Le rock soit loué
Desjardins

Le rock soit loué

Avouez que c'est quand même fascinant, cette prescription de l'événement. Cette manière de commander d'avance le moment historique.

Je parle du spectacle de Metallica samedi dernier, évidemment.

Plus tôt dans la journée, je me suis arrêté dans un dépanneur à Saint-Gabriel-de-Valcartier pour acheter de l'eau et un Gatorade. Dehors, le soleil recuisait le bitume. Les champs grésillaient dans la chaleur torride de juillet. Deux ti-culs à calotte fouillaient distraitement dans l'étalage de chocolat en matant quatre jeunes femmes en bikini qui achetaient des friandises glacées.

À la sortie, la couverture du Journal de Québec m'a sauté au visage: fond noir de fin du monde, logo du groupe californien, et ce mot: enfin. L'effet: emphatique comme si on venait de trouver une cure pour le cancer, dramatique comme si on venait de bombarder Montréal.

Vendredi, dans Le Soleil, le même groupe était en page couverture. Histoire de faire baver les fans et de gonfler les attentes, on rapportait que le spectacle de la veille à Halifax était fa-bu-leux. Et samedi, on ne comptait plus les articles sur l'événement du soir, dont certains fameux (je pense à celui, entre autres, sur la machine à fric qu'est désormais Metallica). Mais d'autres auraient tout aussi bien pu figurer au bêtisier du journalisme. Comme ce truc qui consiste à faire de la venue d'un artiste un safari, documenté par la presse locale. Qu'est-ce que Lars a fait de ses temps libres? Et James? Et Kirk n'a pas voulu serrer la main d'un fan déçu? Hon! Ça, c'est sans compter la soupe à l'anecdotique servie à la grosse cuiller. Potage insipide à la surface duquel flottent les histoires du beau-frère qui a joggé avec Lars, d'un autre qui ira voir le spectacle avec sa fille, et puis l'incontournable groupe de vieux chums soudés autour de Master of Puppets et Ride the Lightning.

Et là, je ne vous parle pas de la télé, de la radio…

Ouvrez grand, oubliez le goût trop salé et trop sucré, c'est juillet et le minimum de pertinence requis est déjà en vacances.

Ce n'est pas autant la légèreté qui agace, mais l'excès d'importance accordée à une nouvelle qui mérite évidemment beaucoup d'attention, mais jamais autant.

Qui suis-je pour juger? Un fan modéré de Metallica qui avait vu le dernier spectacle et savait à quoi s'attendre: des pétards, du feu, des messages d'amour venant d'un groupe qui a passé trop de temps en thérapie et des versions léchées d'un répertoire rendu inégal par des albums récents trop faibles (même le plus récent, Death Magnetic, qui n'est pas mal du tout, souffre de la comparaison).

Bref, pas de magie. Même pas proche. Mais une machine parfaitement huilée, du divertissement passablement familial. Metallica, en ce sens, c'est de plus en plus U2.

Anyway, tout le monde s'en fiche. Et à la limite, je ne suis pas certain que le spectacle lui-même soit d'une si grande importance. Parce qu'on ne va pas à ces concerts pour la musique, mais pour l'événement. On y va parce que les médias, dont nous sommes, fabriquent l'histoire à venir avant même qu'elle se produise, à coups de chiffres, d'anecdotes, de human interest et en général de couverture démesurée.

Le public ne va pas vraiment voir un show. Il va se voir assister à un show. Il se regarde faire partie de l'histoire et des grands titres.

Le plaisir devient alors obligatoire, prescrit par les médias.

Est-ce grave docteur?

À part pour ceux qui, comme moi, sont incapables de prendre leur pied et d'exulter en gang sans se poser dix mille questions: non. Mais est-ce vraiment nécessaire d'en faire autant? De beurrer si épais, de donner l'impression que nous sommes un village rendu dingue par l'arrivée de quatre rockeurs? Un peu de futilité, c'est bien. C'est parfaitement normal. Tout le monde fait des compromis. Mais l'ampleur de ce qu'on a vu nous enferme dans la farce, dans l'autoparodie. Aucun spectacle ne mérite qu'on le couvre ainsi. Son immense popularité ne commande pas qu'on verse dans la niaiserie non plus.

Que va-t-il nous arriver docteur?

Rien. La vie continue comme avant.

Tout le monde est venu. Tout le monde a vu, sur écran dans le pire des cas. La foule a communié à l'autel de la musique. Le rock soit loué, Dieu est peut-être mort, mais il reste encore un moyen de rassembler autant de gens autrement qu'en leur faisant écouter la même émission de télé.

Amen.

FAIRE LE MORT – Autant le courant électrique qui traverse la ville pendant le Festival est fascinant, autant Québec n'est jamais aussi belle et attirante que dans le silence. Mieux encore, c'est lorsque l'effervescence et cette tranquillité se côtoient qu'on peut vraiment apprécier l'une comme l'autre. En revenant du concert de Metallica l'autre soir, tandis que la haute-ville bourdonnait encore, nous avons glissé à vélo vers un Vieux-Port presque désert, obliquant sur la piste cyclable dans un Limoilou vidé de tout son potentiel rock pour la soirée. Les rues désertes, paisibles. Les lumières n'avaient que les trottoirs et les chats à napper de leurs faisceaux jaunes. La ville était un poème de fin du monde. Puis dimanche, après le superbe concert de Galaxie au parc de la Francophonie, j'ai senti la ville lasse, fatiguée. Nous surfions en voiture sur l'autoroute Dufferin. Même la fumée de la Stadacona semblait plus lourde qu'à l'habitude, et ses volutes s'attardaient devant le Séminaire, le Château. Une image figée, une carte postale glauque, inquiétante.

J'aime cette ville pour un million de raisons. Y compris sa démesure. Elle ne peut pas se contenter de fêter, elle fait trembler le sol. Elle ne peut pas se satisfaire de silence. Elle fait le mort.