Desjardins

La tentation de la mononclitude

C’est un triomphe: les Mononcles règnent à nouveau. Reprogrammez les épisodes des sept saisons de Symphorien, chantez les louanges de Shirley Théroux, réclamez le retour en ondes de Pierre Marcotte et hurlez en chœur avec le fantôme de Claude Blanchard: Y’est trois heures, on farme!

Couchez les enfants, bouchez-vous les oreilles: les Mononcles rappliquent.

Un retour, un retour. Encore faudrait-il qu’ils aient quitté les lieux pour y revenir, alors qu’au fond, le Mononcle s’est doté d’autres noms et de nouveaux looks, mais n’est jamais parti bien loin.

Fin stratège, il s’est fait un peu plus discret. Il n’était plus à la mode, la rectitude politique l’avait chassé des plateaux de télé, cela lui aura offert l’occasion de retraiter pour préparer sa contre-attaque.

Ce qui n’a pas changé et qui permet de le repérer rapidement, c’est son humour louche et sa capacité à faire passer un préjugé pour une opinion éclairée. Mais avant tout, c’est à son absence de doute qu’on reconnaît le Mononcle véritable. Il débite ses approximations avec une conviction qui l’empêche de percevoir le découragement dans les yeux de ceux qui l’écoutent et mesurent l’étendue de son ignorance.

Le Mononcle avocat qui vous traite avec condescendance, le Mononcle médecin qui vous fait la morale et le Mononcle ingénieur qui sait tout et fait l’étalage des connaissances qu’il croit détenir comptent parmi les plus délicats spécimens du genre. Ils sont satisfaits de leur titre et de leurs diplômes, leur certitude galvanisée par leur appartenance à un ordre professionnel qui, pour le Mononcle, ajoute la science infuse à celle apprise à l’école.

Il arrive évidemment au Mononcle de regretter les jokes de tapettes à Piment fort. Il n’aime pas Jean Charest, mais ne renie pas son registre humoristique. Il hoche souvent la tête en écoutant Stéphane Dupont.

Le Mononcle s’ennuie du bon vieux temps et il travaille activement à son retour aux commandes d’une société qui ne serait plus contrôlée par:

1- Les femmes

2- Les syndicats

3- Les environnementalistes

4- La clique du Plateau ou celle du Nouvo St-Roch

Heureusement pour le Mononcle, on commence à deviner que les soldats de la mononclitude ont depuis longtemps infiltré la société, et pas seulement à la radio.

Prenez Régis Labeaume. Voilà un Mononcle dans toute sa splendeur, prêt à décocher une blague foireuse ou à écraser son adversaire d’un commentaire aussi assassin qu’inutile. Vous en voulez d’autres? Liza Frulla: elle est plus Mononcle que Matante. Tout est dans l’attitude, Liza ne doute pas. Elle ne connaît pas l’incertitude, et en cela, elle est la reine des Mononcles. Car ne vous y trompez pas, le Mononcle est polyvalent, et polyforme. Vous trouverez le Mononcle télévisuel en la personne de Dany Turcotte (ses tites cartes sont un modèle d’humour du genre). Le Mononcle cute de la nostalgie du bon-vieux-temps-de-quand-j’étais-petit ou des mots d’esprit ridicules chez Stéphane Laporte. Sans oublier le Mononcle Sept-Heures souverainiste du type Gérald Larose, celui que ses amis craignent de voir arriver, puisqu’il est toujours prêt à nuire à sa cause en abreuvant l’adversaire d’insultes injustifiables. Et évidemment, il y a le Mononcle adéquiste qui réfléchit comme Joseph-Arthur dans Le temps d’une paix, partage l’humour du père Gédéon et le vocabulaire subtil de Camil Samson.

Souriez, Mononcles du Québec, l’ultime victoire approche! Le pouvoir sera bientôt vôtre.

On s’en doutait un peu, mais depuis quelques jours, c’est confirmé: le prochain premier ministre du Québec est aussi le Grand Boubou de l’Ordre des morons des prairies (une confrérie secrète de Mononcles patentés). Il s’est trahi avec sa déclaration à propos des cégeps qui, selon lui, seraient surtout un bon endroit pour apprendre à fumer du pot. Paklow! Voilà un solide Mononcle démasqué!

Parenthèse: vous remarquerez que le Mononcle freake un peu sur la drogue. Tout de suite après «gauchiste», dans son registre d’insultes, on trouve «maudit drogué», ou «poteux». Position anti-paradis artificiel qui ne l’empêche pas de se rétamer la gueule d’une dizaine de Coors Light le dimanche après-midi en regardant la télé. Mais l’alcool, c’est légal, tsé. Fin de la parenthèse.

Enfin, c’est le pire, il y a le Mononcle intégriste.

Celui-là est simplement trop bête et il ne se contentera pas d’avoir le pouvoir: il voudra écraser ce qui ne lui ressemble pas. Il est vaguement raciste, mais il dira du Noir/Asiatique/Sud-Américain ou autre étranger de son entourage: Lui, c’est pas pareil, je le connais. Dans sa tête, ce commentaire l’amnistie de toutes les allusions purement xénophobes proférées comme autant de vérités.

Derrière son volant, ce type de Mononcle se croit sanctifié. Si vous avez l’outrecuidance d’emprunter SA route en utilisant un moyen de transport qui n’a pas de moteur, il n’hésitera pas à vous tasser sur le bord du chemin et à risquer votre vie pour vous faire saisir le gros bon sens dont il est l’unique dépositaire. Il sera d’ailleurs surpris d’apprendre que, comme lui, vous payez impôts, taxes, et l’immatriculation d’un véhicule automobile.

Contre celui-là, on ne peut rien. Il ne comprendra jamais que les lois – qui sont à ses yeux des inventions de gouvernements débiles – existent en fait pour le protéger de lui-même. Flasque et insignifiant personnage, il est un échec de l’éducation, un artéfact préindustriel. Un hoquet de la civilisation.

Il est convaincu que faire tirer une paire de fausses boules dans un concours est un droit fondamental. Liberté, hurle l’autocollant fossilisé sur la remorque avec laquelle il vient d’attenter à votre vie.

Vous le haïssez d’autant plus que vous devinez que sommeille au fond de vous un petit Mononcle. Pas si radical, mais tout de même. Vous savez aussi que sa voie, c’est celle de la facilité, et vous êtes parfois tenté de l’emprunter. Peut-être même que cela vous arrive. À moi aussi. Réfléchir fatigue; la bêtise est une tentation parce qu’elle est reposante. Heureusement, le péché de mononclitude est aisément expiable. Lisez dix vers de Miron, répétez huit fois le nom de Marie-France Bazzo, écoutez quelqu’un qui n’est pas d’accord avec vous sans dire ne serait-ce qu’une parole et vous serez guéri.