez McDo.
Partis visiter le quartier gothique de Barcelone à notre premier soir, nous sommes plutôt tombés sur un centre commercial à ciel ouvert. Des boutiques et des boutiques. Des touristes et des touristes. Rien que ça. Nous nous sommes sauvés. Sur les ramblas, encore assaillis par les vendeurs de bebelles, nous avons obliqué vers le Raval: moins fréquenté parce que moins fréquentable.
Dans une rue étroite où tous les balcons s'étaient transformés en sèche-linge, voilant ainsi le ciel, j'ai compté au moins 20 putes, mais il y en avait sans doute beaucoup plus. Tout au long, des petits bouges, des cafés animés, des cafétérias minables, des boutiques qui l'étaient plus encore, et des portes qui s'ouvraient et d'où entraient et sortaient les filles et leurs clients. Nous nous sommes un peu attardés, ralentissant le pas. La scène relevait presque du rêve. À notre gauche, un vieil homme avançait lentement vers nous, matant doucement les filles, un sourire grand comme ça imprimé sur le visage. Plus loin, l'impensable: une fête d'enfants, avec au moins 30 marmots hurlant sur le trottoir, au travers des putes qui les regardaient avec un sourire attendri, d'un mécano qui réparait des vélos pour les enfants du coin sur le trottoir d'en face, d'autres passants… Et dans ce bordel ambiant, une sorte de plénitude, d'énergie vitale, une grosse et enivrante puff de la vraie Barça. Avant de retourner vers les rues investies d'Allemands, d'Américains, de Français et de Japonais, on a inspiré très fort pour prendre une grande goulée de cet air impur, avec la conviction qu'il en va du tourisme comme de la vie en général: pour toucher à un peu de magie, à un peu de vérité, il faut prendre le risque de se perdre.
Je m’excuse mais je suis convaincu que les gens qui ont voté NPD prennent beaucoup plus de temps à choisir la couleur des armoires de leur cuisine ou la couleur de leur voiture.
Barcelone c’est la ville branchée, celle du jet-set et du cash. On y va aussi pour la Sagrada Familia et l’architecture de Gaudi.
Moi je me suis drôlement amusé dans les petites rues de Grenade à débusquer les guitaristes de flamenco qui avaient les nerfs du cou aussi tendues que les cordes de leurs instruments. Certains étaient même surpris de me voir leur offrir de l’argent; ce sont souvent des musiciens professionnels qui travaillent la nuit et s’amusent le jour dans les ruelles.
J’ai aussi bouffé du McDo à Séville, mais c’était pour profiter au maximum du temps de découverte que nous avions pour la ville.
J’ai mangé local à Madrid même si la ville ressemble de plus en plus à ces grosse villes internationales, mais avec un système d’autoroutes tout simplement extraordinaire!
C’est tout de même beau l’Espagne!
Bien le bonjour David, long time no see. Juste un petit mot à la défense des gens qui ont voté NPD…
Je ne peux bien entendu pas parler au nom de toutes les circonscriptions qui ont voté NPD mais dans mon cas, c’était réfléchi. Je persiste et je signe.
Bien que je sois une séparatiste finie, j’ai cessé de croire au Parti Québécois et, dans la foulée, au Bloc depuis belle lurette. Je ne crois plus que le PQ puisse nous amener à un pays. Du coup, tant qu’à être coincée pour demeurer au Canada, je me suis mise à la recherche d’un parti qui serait plus à même de représenter mes intérêts dans cette enclave catho qu’est le Canada en espérant qu’un jour, un parti AU POUVOIR pourrait me représenter… Quelle utopiste je fais…
J’aurais pu être déçue du résultat des élections mais l’optimiste en moi espère plutôt que les Québécois vont une bonne fois pour toute se dégoûter du Canada anglais au cours des 4 prochaines années, donnant ainsi le temps à Québec Solidaire de mettre sur pied un programme qui nous ressemble et nous rassemble.
Mes espoirs reposent maintenant en eux.
Ouf! Il est pas peu fier de ses escapades, notre scribouilleur urbain! Voici une citation très à propos tirée du livre « La thérapie cynique », de l’auteur Danny Lafrance:
« Puis, il effectua des recherches sur Internet pour son prochain voyage, planifié pour cet automne. Bien que la destination n’avait pas encore été fixée, il pensait explorer le sud-est asiatique ou l’Amérique du sud. L’important en fait était que la destination soit sécuritaire, mais non fréquentée par des touristes, ces idiots de bourgeois qui ont besoin d’un guide pour aller pisser. Mais pas lui. Non ! Lui, il était différent. Pas de tout inclus pour notre dur à cuire. Pas de guide touristique pour notre grand explorateur. Un touriste il ne serait pas. Plutôt mourir. Lui, il était plutôt : un voyageur ! Voilà toute la subtilité mes très chers amis. Oubliez le Lac St-Jean et les rocheuses, oubliez l’Europe et les antilles. La mode était maintenant au pèlerinage. Les fidèles de la nouvelle religion se devaient d’élever pompeusement leur propre ego par la simplicité volontaire matérielle. En effet, la simplicité volontaire du tourisme pour les hip et cool urbains n’était malheureusement qu’accessoire et se composait principalement en l’absence de toilettes privées et de nourriture occidentale. Quand à la simplicité volontaire du caractère et des idées, et bien il faudra repasser. En effet, contrairement au Bouddhistes qui construisent dans l’anonymat le plus complet des châteaux de grains de sable élaborés, fastidieusement assemblés sur plusieurs années de travail, avant de les détruire du tout au tout dans la solitude et le repli sur soi, soyez certains que les pèlerins de la nouvelle religion n’exerceront aucun acte de retenu quand à la publicité criarde de leurs explorations mystiques. Sitôt rentrés du périple, ils s’activeront (biz-biz-biz) à faire connaître à qui veut bien l’entendre les détails les plus miséricordieux de leur mission humanitaire, à archiver précieusement le moindre cliché dans leur temple à vanité, et même de créer des sites webs où vous pourrez aller admirer les nouveaux Ti-Jésus de notre époque, posant fièrement avec les paumés édentés locaux, dans un exercice humaniste d’une grandeur d’âme à faire retourner mère Thérésa dans sa tombe. Leurs salons seront immanquablement décorés des plus belles photos, où le caractère missionnaire de leur périple sera mis en valeur, portraits abondamment commentés, il va sans dire, de mémorables histoires de communion des âmes dans la poussière et la simplicité des ghettos sudistes. Le tout se terminera sur une critique acerbe de notre société occidentale, accroc que nous sommes du moindre objet manufacturé, incapable de faire trente pas sans utiliser nos véhicules énergivores. Mais ne leur demandez surtout pas d’avancer des solutions à la pauvreté, ni même l’ombre d’une idée crédible sur les bases économiques des inégalités. Les socialistes de la nouvelle religion ne réfléchissent point : ils ont la foi. Toutes discussions contraires à leurs croyances seront immanquablement accueillies avec railleries et irritations, telle une superbe blonde en décolleté qui roule les yeux, exaspérée, lorsque l’on se perd en détails accessoires : « mais ne voyez vous donc pas que je suis magnifique !? »
@ Daniel Daoust
À propos vous dites? Merci de souligner ce passage qui ma foi est délicieux et dans lequel j’ai reconnu des dizaines de personnes, moi compris! Voilà un livre qui sera dans ma bibliothèque très prochainement.