Civilisation
Surprise à l'entrée de la scène des Plaines au Festival d'été: la sécurité fouille non seulement les sacs, mais aussi les paquets de cigarettes, qu'elle demande aux fumeurs d'ouvrir afin d'en inspecter le contenu. Dimanche, à l'autrement superbe concert des Black Keys, des amis ayant subi ce traitement n'en revenaient pas. "Jamais vu ça", disaient-ils. Moi non plus.
Évidemment, on y cherche de la dope, des joints. "Des stupéfiants", ont généralisé les gens de la sécurité.
J'ai appelé au Festival d'été pour savoir d'où émanait cette consigne qui confine au ridicule. Il semble qu'elle provienne tout simplement de l'air du temps. Par là, j'entends que ce n'est pas le Festival qui réclame qu'on procède à ces fouilles, mais qu'il s'agit plutôt d'une initiative de la sécurité, qui prétend que c'est monnaie courante.
Comme je ne traîne plus de clopes et fréquente de moins en moins les grands spectacles au Colisée ou au Centre de foires, je n'avais jamais assisté à ce type de fouille. Mes amis non plus. Deux jours plus tôt, ils étaient au mégaconcert de U2: rien de tel.
Peu importe qui a eu cette idée géniale, c'est le phénomène qui m'intéresse. Le contrôle à l'extrême qui, comme je le disais, verse dans le plus pur ridicule.
D'abord, parce qu'à presque six dollars par bière, on peut difficilement reprocher aux festivaliers de trimbaler leur propre buzz. Puis parce que cette distinction qu'on fait entre drogue et alcool démontre à quel point notre société glisse vers la schizophrénie sans s'en apercevoir, sous le couvert du gros bon sens et de la raison.
On tolère donc sans problème les abus d'alcool, que des jeunes femmes proposent aux spectateurs des shooters de Jack Daniel's tout au long de la soirée, que la bière coule à flots, mais faudrait quand même pas fumer des pétards. Ça fait désordre, ça sent. Et surtout: c'est illégal.
C'est ce qui est bien avec ce genre de directive: on se drape dans la morale pour se donner un petit vernis de civilisation. Comme si la probité, comme si l'idée de la vertu pouvaient tout excuser. Même la bêtise.
Anyway, comme la vie consiste à subir un peu plus chaque jour la débilité de son prochain, que nos lecteurs drogués considèrent ce fragment de chronique comme un service public: mettez donc votre dope dans vos bas.
PAS RESPONSABLE – Je roulais tranquille, en direction du bureau. Devant moi, une portière s'ouvre brusquement, une dame s'éjecte de la voiture, à deux ou trois mètres, pas plus. Heureusement, pour une rare fois, j'allais vraiment très lentement. Je freine à temps, mais la dame ne m'a jamais vu. D'ailleurs, elle sursaute un peu lorsque j'apparais dans son champ de vision.
Je l'interpelle avec une extrême politesse: "Madame, avez-vous regardé dans votre rétroviseur?" Elle me dit non, pas du tout, ne s'excuse même pas et se sauve. Une autre à côté me dit: pis toi, t'es pas mieux, t'as même pas de casque.
Ah, madame, mais c'est ma tête ici dont on parle. Pas de celle de la dame. Je veux dire que sa négligence met ma sécurité en danger. Pourquoi serais-je aussi responsable qu'elle? Parce que je n'ai pas de casque dont le port, contrairement à l'acte de vérifier dans son rétroviseur que la voie est libre avant de descendre de voiture, n'est pas obligatoire?
Ce qui est bien avec la société de l'hyperprudence, c'est qu'on peut toujours remettre un peu de notre responsabilité sur les autres. Ah, il n'a pas été prudent. C'est un peu sa faute.
Et si un piéton traverse un carrefour, qu'il est happé par une voiture qui brûle un feu rouge, c'est parce qu'il a mal regardé, c'est ça?
ÉVOLUTION – Dans quelques semaines, on démolira le Madrid, institution du kitsch et du mauvais goût où l'on cuisinait cependant d'excellentes boulettes de steak haché avec patates pilées et sauce brugne.
En fait, ce n'est pas autant la disparition du Madrid qui est désolante que ce qui le remplacera: un food court à l'américaine, sorte de grand hall où vous trouverez toutes les chaînes que vous connaissez déjà. Il paraît que c'est l'évolution du marché qui veut cela.
Et comme vous le savez, tout le succès de ces chaînes passe par une idée: servir chaque jour la même chose à des gens qui veulent chaque jour la même chose.
Juste une question de même: à quel moment la peur de la nouveauté, de la différence et la mort de la curiosité sont-elles devenues des signes d'évolution?
BANQUIERS ANARCHISTES – Beaucoup aimé le dossier du Devoir en fin de semaine dernière à propos de la culture, de ses retombées, mais surtout de l'idée de plus en plus admise qu'elle doit nécessairement être une industrie. Rentable, à part ça.
Évidemment, j'ai aimé parce que cela rejoint ce que je répète depuis longtemps: la culture de la marge, l'art qui fesse, qui brasse et qui ébranle, ça ne sert à rien dans notre monde utilitariste, d'où son importance capitale.
Parce qu'elle confirme que nous sommes une véritable civilisation. Qu'en tant que groupe, qu'en tant que société, et comme système, nous nous assumons.
Surtout si cette culture est subventionnée. Surtout si cette culture qui s'alimente aux mamelles de l'État vient corrompre les esprits et secouer le séquoia géant de nos certitudes.
Parce qu'il faut être drôlement adulte, comme société, pour accepter que notre argent sert aussi à critiquer notre mode de vie, à placer devant nos yeux un miroir sélectif, qui nous renvoie l'image la moins reluisante de nous-mêmes.
Pour les gens de la droite, qui s'élèvent furieusement contre le financement de cette culture de marge qu'ils qualifient de culture d'élite pour mieux la stigmatiser et l'opposer à la culture populaire, donner de l'argent à "du monde qui fait des sculptures avec des crottes de nez"*, c'est de la folie.
Eh bien oui, ils ont raison. C'est la folie que peut se permettre une société mature, adulte. C'est l'épatante contradiction du banquier anarchiste.
Quand on a confiance en soi, on n'a pas peur de soutenir le regard du pire. Ou si, on a peur. Mais on a le courage de l'affronter quand même, et de financer la critique faite à soi-même.
Refuser cela, c'est se réfugier dans l'éternelle adolescence, c'est chercher dans le divertissement de masse le Clearasil que nécessitent nos consciences boutonneuses.
* Citation authentique
»Mes amis non plus. Deux jours plus tôt, ils étaient au mégaconcert de U2: rien de tel. »
ahahah! Connais-tu des fans de U2 stoners? pas moi. Ils ont plus de chances de se promener dans les allées du IKEA, que d’être hangover le lendemain du show! ;)
d’ailleurs, puisqu’on jase un tant soit peu de U2, il faut que tu lises ceci, si ce n’est déjà fait. C’est un peu condescendant, mais tellement vrai!
….
Why is U2 so popular?
Answer summary:
•Big market
•Product market fit
•Usability
Big Market
Imagine you’re a middle-aged, upper-middle class male.You live in a large metropolitan area. You have a good job. Your wife does Pilates. Your oldest just started Kindergarten. Yes, you’re an adult but you’re still cool! Your jeans cost $125. Sometimes you wear sneakers with a blazer!
You like the idea of being a guy who’s into live music but the last few concerts you’ve been to were a) too loud b) too crowded c) too foreign (you’re lucky if you recognize one song). You’ll snap a few photos with your smartphone and tell your bros about it to get some street cred but let’s face it – you didn’t enjoy yourself. There are millions of you. And you’re willing to drop cash to have a concert make you feel cool again.
Product Market Fit
Then you learn that U2 is coming to town – U2! Earnest, melodic, Oprah-endorsed U2! $200 a ticket? No problem. You get a sitter. Your wife is excited – this is going to be great! You invite some friends from college to join you.
On the way, you listen to the “early stuff”. Joshua Tree pumps through the speakers of your Lexus SUV (no judgement – you have two kids!). The harmonies soothe. The lyrics are straightforward. You recall a simpler time before car seats and prostate exams. The nostalgia is so thick you have to wipe it from your face. You haven’t looked at your phone in nearly 11 minutes.
You arrive at the show and see yourself everywhere. Tasteful North Face and Patagonia jackets abound. The stands are awash in earth tones. No one is shoving. No one has a nose ring. These are your people.
Usability
The band begins with A SONG YOU RECOGNIZE! You’re on your feet. You’re drinking “craft” beer. Everyone is singing terribly.
And the best part – YOU CAN DANCE HERE! 80,000 people surround you and there’s not a coordinated movement in sight. Even the band sets a low bar. Bono doesn’t so much dance as lunge and bounce. The other guys seem content to nod and rock. All around you, middle-aged people are rocking and lunging and bouncing and singing badly. Is that guy wearing Tod’s loafers and a Barbour jacket? Yes he is. And he’s in the zone.
The set is basically a greatest hits playlist. The band graciously performs two new songs that no one recognizes to give you a few minutes to use the john and grab another IPA. They might as well flash an intermission sign.
Even the political statements go down smooth: “Democracy!” “Fight AIDS!” How could you possibly disagree? You’re not only dancing and reminiscing – you’re spreading freedom and reasonably-priced medicines to distant lands!
And the kicker: not one but TWO encores, the ones you know best – the ones you first heard that summer you painted houses or kissed Katie at the beach party. You’re closing your eyes now. This is sad and sweet. You put your arm around your wife. You’re wondering if Katie ever got married. A third of the crowd departs after the first encore. It’s no big deal – some of us have work in the morning! Anyway, the traffic will be better if everyone doesn’t leave at once