Alors que je m’apprêtais à quitter le bar pour rejoindre l’inhabituelle douceur des premières nuits de novembre cette année, tu m’as salué. On a parlé du film que tu venais de terminer. Tu m’as mis la main sur l’épaule et j’ai tout de suite senti que mille questions se bousculaient, que tu voulais me demander des choses graves, des trucs importants. «Toi, là…» m’as-tu dit comme ça, sans trop de préliminaires, ou si peu, «penses-tu qu’il y a de l’espoir? Y crois-tu? À te lire, des fois, c’est pas évident…»
Justement parce que ça ne l’est pas. L’espoir, c’est un peu la foi, souvent ébranlée devant la bêtise, face à la connerie dont les profondeurs abyssales recèlent mille nouvelles trouvailles pour nous replonger dans un état qui s’apparente au désespoir, c’est vrai.
Mais soutenir le regard du pire, c’est un combat, ce n’est jamais une capitulation.
Anyway, ce que j’en pense n’a pas grande importance. L’espoir existe dans l’unique mesure où tu te questionnes sur la possibilité d’un monde meilleur. Il survit parce que tu es là à en discuter avec moi, parce que tu rêves d’une société plus juste, où l’imbécillité et l’ignorance ne triompheraient pas si aisément.
Il subsiste aussi – il faut le rappeler – parce qu’imperceptiblement ou presque, mais tout de même, les choses s’améliorent toujours un peu. Même si le nez collé dessus, ça paraît pas, it’s getting better all the time.
Mais c’est facile de l’oublier, c’est vrai. La polémique fait de meilleures chroniques, l’indignation est un électrochoc pour l’inspiration, les désastres font de plus éclatantes nouvelles, l’apocalypse s’accorde magnifiquement avec l’actualité économique. Mais derrière, dans les coulisses de l’humanité, il y a les êtres dont on ne parle pas et sur lesquels repose l’avenir. L’espoir, c’est eux aussi.
Je pense à plein de gens, mais surtout à ceux qui agissent dans l’anonymat, leur gloire demeurant si discrète qu’elle confine presque au secret.
Tiens, un jour, tu auras peut-être des enfants. C’est pas facile d’en avoir quand tu constates les efforts à fournir pour atteindre quelques morceaux de bonheur et parvenir à y toucher ne serait-ce qu’un instant sans que tout le monde ne le salisse. Et malgré cela, malgré les assauts répétés de l’ironie et du faux, tu voudras probablement avoir des enfants que tu confieras rapidement à des inconnues. Je les mets au féminin, parce qu’au début, la vie de ton rejeton ressemblera à un gynécée. Remplie de madames.
Autant que tu le saches tout de suite, ces femmes qui les éduqueront sont des héroïnes, des saintes. Dès l’âge d’un an, tes marmots passeront plus de temps avec elles qu’avec toi. C’est un choix de société que nous avons fait. Le travail avant la famille. Et tu sais quoi? Ces gens-là vont les aimer, tes flos. Pas comme toi, mais ils vont les aimer pour vrai, je te jure. Et pas seulement pour le fric non plus. On ne simule pas ces choses-là, ni les larmes et les sanglots le dernier jour de garderie quand vous partez pour de bon avec votre p’tit bout qui a vécu le plus clair des quatre ou cinq années qui viennent de passer sous le regard attentif de ces femmes qui l’ont vu grandir, apprendre à marcher, à parler, à manger, à être propre et peut-être même à lire un peu…
Eh bien ces gens, mon gars, ce sont eux l’espoir.
C’est un prof qui remarque un champ d’intérêt chez un de ses élèves et s’en sert pour l’amener à une matière qui l’ennuie. C’est un médecin qui prend le temps de t’écouter avant de te prescrire une merde. C’est le fonctionnaire qui considère ta demande un peu particulière avec empathie. C’est aussi le type qui t’a rapporté ton portefeuille avec tout l’argent qu’il y avait dedans. C’est le politicien qui refuse un pot-de-vin sans s’en vanter. C’est la femme qui travaille comme une folle pour joindre les deux bouts mais qui trouve le moyen de faire du bénévolat chaque semaine. Ils sont des milliers comme elle, le cœur gros comme ça, en marge du monde dont je ne cesse de constater qu’il est égoïste, matérialiste et souverainement éteint.
L’espoir est une frange invisible de l’humanité, c’est une société secrète qui veut le rester puisqu’elle ne retire aucune gloire à faire du bien aux autres. Elle le fait parce que cela lui semble juste, c’est tout.
Et puis quand la bonté de quelques humains ne suffit plus, il y a le décor pour se réconcilier avec la vie, le paysage comme métaphore. Les champs retournés aux sillons gelés le long du rang Saint-Jacques, dans un no man’s land entre Saint-Basile et Pont-Rouge. Une ribambelle d’oiseaux qui piaille sur un fil électrique au bord de la route. Entre deux terres, sur un chemin étroit, une lointaine silhouette de femme s’avance à contre-jour. Le vent me pousse tandis que je roule mes derniers kilomètres de l’année et que le gel me mord le nez. Le soleil se couchera et j’aurai froid tandis que je filerai sur le rang des Mines, sachant que je vais rejoindre des gens qui m’aiment.
Ouf, enfin un vent de fraîcheur dans cette noirceur dans laquelle je n’arrive plus à y voir très clair… J’aurais voulu écrire ce texte et je vous en veux presque de m’avoir enlevé les mots de ma souris. Je suis certaine qu’il y a plus d’indignés qu’on ne le pense et depuis bien longtemps. J’admire aussi, comme vous avez pu les citer, tous ces êtres humains qui créent, inspirent, vouent leur temps pour les autres, s’impliquent. Je le sais, en parlant autour de moi, que nous sommes bon nombre à vouloir changer nos propres rythmes de vie pour retrouver un sens. Rien que pour cela, tout n’est pas perdu.
Lydie Coupé
(www.lydiecoupe.blogspot.com)
M.Desjardins vous réussissez par moments à si bien décrire ce que je vois au quotidien pour me faire relire vos mots. L’espoir au quotidien. Un geste. Une parole. Un regard. Et votre journée a un sens.
Votre texte se mêle et s’oppose du coup aux échos de M. Lazhar, film magnifique de Philippe Falardeau. Le drame est prétexte à souligner l’énorme responsabilité que chacun porte, de façon bien maladroite, vis-à-vis l’autre. Mais à travers le déni d’une directrice, le mensonge d’un enfant, la violence d’une enseignante apparaissent, de façon souvent candide, les aidants naturels à une certaine résilience. Dans le climat social actuel où chacun tente de faire de sa vie un modèle de réussite, la rectitude qui en découle cache bien mal les faiblesses de notre humanité. Eh non, personne n’est taillé dans l’or massif, sauf le grand Vaisseau de Nelligan. L’espoir se trouve peut-être dans notre capacité à accepter notre propre imperfection, et du coup, celle des autres.
Monsieur, vos propos se rapprochent aussi de Monsieur Laferrière et de son dernier bouquin «L’art presque perdu de ne rien faire». Voir la beauté ne semble plus évident pour personne et encore moins l’espoir. Pourtant, c’est ce qui nous tient en vie! C’est un peu ça «Le Combat silencieux», non? L’espoir, ça ne fait pas beaucoup de bruit.
(Le Combat silencieux: film réalisé par un jeune cinéaste qui pose beaucoup de questions…)
Beau texte. merci beaucoup!
Touché ! Et il y a de ces coïncidences… les glorieux discrets sont beaucoup et c’est justement à se demander pourquoi on préfère médiatiser des travers et des problèmes, que des solutions et ceux qui les réalisent. Je ne suis même pas sur que ça ferait de moins bonnes nouvelles; je demande à voir les preuves sur lesquelles est fondée cette rhétorique médiatique.
Quel plaisir de vous lire !
Pour quelques nouvelles sur des profs discretss… http://cursus.edu/dossiers-articles/dossiers/47/discretement-techno/
Merci David pour ton texte lumineux. Un très bel hommage aux éducatrices et à ces gens qui ont encore une vocation. Tes propos me touchent particulièrement en ceci: par la nécessité de mon travail, j’ai le nez constamment plongé dans la misère internationale, sans pouvoir y faire grand chose. Il y a de quoi désespérer et ne plus vouloir lire les journeaux. Mais l’espoir, finalement, il est avant tout local, comme ton texte nous le rappelle. Les journeaux n’en parle que très peu. Merci d’avoir renverser cette tendance. (Ton titre m’a fait sourire aussi parce que j’ai ressorti fin octobre cette collection de lettres de Rilke qui m’avait été offerte par un amoureux de ma jeune vingtaine, question de me redonner le goût d’écrire, le goût des choses tout court.)