Le livre est arrivé avec d'autres, mais je l'ai mis à part, dans la talle des ouvrages potentiellement dignes d'intérêt. Puis il est resté là, sans que j'y touche, au milieu du fatras qui compose l'architecture bancale de ma table de travail.
La suite logique voudrait que je l'aie pris, comme ça, par hasard, et que, émerveillé par ce que j'y ai découvert, je vous en chante les louanges. Sauf que ce recueil de textes intitulé J'aurais voté oui mais j'étais trop petit est encore là, sur la pile de trucs à lire, et depuis des semaines, je pige en dessous et au-dessus, trouvant toujours mieux à me mettre sous la dent.
Enfin, je dis mieux, mais je n'en sais rien. La vérité, c'est que chaque fois que j'ai regardé le bouquin, l'envie de l'ouvrir m'a fait défaut. La faute au thème qui, désormais, provoque la faillite de ma curiosité.
Pourtant, lors du référendum de 1995, j'étais à peine assez grand et j'ai justement voté oui. Le contraire eut été impensable: l'odeur fétide du cloaque qu'avait été Meech planait encore, l'attitude revancharde de Chrétien jetait de l'huile sur le feu et il semblait que les forces souverainistes s'organisaient admirablement, de droite à gauche, faisant barrage à la rhétorique elvisgrattonienne voulant qu'il ne fallait surtout pas perdre nos Rocheuses.
Vous connaissez le résultat: les lendemains furent pénibles, dépressionnistes. Mais je conservais cette sorte de foi en quelque chose de plus grand, en cette idée qu'un peuple devrait pouvoir décider de son destin.
Comment vous expliquer… Comment vous dire que quelque chose a lentement grugé mon désir et mes convictions, jusqu'à la rupture? Que cette idée m'habite toujours en même temps que je n'y crois plus vraiment?
Peut-être en disant d'abord ceci: je ne vois pas en quoi un Québec indépendant serait différent du Québec actuel, sinon symboliquement.
Attendez avant de freaker, j'explique.
Je dis symboliquement, parce que je ne perçois aucune volonté de changer la manière de faire de la politique et d'user du pouvoir chez les grands partis en place. Et si, d'aventure, le Parti québécois prenait le pouvoir, organisait un référendum et le remportait avec une majorité triomphante (on jase, là…), rien ne laisse deviner que ce gouvernement ferait un travail moins lamentable que ce qui se fait maintenant.
Oui, ces dirigeants disposeraient de plus d'argent, de plus de pouvoir, et effectivement, nous aurions réglé la question identitaire une fois pour toutes. Nous pourrions présider à notre propre destinée.
Mais autrement, en quoi notre projet de société serait-il différent de ce qu'il est aujourd'hui?
La réponse est simple: en rien.
Parce que les péquistes n'envisagent pas le monde autrement. Ils sont issus du même moule. Même pinaillage, mêmes théâtrales stridulations, mêmes simagrées, même immobilisme, et donc même impossibilité de changer le fond des choses lorsqu'ils sont au pouvoir. Ici comme ailleurs, l'économie se suffit à elle-même et les lobbys sont rois. Ici comme ailleurs, le monstre de l'administration publique est trop gros, trop vorace, donc immuable.
En quoi le Québec serait-il différent si on jouait la même pièce, dans les mêmes costumes, mais qu'on ne faisait que changer le décor?
En rien. Ou plutôt, il serait différent en surface. Et j'en ai plus qu'assez de la politique de surface.
Non, je ne me sens pas Canadien pour deux cennes. Non, je ne me trouve pas plus d'affinités avec un type de Toronto qu'avec un autre de Boston, Chicago ou Denver. Non, je n'ai pas peur de l'effondrement de l'économie, de l'instabilité politique, de changer de passeport ou de perdre les Rocheuses. Oui, je me sens Québécois, totalement. Le tissu qui compose ma culture n'est pas imbibé du pittoresque dans lequel trempe la ceinture fléchée que portent encore certains de mes compatriotes; il n'en est pas moins authentique.
Mais un pays ne me suffit pas. Parce qu'avant de décider de son destin, il faudrait savoir de quoi il sera fait. Et pour l'instant, j'ai le sentiment que ce qu'on lui réserve, c'est la même torpeur qu'aujourd'hui. La même improvisation, en attendant de voir ce que nous dictera le prochain sondage.
Je ne veux pas casser votre party, je sais que c'est la Saint-Jean, que vous courez dans les rues avec des hauts-de-forme fleurdelisés, que vous vous faites des capes avec le drapeau, mais en dégrisant vendredi matin, pensez-y deux secondes. Regardez-vous. Voyez comme nous semblons satisfaits, Québécois moyens de classe moyenne, avec nos revenus moyens, nos aspirations moyennes. Puis grattez la surface, allez jeter un oil dessous.
Vous trouverez un peuple comme les autres. Un peuple de gens qui se cherchent, d'individus désorientés. Des humains qui ont envie de croire en quelque chose, et qui magasinent faute de savoir en quoi.
Je n'espère pas le messie, mais je m'attends à mieux que ce qu'on me propose pour l'instant. Mieux que la politique partisane, mieux que les spins de 15 secondes pour la télé, mieux que la quête du pouvoir, mieux que cet art qu'ont développé les gouvernements de ménager la chèvre et le chou.
Je veux de la substance. Je veux plus qu'un symbole, je veux de la chair, des projets, je veux le courage et la folie de la politique faite autrement. Je veux des gens prêts à se casser la gueule, mais qui ne renonceront pas. Je veux de l'intégrité, je veux avoir confiance. Je veux de l'audace, je veux des chefs qui n'ont pas peur de leur ombre et du taux d'insatisfaction.
Un pays? On verra. Pour commencer, je veux des idées. Je veux une autre manière de voir le monde que celle qu'on me propose déjà partout ailleurs.
Un pays? Peut-être. À condition qu'il soit différent de la province dans laquelle je vis, et qui ne cesse de me décevoir.
Je vous souhaite d’atteindre ces nobles cibles que vous avez dans l’Amir.
Merci d’écrire tout haut ce qu’on pense tout bas.
Je suis d’accord, le Québec ne peut s’engager dans la voie de la souveraineté tant que ses citoyens n’auront pas assez de conviction et de confiance en eux. Oui la politique québécoise déçoit, et les problèmes sociaux et économiques ne manquent pas. Mais comme vous le mentionnez si bien, c’est idem ailleurs. Arrêtons de penser « qu’il n’y a qu’au Québec que …. » parole du Roi Arthur et de sa basse-cour. Arrêtons de dire qu’on est déçu de nous-mêmes. Il y a tellement pire ailleurs. Peut-être qu’il faut simplement se relever les manches et se regarder avec nos propres yeux, et non pas le regard des autres.
Bien sûr que cette fierté plaquée sur les cocardes à gauche et à droite et dans la bouche des politiciens c’est du toc, la preuve en est notre état d’assujetti qui perdure. Si la nation québécoise arrive à s’accorder une réelle estime d’elle-même, la souveraineté viendra de toute évidence et sans combat. Sinon, ce sera la disparition (loi de la nature). Qui sait de quoi son destin est fait sans l’avoir entrepris ?
»Parce qu’avant de décider de son destin, il faudrait savoir de quoi il sera fait. »
Ah bon!? Pourtant, dans ma vie, je travaille tous les jours à construire mon « destin » sans savoir de quoi il sera fait….. Aucun pays n’a fait son indépendance en sachant ce qu’allait être son destin. Personne n’est devin.
« Puis grattez la surface, allez jeter un œil dessous.
Vous trouverez un peuple comme les autres. »
En quoi faut-il être différent des autres pour être indépendant….Justement, tous les autres sont indépendants!
Impossible d’être plus d’accord avec toi Marie-Pierre ! Ne plus croire en la souveraineté parce qu’on se considère être un peuple « comme les autres », ça ne discrédite pas que notre nation, mais bien toutes celles qui ont fait leur indépendance et qui sont, elles aussi « comme les autres ».
C’est curieux, mais je n’ai jamais désespéré de mon pays, ni de mon peuple. Je sais qu’ils existent, qu’ils sont là, devant moi. Parfois absents d’eux-mêmes, inhabités, comme on le dit de notre territoire.
En 1980, et en 1995, je n’ai jamais crié « défaite », comme l’ont fait préemptoirement les militants du OUI avec qui je travaillais. Peut-être cela est-il le fait d’un homme libre, mais tricoté serré dans une mémoire exigente…
Nous savons tous, fédéralistes comme indépendantistes, que nous n’avons plus beaucoup de temps pour faire un pays. Les premiers attendent que ça finisse, les seconds finissent quand ça commence…
Dans les deux cas, il va y avoir bientôt un point de rencontre: la terrible réalité d’un Canada différent, inassimilable aux vielles idée fédéralistes et indépendantistes québécoises. Ce choc se trouve aujourd’hui amplifié et accéléré par la crise au PQ.
Je ne crois pas au Québec de Marois et de Legault. Je pense que l’idée qu’on cherche ici, elle est en dehors de la politique. Et le pays encore plus éloigné quand on voit les régions se soulever de plus en plus les unes contre les autres .
L’idée, si vous me permettez, elle est dans le Canada qui s’en vient, mais un Canada hors Québec…L’idée que j’ai de plus en plus, c’est que c’est le Canada, demain, qui est à la veille de nous crisser dehors!!! L’Idée ne me plaît pas beaucoup, mais c’est la seule qui nous reste…et elle n’est pas de nous, québécois…
Il y a là un certain catch-22: l’incertitude de notre place dans le Canada et la macération des débats sur la question nationale participent au climat de morosité ambiant.
On peut donc voir l’accession à la souveraineté comme la première étape vers un peuple invigoré qui pourra ensuite mettre en branle ses projets de société autant que comme le résultat final, ne venant qu’après cette restimulation nationale…
La vérité, bien sûr, se situe sans doute quelque part entre les deux : la souveraineté ne peut se faire si les Québécois ne retrouvent pas un esprit collectif et collaboratif fort, porteur, mais un tel esprit se heureterait vite aux limites de la confédération s’il ne s’accompagnait pas du projet de souveraineté.
La fatigue à l’égard du projet souverainiste est selon moi exactement du même ordre que le ras-le-bol et le cynisme à l’égard de la politique telle qu’elle est pratiquée, et la solution passe donc par des citoyens engagés et allumés qui sont prêts à s’attaquer aux deux problèmes de front. Et le seul des partis majeurs où il existe un réel effort à cet effet, malgré tous les ratés qu’on connaît, c’est le PQ.
Un oui clair à la souveraineté libèrerait le Québec du carcan de la question nationale et permettrait de recentrer une fois pour toute le débat sur le projet de société, justement, en permettant d’aller chercher les porteurs de projets quelle qu’ait été leur position initiale sur la question.
La solution opposée, c’est à dire l’abandon du projet de pays pour se regrouper sur la gouvernance, signifierait d’abandonner l’espoir de voir reconnaître les aspirations québécoises par le reste du Canada. Je crois sincèrement que les Québécois sont encore trop fiers et trop conscients, comme peuple, pour accepter de rentrer dans le rang, de devenir une province comme les autres et se dissoudre dans la masse canadienne.
@ David, merci pour ce texte, car il reflète, en quelque part, un point de vue que vous n’êtes sûrement pas le seul à sentir pousser en lui.
En cela, il ramène à l’essentiel. Mais pas tout à fait celui que l’on croit.
Cet «essentiel», Pierre Bourgault le présentait ainsi. Et je résume ici cet aspect fondamental de sa pensée. Soit que choisir l’indépendance, c’est la choisir pour ce qu’elle est en soi, et non pas choisir un «projet de société» ou rêver d’une perfection aussi théorique que subjective à laquelle aucun peuple sur terre, souverain ou non, n’est tenu dans les faits.
Bonne fête nationale dans la magnifique ville de Québec! Chanceux…
Félicitations! Votre réflexion touche effectivement à «l’essentiel», à savoir «là où ça fait mal!», comme le dirait ce célèbre athlète-lutteur Edouard Carpentier, décédé l’an dernier.
Et surtout, ne vous laissez pas distraire par tous ces ergotages plus ou moins partisans qui n’ont de cesse de «tourner autour du pot» en se confortant dans le déni de ce questionnement primordial pour un peuple qui se targue pourtant jusqu’à plus soif de sa «différence»!
Pour vous situer, je suis l’un des auteurs dont le discours a été publié dans le livre en question…
Je dois admettre, curieusement, que je suis plutôt d’accord avec vous. Dans l’état actuel des choses, rien ne porte à croire qu’un état québécois se comporterait différemment des autres états nord-américains, ou que du Québec en tant que province.
C’est un assez triste constat, non ?
Pourtant, j’ai l’impression que ça n’a pas toujours été le cas.
Il y a eu une époque où cette identification et construction nationale a réussi à nous emmener ailleurs, pour le meilleur et pour le pire, mais qui a quand même contribué à faire de nous des gens différents du reste des nord-américains sur de nombreuses questions. Le fait de se concevoir, de s’imaginer différent nous a permis d’être justement, différent, d’être un peuple pacifique et généralement opposé à l’idée de guerre, d’être en général plus enclin à la justice sociale qu’au discours économique néo-libéral, entre autre.
Au niveau culturel, ce même élan nous a permis de nous créer un monde musical à nous, une cinématographie nationale qui reflète notre imaginaire, etc. C’est capital : avoir une forme de contrôle sur ce qu’on écoute, sur l’imaginaire des gens, est un outil incroyable pour propager des idées, des valeurs. Le Canada n’est pas un pays qui diffère énormément des Etats-Unis dans ces politiques et ses valeurs. Ces deux pays écoutent précisément les même films, la même musique. Il y a sûrement un lien à faire entre ces faits.
Nous avons puisé, dans l’idée de nous identifier en tant que peuple, le courage et la confiance nécessaire pour faire des choix différents, pour s’engager dans d’autres voies.
Mais tout ça s’est essoufflé.
Et maintenant, alors que nous en sommes revenus à cette valse-hésitation identificatrice, alors que nous en sommes revenus à nous comparer tout le temps à nos voisins, on constate ici le retour de types de pensée qui étaient autrefois absents du paysage public québécois- une droite parfois démagogue (dommage qu’ils soient si cons en général, la droite aurait quelques trucs à nous apprendre …) des gens qui « supportent nos troupes », des radios qui diffusent des âneries anti-écologistes, et j’en passe.
Peut-être ais-je tord, mais je vois un lien clair entre tout ça.
Pour ma part, je reste convaincu que c’est à nous de le construire, ce pays, d’essayer de concrétiser nous même cette différence dont on se réclame, de la rendre vivante, de sortir du rang, d’osez des décisions courageuses, qui que nous soyons. De nous croire différent, et d’agir en conséquence, qui que nous soyons, médecins, avocats, politiciens, journalistes.
Ce sont ceux qui se perdent qui trouvent de nouveaux chemins, disent les marins.
D’où vient la déroute du PQ ?
Le parti à commencer à mourir…lorsqu’il s’est tranquillement mis à faire…comme les autres. Un parti comme les autres. Le débat est plus vieux que l’on pense : http://www.youtube.com/watch?v=ztO6LzHbvHI
Mais le PQ n’est pas l’indépendance. Ce peuple là, c’est nous. Prenons-nous en main, au sérieux, prenons-nous.
Évidemment, nous aurons besoin d’un (des ?) véhicule politique. Je doute que ce sera le PQ.
…et sinon quoi ? on fait quoi ? le statut quo éternel ? On laisse tranquillement les libéraux donner des contrats à leurs potes et vider la belle province ? On vote pour Leguault et son impression de changement ? Où on s’en va ?
Personne ne va nul part- on gère cette province comme une PME, et on laisse d’autres parler à notre place.
« Come on. Let’s get real » diraient les anglais.
Il faut se réinventer. C’est à nous de le faire.
Mathieu Campagna
Compositeur.
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Le fond du « problème québécois », c’est peut-être qu’à force de souvent ne pas être entièrement d’accord avec des « décisions canadiennes » à propos de ceci ou de cela – mais tout de même des décisions issues de débats auxquels nous avons participé – nous en sommes venus à mettre la faute sur le Canada lui-même pour nos diverses insatisfactions.
Sous-entendant ainsi qu’une fois débarrassés de ces encombrants et frustrants partenaires canadiens d’Est en Ouest, tout ne pourrait qu’aller pour le mieux ici.
Ce qui sous-tend également, si l’on doit s’en tenir à pareille logique, que dans un « pays » la volonté populaire et l’harmonie sociale prévalent naturellement, que tout va pour le mieux constamment… Que le Québec devenu « pays » pourrait dès lors faire à sa tête et couler des jours heureux jusqu’à la fin des temps!
N’empêche qu’un « gros » détail mérite d’être très sérieusement pris en compte:
Le Québec n’étant en fait qu’un territoire peuplé par des individus, ce n’est pas le Québec qui ferait à sa tête mais certains individus qui auraient pris le contrôle du territoire.
Cela étant, le peuple québécois lui-même n’aurait vraiment aucune garantie que la séparation qui aurait mené au pays lui serait le moindrement favorable. Les seuls qui pourraient réellement profiter du changement de statut seraient… le nouveau calife et sa clique.
Hélas.
La fédération canadienne actuelle n’est certes pas l’idéal. Par contre, malgré nos désaccords et même peut-être grâce à nos désaccords entre régions d’Est en Ouest, nous parvenons en bout de ligne à maintenir un équilibre correct, tant socialement qu’économiquement.
Il y a encore beaucoup de place pour de l’amélioration, c’est indéniable. D’autres régions en ressentent également le besoin, désireuses qu’elles sont de plus en plus de pouvoir accéder à davantage d’autonomie sur leurs territoires propres, sans ingérence fédérale.
Ces régions sont vraiment les meilleurs alliés que pourrait espérer avoir le Québec.
L’eau a beaucoup coulé sous les ponts depuis les derniers bras de fer constitutionnels. L’heure est possiblement propice à négocier enfin une véritable confédération canadienne, une entente entre régions souveraines n’étant plus en pratique que liées entre elles par diverses ententes concernant des services communs (monnaie, postes, etc.).
Et puis, le premier jalon vers un avenir plus prometteur pour tous les actuels partenaires canadiens a peut-être déjà été posé lors de la création du Conseil de la fédération, lequel permet aux divers premiers ministres canadiens de se rencontrer périodiquement, sans présence fédérale autour de la table.
Plutôt que de ne vraiment risquer améliorer le sort d’un nouveau calife et de sa clique en persistant dans la voie menant à la séparation du Québec, laquelle séparation appert de moins en moins probable de surcroît, pourquoi ne pas plutôt travailler de concert avec certains alliés canadiens qui voudraient bien, eux aussi, moins d’ingérence fédérale et plus d’autonomie sur leurs terres.
Plutôt que d’insister pour aller à contre-courant, surfons dorénavant avec nos voisins et partenaires commerciaux vers cet avenir plus radieux que nous désirons tous.
Il est faux de croire qu’un Québec indépendant ne profiterait qu’au nouveau calife- voici comment :
Si on en croit le résultat des dernières élections fédérales, l’état québécois pourrait être gouverné par un gouvernement progressiste- alors qu’il est aujourd’hui avec un gouvernement de droite avec une vision opposée à l’opinion d’une grande majorité de québécois.
Les sondages d’opinions montrent que la grande majorité des québécois sont opposés à la guerre en Afghanistan, qu’ils placent les questions écologiques dans une haute priorité, qu’il sont neutres dans le conflit Israélo-Palestiniens, qu’ils sont en faveur du mariage gay, etc. Cest positions progressistes n’ont rien à voir avec le gouvernement actuel du Canada, qui , est-il besoin de le rappeler, a vu son image passablement ternie dans les dernières années pour ses positions rétrogrades, sa défense de l’industrie pétrolière, son appui indéfectible à Israel, sa nouvelle rhétorique guerrière, etc. Un gouverment pour lequel 60% des canadiens anglais ont voté.
Alors, il me semble qu’on y gagnerait, non ?
Participé au débat ? Avons-nous vraiment participé dans le débat d’engloutir des milliards pour le fiasco afghan ? pour des F-35? Électoralement parlant, oui. Mais le problème, c’est que le Canada, lui, veut tout ça. Pas nous. Et vous ?
Je voudrais bien que nous travaillions de concert avec le Canada. Lui, veut-il travailler de concert avec nous ? Le lendemain des élections fédérales, beaucoup d’éditorialistes canadiens ont souligné le fait qu’ils étaient maintenant au pouvoir sans le Québec, et qu’il était grand temps de nous remettre à notre place. Fini le niaisage.
Négociez une nouvelle constitution canadienne dites-vous ? Je vous mets au défi de me nommer un seul parti (fédéral ou provincial) qui envisage potentiellement de s’y mettre …Excluant le NPD, qui est revenu sur sa parole sur cette question et qui ne souhaite plus le faire…depuis qu’il est élu. Tout cela est un leurre. Nous l’avons déjà négocié à plusieurs reprises cette constitution, je ne vous l’apprend pas. Maitenant, sans rapport de force, personne ne va négocier quoique ce soit- sur le bord de la séparation, ils n’ont même pas voulu accepter un mot, un seul, dans leur papier à la con : nation. Juste ça. Et on était en rapport de force. Arrêtons de rêver. Le choix, c’est le Canada, comme il est, ou on se choisit, nous.
En défendant ce statut quo endormant à souhait, on se pose tout de suite en rationnel et raisonnable. Il y a pourtant quelque chose de sinistre la-dessous, car quand on se donne la peine d’y penser, c’est une position assez intenable.
Serions-nous de nouveaux dépendantistes par manque de courage ? Par peur que ça brasse ?
Je pense que oui.
C
Ouin. Vous êtes tanné d’en entendre parler. C’est comme dans les films : une scène trop longue, qui s’éternise sans climax après qu’on ait bien compris ce qu’il fallait en comprendre, ça donne le goût de faire FFWD ou, si on est pogné au cinéma, d’aller se coucher. C’est morose, c’est plate, la politique fait chier, même celle des souverainistes qui a déjà tant soulevé le cœur du monde. Mais aujourd’hui? Qu’ils nous lâchent avec leurs fausses histoires de cœur, sauf si c’est pour reconnaître enfin que le monde est écoeuré. C’est un peu ça, han?
Moi, qui ai écrit deux textes pour le livre que, par écoeurite, vous n’avez pas lu, j’ai fait l’exercice de me mettre dans la tête d’un tanné comme vous. Je vous transmets ce que j’ai imaginé…
* * *
Je magasine les partis avec expérience, avec la fermeté de celui qui ne se fait plus avoir par le vocabulaire creux des vendeurs d’assurances. Je veux savoir c’est quoi, vous autres, le plan que vous me vendez. Je marchande avec rigidité. Je suis devenu chiche, avec raison : j’ai compris que les politiciens, c’était généralement de la bullshit. Alors j’exige des précisions. Qu’avez-vous à offrir? Juste un pays? C’est pas assez. Ça veut rien dire, ça. Mettez-en plus sur la table, sinon j’achète pas.
Ce que j’oublie, dans tout ça, c’est que le choix que je suis en train d’essayer de faire n’est pas entre « rien » (le statu quo, pour reprendre les vieilles expressions qu’on est plus capables d’entendre) et « quelque chose » (un pays qui corresponde à toutes mes valeurs personnelles, valeurs que je considère plus élevées que la simple valeur insuffisante d’indépendance – indépendance d’esprit, d’action, absence de dépendance).
Non.
En réalité, le choix que j’ai à faire, et ça je l’oublie complètement, c’est entre ce projet d’indépendance et un autre projet : le projet canadien. Et le projet canadien, ce n’est pas le statu quo. Choisir le projet canadien, ce n’est pas, dans mon méfiant magasinage politique, ne rien acheter pantoute. Choisir le projet canadien, c’est acheter autre chose, c’est s’engager tout aussi clairement, mais dans la direction opposée. Et voilà le package que je ne savais pas que j’achetais automatiquement en décidant que l’indépendance ne suffisait pas et que, puisque les politiciens sont trop poches, je n’achèterais rien aujourd’hui; voilà le choix que j’ai oublié que je faisais d’office en choisissant de me retirer du débat et de laisser l’histoire se faire toute seule :
– Guerre dans un pays lointain, achat massif d’armes aux Américains (oui, mes impôts servent aussi à ça)
– Probité chrétienne et valeurs évangélistes (relativement hostiles aux gays, aux féministes, aux médecins avorteurs, aux progressistes et à pas mal d’autres)
– Rejet clair de l’importance et du financement de la culture
– Appui indéfectible aux politiques d’Israël dans les Territoires occupés, opposition à l’action humanitaire pro-palestinienne
– Défense et financement de l’industrie pétrolière et de l’industrie de l’automobile
– Brand new way, plus opaque et beaucoup plus anti-démocratique, de faire de la politique, qui comprend la marginalisation politique du Québec et qui se réserve le droit de changer les termes du contrat de n’importe quelle façon sans mon consentement
Bon. Ok. Là, par contre, en faisant ce choix-là, je n’exige rien. Je ne demande pas aux politiciens de m’en donner plus, d’en mettre plus sur la table avant que je ne puisse faire mon choix. Je me fais tout à coup assez petit. Je prends le package deal silencieusement, en espérant que personne ne me voie abandonner si facilement le marchandage. Je n’en parlerai même pas. Pourquoi ai-je choisi ce beau package sans rien dire? Parce que je sais que le vendeur n’a pas besoin de moi. Je sais que jamais je n’infléchirai ni son prix, ni son offre. D’ailleurs j’ai voté à 83% contre son offre aux dernières élections, mais je l’ai acceptée pareil. Pourquoi? Parce que j’ai choisi le projet canadien. Je pourrais mettre fin au contrat, puisqu’il fait chier et que je passe tout mon temps en attente au téléphone à tenter vainement de régler tout ce que je ne comprends pas et/ou trouve injuste sur la facture, mais bon, ça fait trop longtemps que je parle de mettre fin au contrat et je ne l’ai jamais fait, alors autant rien faire pantoute. J’attendrai que viennent les gens inspirants à la télévision et, s’ils sont assez hots, je voterai pour eux par téléphone. Merci, bonsoir, je me discarte.
* * *
Un pays ne vous suffit pas. Et ça, monsieur Desjardins, ça vous suffit?
Pour vrai?
« C’est tout ce que je voulais savoir. Merci. » J’aurais envie de vous plagier cette brillante fin de texte, mais j’ai trop envie de vous dire ça aussi : vous êtes crissement pas tout seul. Moi aussi, je veux de la substance. Moi aussi, ah!, tellement, je veux le courage et la folie de la politique faite autrement. Mais tout ça, c’est comme le sucre en crème : si t’en veux, faut que tu t’en fasses. J’aurais voté oui mais j’étais trop petit, c’est ça que ça tente de faire. Ça met ses auteurs du côté des faiseux. Pas des magasineux dédaigneux. La politique, c’est toute nous autres, c’est pas juste ces politiciens que vous n’êtes plus capable de voir à l’écran. C’est vous, aussi. D’ailleurs vous en faisiez de la politique, dans votre dernier article : vous donniez activement raison à notre cynisme et à notre attentisme, comme si nous n’en étions pas responsables. Eh bien, vous en êtes maintenant en partie responsable, comme moi, comme tous les autres. Mais pourquoi ne pas vous embarquer dans votre histoire, au lieu de la regarder en disant « ark caca »? Envoyez donc. Vous allez voir, c’est le fun. Je vous jure.
Évidemment il nous faudra, à tous, un peu plus d’originalité pour nous extirper de la force avec laquelle la mode cynique nous garde au chaud dans notre non-implication. Mais l’originalité on l’a, quelque part, chus sûre.
« Nous enfantons ce cynisme, nous en sommes les pères et les mères. (…) C’est étrange, quand même. Le citoyen a le sentiment d’être en marge d’une démocratie de laquelle il devrait être au centre, et son réflexe est de s’éloigner encore plus, de faire comme s’il ne se sentait plus concerné. » Je ne pouvais pas résister à l’envie de vous citer encore. Vous écrivez trop bien.
Avec tout mon respect, et un grand sourire pour votre verve que j’adore sincèrement,
Catherine Dorion, auteure du livre J’aurais voté oui mais j’étais trop petit, maîtrise en science politique de King’s College London, comédienne et dramaturge