Desjardins

Mon pays

Le livre est arrivé avec d'autres, mais je l'ai mis à part, dans la talle des ouvrages potentiellement dignes d'intérêt. Puis il est resté là, sans que j'y touche, au milieu du fatras qui compose l'architecture bancale de ma table de travail.

La suite logique voudrait que je l'aie pris, comme ça, par hasard, et que, émerveillé par ce que j'y ai découvert, je vous en chante les louanges. Sauf que ce recueil de textes intitulé J'aurais voté oui mais j'étais trop petit est encore là, sur la pile de trucs à lire, et depuis des semaines, je pige en dessous et au-dessus, trouvant toujours mieux à me mettre sous la dent.

Enfin, je dis mieux, mais je n'en sais rien. La vérité, c'est que chaque fois que j'ai regardé le bouquin, l'envie de l'ouvrir m'a fait défaut. La faute au thème qui, désormais, provoque la faillite de ma curiosité.

Pourtant, lors du référendum de 1995, j'étais à peine assez grand et j'ai justement voté oui. Le contraire eut été impensable: l'odeur fétide du cloaque qu'avait été Meech planait encore, l'attitude revancharde de Chrétien jetait de l'huile sur le feu et il semblait que les forces souverainistes s'organisaient admirablement, de droite à gauche, faisant barrage à la rhétorique elvisgrattonienne voulant qu'il ne fallait surtout pas perdre nos Rocheuses.

Vous connaissez le résultat: les lendemains furent pénibles, dépressionnistes. Mais je conservais cette sorte de foi en quelque chose de plus grand, en cette idée qu'un peuple devrait pouvoir décider de son destin.

Comment vous expliquer… Comment vous dire que quelque chose a lentement grugé mon désir et mes convictions, jusqu'à la rupture? Que cette idée m'habite toujours en même temps que je n'y crois plus vraiment?

Peut-être en disant d'abord ceci: je ne vois pas en quoi un Québec indépendant serait différent du Québec actuel, sinon symboliquement.

Attendez avant de freaker, j'explique.

Je dis symboliquement, parce que je ne perçois aucune volonté de changer la manière de faire de la politique et d'user du pouvoir chez les grands partis en place. Et si, d'aventure, le Parti québécois prenait le pouvoir, organisait un référendum et le remportait avec une majorité triomphante (on jase, là…), rien ne laisse deviner que ce gouvernement ferait un travail moins lamentable que ce qui se fait maintenant.

Oui, ces dirigeants disposeraient de plus d'argent, de plus de pouvoir, et effectivement, nous aurions réglé la question identitaire une fois pour toutes. Nous pourrions présider à notre propre destinée.

Mais autrement, en quoi notre projet de société serait-il différent de ce qu'il est aujourd'hui?

La réponse est simple: en rien.

Parce que les péquistes n'envisagent pas le monde autrement. Ils sont issus du même moule. Même pinaillage, mêmes théâtrales stridulations, mêmes simagrées, même immobilisme, et donc même impossibilité de changer le fond des choses lorsqu'ils sont au pouvoir. Ici comme ailleurs, l'économie se suffit à elle-même et les lobbys sont rois. Ici comme ailleurs, le monstre de l'administration publique est trop gros, trop vorace, donc immuable.

En quoi le Québec serait-il différent si on jouait la même pièce, dans les mêmes costumes, mais qu'on ne faisait que changer le décor?

En rien. Ou plutôt, il serait différent en surface. Et j'en ai plus qu'assez de la politique de surface.

Non, je ne me sens pas Canadien pour deux cennes. Non, je ne me trouve pas plus d'affinités avec un type de Toronto qu'avec un autre de Boston, Chicago ou Denver. Non, je n'ai pas peur de l'effondrement de l'économie, de l'instabilité politique, de changer de passeport ou de perdre les Rocheuses. Oui, je me sens Québécois, totalement. Le tissu qui compose ma culture n'est pas imbibé du pittoresque dans lequel trempe la ceinture fléchée que portent encore certains de mes compatriotes; il n'en est pas moins authentique.

Mais un pays ne me suffit pas. Parce qu'avant de décider de son destin, il faudrait savoir de quoi il sera fait. Et pour l'instant, j'ai le sentiment que ce qu'on lui réserve, c'est la même torpeur qu'aujourd'hui. La même improvisation, en attendant de voir ce que nous dictera le prochain sondage.

Je ne veux pas casser votre party, je sais que c'est la Saint-Jean, que vous courez dans les rues avec des hauts-de-forme fleurdelisés, que vous vous faites des capes avec le drapeau, mais en dégrisant vendredi matin, pensez-y deux secondes. Regardez-vous. Voyez comme nous semblons satisfaits, Québécois moyens de classe moyenne, avec nos revenus moyens, nos aspirations moyennes. Puis grattez la surface, allez jeter un oil dessous.

Vous trouverez un peuple comme les autres. Un peuple de gens qui se cherchent, d'individus désorientés. Des humains qui ont envie de croire en quelque chose, et qui magasinent faute de savoir en quoi.

Je n'espère pas le messie, mais je m'attends à mieux que ce qu'on me propose pour l'instant. Mieux que la politique partisane, mieux que les spins de 15 secondes pour la télé, mieux que la quête du pouvoir, mieux que cet art qu'ont développé les gouvernements de ménager la chèvre et le chou.

Je veux de la substance. Je veux plus qu'un symbole, je veux de la chair, des projets, je veux le courage et la folie de la politique faite autrement. Je veux des gens prêts à se casser la gueule, mais qui ne renonceront pas. Je veux de l'intégrité, je veux avoir confiance. Je veux de l'audace, je veux des chefs qui n'ont pas peur de leur ombre et du taux d'insatisfaction.

Un pays? On verra. Pour commencer, je veux des idées. Je veux une autre manière de voir le monde que celle qu'on me propose déjà partout ailleurs.

Un pays? Peut-être. À condition qu'il soit différent de la province dans laquelle je vis, et qui ne cesse de me décevoir.