Desjardins

Pour en finir avec les putes

Vous voulez qu'on s'engueule? Vous ne m'aurez pas. Vous pouvez vous faire exploser la grosse veine du front en m'agonisant d'insultes si cela vous chante, mais vous ne me ferez pas pogner les nerfs.

Aussi, le seul reproche que je prendrai au pied de la lettre à propos de ma dernière chronique, c'est celui d'un lecteur qui remarquait que, tandis que je déplorais le bruit ambiant que provoquent les débats autour de la gestion du futur amphithéâtre, j'ajoutais moi-même au vacarme.

Touché.

Maintenant, never complain, never explain, qu'y disent? Fuck ça. Je ne me plains pas, mais on s'explique, par contre. Sans fioritures ni trop de style. Juste des arguments, pour une fois, d'accord?

Première doléance: on n'est pas des putes, m'ont répondu quelques animateurs de radio qui ont avalé ma chronique de travers, on donne seulement aux gens ce qu'ils veulent. Eh ben! Moi qui pensais que les filles en minijupes de vinyle sur la rue de la Reine forçaient les monsieurs qui les font monter dans leur voiture à apprendre leurs déclinaisons latines…

Sans farce, les boys, vous y croyez vraiment à ce que vous dites ou vous niaisez? Êtes-vous à ce point aveuglés par votre envie de hockey que vous ne voyez pas que vous avez renié tout ce que vous défendez depuis des années pour financer votre rêve? Prenez juste un peu de recul, et regardez l'absurdité de votre position. Voyez-vous les contorsions que vous faites pour arriver à justifier un investissement public de cette ampleur, alors que vous vous élevez systématiquement contre ce genre de choses depuis des années et dénoncez les largesses financières de l'État?

Le pire, c'est que je n'ai jamais dit que j'étais contre le financement public du nouveau Colisée. Je constate seulement le ridicule d'une certaine droite sur le bord de la crise de schizophrénie. Et je trouve le deal avec Quebecor douteux. J'ai aussi mes réserves concernant les motifs de certains opposants, dont De Belleval, parti en croisade contre Labeaume pour d'obscures raisons. Mais je n'achète pas pour autant le chantage des acteurs de ce mélodrame sportif. Plus encore, je ne vous comprends pas quand vous vous poussez du même bord que des politiciens qui sont prêts à aller contre l'avis du Barreau du Québec et d'une myriade de juristes qui dénoncent l'incidence du projet de loi 204, et donc le précédent qu'il crée, simplement pour faire plaisir au peuple, lui aussi aveuglé par son envie de hockey.

Les putes, ce sont ceux qui vont contre leurs principes pour donner aux autres ce qu'ils réclament en échange de devises. Ici, la monnaie, c'est des votes. C'est aussi des cotes d'écoute. Et c'est encore des exemplaires vendus. Quand un quotidien qui se prétend sérieux tartine aussi copieusement ses unes d'un dossier aussi trivial, comme le fait Le Soleil depuis des mois, on est en droit de se demander s'il réserve désormais son fameux sérieux à ses mots croisés.

Pour en finir avec les putes et pour répondre à votre réplique virulente sur la forme et mollassonne sur le fond: non, nous ne sommes pas dans le même bateau, vous et moi. Bien sûr, mon journal vend de la pub. Évidemment, c'est ce qui me fait vivre. Pour sûr, cela entraîne des compromis dans la couverture que nous faisons de la culture. Je ne choisis pas les sujets uniquement selon mes goûts personnels, mais selon ceux, plutôt vastes, des amateurs de culture. La différence, c'est que je ne suis porte-parole de rien. Mon nom n'est pas à vendre. Mon opinion n'est pas commanditée par un plombier. Je n'interromps pas cette chronique pour vous vanter les mérites d'une compagnie de nettoyage, d'un restaurant ou d'une boutique en échange d'une poignée de dollars. Vous, si.

Vous prêtez votre voix et votre crédibilité à des entreprises qui vous le demandent. Vous entretenez ce flou entre l'espace éditorial et l'espace publicitaire pour vous enrichir. Bref, non seulement vous testez jusqu'à la rupture l'élasticité des principes que vous défendez, mais vous bradez la même intégrité dans laquelle vous vous drapez ensuite pour dénoncer le trafic d'influence, les fraudeurs et les manquements éthiques des gouvernements.

C'est vrai, au fond, vous n'êtes peut-être pas des putes.

Elles, au moins, ne vont pas jusqu'à embrasser sur la bouche.

LE TOURISME (SUITE) – Cette chronique est un peu en train de virer au règlement de comptes, mais je m'en voudrais de ne pas répondre à ces deux-là. Le premier, assez brutal, me reprochait de dénoncer le tourisme de masse pour mieux verser dans la recherche de l'exotique édenté de service, tandis que la seconde déplorait que j'emprunte parfois les chemins les plus fréquentés où, entre touristes, on se pile sur les pieds.

D'où ma question: existe-t-il un bon et un mauvais tourisme? Le mouton qui suit bêtement la farandole est-il plus ou moins vertueux que le voyeur qui cherche l'inédit du théâtre humain?

Et si les deux sont à proscrire, que reste-t-il? Demeurer chez soi?

Cela ne changerait rien. Il me semble que je fais la même chose ici: je vais où va tout le monde et j'observe les gens.

Je ne déteste pas les monuments, et j'aime voir le monde vivre, m'insérer dans la normalité du quotidien des autres. Ici, cette femme qui me dit que Jésus est dans mon cour. Cette fille à vélo en jupe dont j'aperçois la culotte en dentelle, et sur la terrasse les gars qui la matent et s'arrêtent soudainement de parler. Là-bas, c'est la dame aux cheveux rouges qui parle trop fort et se fait engueuler par le serveur qui la trouve bien impolie. Les trois punkettes qui s'enfilent des cafés au lait et lisent des magazines à potins. Le vendeur de pain d'épice qui joue aux échecs et le type qui massacre Careless Whisper au saxophone dans le métro.

Ils me font aimer le monde, ces tableaux vivants. Ils me réconcilient avec l'humanité, si souvent désespérante.

Tant pis si j'ai l'air de poser, je demeure convaincu que la poésie du monde est là, jamais commandée, simple au possible, offerte au détour d'une rue qu'on emprunte tous les jours ou par hasard.