Liberté! Le mot semble avoir été tagué par un géant sur un des murs du Grand Théâtre de Québec. Sept lettres grosses comme ça et un point d’exclamation, faussement graffités par le duo d’artistes Doyon-Rivest à l’occasion de l’anniversaire de l’établissement. Un mot puissant, aux proportions immenses. Le point d’exclamation en fait un cri, comme une lumière qui hurlerait au milieu des ténèbres de nos servitudes.
À commencer par celle, terrible, que subit la moitié de la population du Québec qui ne sait pas lire.
Vous avez bien compris. La moitié du Québec se situe dans les niveaux 1 ou 2 de littératie, sorte de mesure de la capacité de lecture et de compréhension de texte.
Niveau 1, vous ne saisissez pas le code, vous ne lisez pas les mots, ou alors très laborieusement. Niveau 2, vous ne comprenez pas ce que signifient les phrases ou les ensembles de phrases que vous êtes parvenu à reconstruire. Vous ne dégagez pas de sens du texte que vous lisez, qui n’est alors qu’une informe ribambelle de mots.
Pour fonctionner efficacement dans une société du savoir comme la nôtre, il est nécessaire d’accéder au niveau 3. En dessous de cela, vous n’avez pas la possibilité de vous informer convenablement, vous n’avez pas accès aux données presque illimitées d’Internet, aux journaux, aux livres, aux magazines. Vous êtes exclu d’une vaste partie du savoir, de plusieurs emplois évidemment: vous n’êtes pas libre.
La moitié du Québec est ainsi asservie par tous ceux qui en profitent pour la gaver de pensée prédigérée, de slogans creux, de mirages et de la bêtise d’une culture populaire formatée pour faire pleurer ou pour faire bander, mais jamais pour faire penser.
Normal. Quand on ne peut pas déchiffrer la culture autrement qu’avec ses sentiments, on finit par mépriser les œuvres qui réclament un effort qu’on ne peut pas fournir, parce qu’on n’a pas les outils pour y arriver. On se met donc à vomir ceux qui produisent cette culture, qu’on stigmatise en disant qu’il s’agit du produit d’une élite. Une élite qui, de son côté, ne veut pas voir dans ce mépris une conséquence de l’exclusion sociale à laquelle nous participons tous en refusant de croire aux statistiques qui nous sont présentées et d’agir concrètement pour y remédier.
Je l’ai déjà écrit ici, et je l’explique encore, parce que chaque fois que je répète ce chiffre, on me reçoit justement avec incrédulité. Ben voyons, ça se peut pas. Et pourtant oui. Ça se peut. La moitié de la population ne peut pas lire ou ne comprend pas le texte dont elle ne décode que les signes. Bien sûr, la plupart des gens se débrouillent, déchiffrent des indications sur la route, le titre d’un article dans le journal, mais ils ne pourront pas vous en résumer le contenu.
Comment cela est-il possible quand l’école est obligatoire? La présidente de la Fondation pour l’alphabétisation, Maryse Perreault, explique que les analphabètes surfent dans la marge. Considérés comme des cas de cheminement particulier jusqu’à ce qu’ils aient l’âge de légalement quitter l’école, ils sont des orphelins du système. L’éducation est un produit de la classe moyenne destiné à la classe moyenne, expose Mme Perreault avant de réclamer une véritable démocratisation du savoir de base. «Une scolarisation pour tous», dit-elle.
Sa fondation tente de combler les lacunes du système et aide les adultes comme les enfants à s’extraire d’une condition intolérable que, visiblement, nous acceptons, puisque cela ne nous scandalise pas.
Pourtant, le problème est collectif. La moitié d’une population asservie, qui n’est pas libre de penser parce qu’elle n’a pas les outils pour le faire, c’est un frein pour le développement non seulement économique, mais aussi culturel, moral, identitaire. Et pourquoi pas spirituel, tiens. C’est un enjeu politique lié à la pauvreté et à l’exclusion. C’est le constat d’un échec du système tel qu’il est à percer le blindage d’une culture de l’ignorance dans les milieux les plus défavorisés.
Pendant ce temps, nous hurlons «liberté!», nous la réclamons pour pouvoir tout dire et tout faire comme bon nous semble. Mais si, du même coup, nous abandonnons une moitié de nous, ce cri change. Il n’est plus un appel au ralliement ou à l’indignation. Il devient un luxe. Une exclusivité dont ne peut profiter, au mieux, qu’une personne sur deux.
L’autre ne sait même pas que le sujet de cette chronique, c’est elle.
PLOGUE – Pour donner un coup de main à la Fondation pour l’alphabétisation, Voir et les Éditions Alto se sont associés pour publier un recueil de chroniques signées par le confrère Nicolas Dickner, auteur de Nikolski et de Tarmac, telles que diffusées dans notre édition montréalaise. Ça s’appelle Le romancier portatif, ça comprend une cinquantaine de textes délicieusement brillants sur les livres, ceux qui les écrivent, et leurs névroses. Pour chaque bouquin vendu, 7$ sont versés à la Fondation.
Et comme une image vaut mille mots… http://www.ccl-cca.ca/cclflash/proseliteracy/map_canada_f.html .La situation est à peine moins reluisante dans le reste du Canada, nous avons donc de sérieux efforts à faire pour corriger le tir. Et oui, l’éducation, c’est la liberté.
Ces données sont très intéressants mais il me semble il y avoir des problèmes. Si on regarde la carte que vous présentez, et que l’on « zoome » sur la ville de Hampstead, qui est un quartier que je connais bien et qui est un des endroits à Montréal où les revenus sont les plus hauts, selon les données de cette carte, en moyenne 42% de la population est au niveau 2 ou en dessous.
Cela me semble impossible. Il y a peut-être des immigrants ou des gens qui ne savent pas bien lire le français mais est-ce qu’on les considère comme des analphabètes de niveau 2 ou moins ?
D’ou la popularité de certains tabloids quotidien avec plein d’images (surtout dans les pages sportives)
Toujours les problèmes d’une société sont collectifs. Si nous souhaitons la liberté il est nécessaire que tous puissent la lire, la comprendre, l’écrire.
Comment ne pas lire entre les lignes de votre texte un message à peine voilé aux détracteurs de la culture française en Amérique qui utilisaient y pas si longtemps les mots de Paul Éluard, sans le savoir, fort probablement, pour défendre le droit de répandre leur grossièreté par ondes radiophoniques. Leur mépris de la culture cachait bien mal ce fait révélé par cette statistique et qui explique en partie l’élection d’un maire avec promesse d’amphithéâtre et d’équipe de Hockey. Tout se tient tout le temps. Le langage est fondamental dans le développement intellectuel et émotionnel de l’enfant, et il le demeure tout au long de sa vie. Le mépris de sa propre langue revient au mépris de soi. Ce mépris de soi est compensé par le mépris de l’autre, ou des autres. Je félicite le Grand Théâtre, en espérant qu’il saura nous faire oublier un peu cet épisode peu reluisant de notre petite région. Si la langue française souffre de peu de prestige en ce moment, on peut toujours se consoler du fait que le ministre Fournier doive rappeler aux Conservateurs à Ottawa que la terre est ronde, à propos du projet de loi C-10. Vous êtes pas écœurés de…
« Pour fonctionner efficacement dans une société du savoir comme la nôtre, il est nécessaire d’accéder au niveau 3. En dessous de cela, vous n’avez pas la possibilité de vous informer convenablement, vous n’avez pas accès aux données presque illimitées d’Internet, aux journaux, aux livres, aux magazines. Vous êtes exclu d’une vaste partie du savoir, de plusieurs emplois évidemment: vous n’êtes pas libre. »
Contradictions par-dessus contradictions….
En quoi être exclu du nihilisme est une mauvaise chose? Depuis quand qu’être exclu du « savoir » (fanatisme moderne) et du travail (fanatisme moderne) ne rend pas libre…c’est bien l’inverse. Être obnubilé par la connaissance c’est une maladie.
Être exclu du savoir…quel savoir? Comme si tout ce qui s’apprend a de la valeur…
« La moitié du Québec est ainsi asservie par tous ceux qui en profitent pour la gaver de pensée prédigérée, de slogans creux, de mirages et de la bêtise d’une culture populaire formatée pour faire pleurer ou pour faire bander, mais jamais pour faire penser. »
On est plus en 1998. Mais juste pour toi y’a un groupe qui s’appelle Arcade Fire qui va faire fureur dans quelques années….yep yep.
« Normal. Quand on ne peut pas déchiffrer la culture autrement qu’avec ses sentiments, on finit par mépriser les œuvres qui réclament un effort qu’on ne peut pas fournir, parce qu’on n’a pas les outils pour y arriver. »
Et si après tout l’homme déchiffre consciemment ou inconsciemment la culture qu’avec ses sentiments?
Aussi, on peut être très « cultivé » et être idiot. Le savoir a beaucoup plus servi en tant qu’outil de vengeance qu’autre chose…La culture peut être dangereuse pour tout le monde.
Pourquoi les gens ne sont pas intéressés à lire? Justement parce qu’il faut beaucoup et même peut-être trop d’effort pour en arriver à lire les bons livres. Il faut parfois supporter beaucoup pour comprendre ce qui se passe dans notre vie. Merci Québec Médiocre.
« L’éducation est un produit de la classe moyenne destiné à la classe moyenne, expose Mme Perreault avant de réclamer une véritable démocratisation du savoir de base. «Une scolarisation pour tous», dit-elle.
Il faut entendre « moyenne » par médiocre. L’État ne vise jamais ce qui est supérieur, il sert à former des bons citoyens, des membres du troupeau, des gens qui sont incapables de briser les idéaux modernes. « Je travaille 40 heures semaines dans un environnement de merde et je ne me plains pas. Je suis un urbain qui s’effondre dans le salut de l’art. Voyez comme je réussis bien. Je voudrais tant que la deuxième moitié soit aussi cultivé que moi. Regardez comme je suis un bon et un juste et blah blah blah.
« La moitié d’une population asservie, qui n’est pas libre de penser parce qu’elle n’a pas les outils pour le faire, c’est un frein pour le développement non seulement économique, mais aussi culturel, moral, identitaire »
Encore pire lorsque la population asservie représente environ combien…80-90% des gens? Des « intellectuels » et des « cultivés » asservis il y en a….beaucoup trop.
Les journaux, les partis politiques, les « problèmes sociaux », l’éducation », le « travail » sont des produits de la médiocratie qui CRÉENT cette moité qui ne sait pas lire.
J’ai trop raison. You’re welcome.
Bravo D.J.
En qualité d’écivain et d’ancien prof de français, je suis parfaitement en accord avec votre point de vue.
20-100
DG
L’idée c’est de permettre aux individus de s’abreuver à d’autres sources que celles des gérants d’estrades de nos radios et télévisions afin qu’ils puissent se construire une opinion eux-mêmes. Car l’uniformisation des idées commence à être un sérieux problème dans la région.
De plus, je me demande ce que vient faire Arcade Fire dans ton texte, je crois deviner que ça soutient la thèse qu’on a rien à foutre du français puisque maintenant on réussit en anglais. De un, ce n’est pas nouveau que des Québécois réussissent en anglais : Gino Vanelli, Alice Cooper, Leonard Cohen et même Celine Dion, ou Alice Roby, tiens ! Secundo, le leader d’Arcade Fire est un Américain né au Texas, l’anglais est sa langue maternelle, et à mon avis ce n’est pas un illettré. Et finalement, je trouve autant déplorable d’être illettré anglophone qu’être illettré francophone et de ne pas être capable de comprendre un texte écrit.
Bonjour
L’alphabétisation me préoccupe grandement. Je travaille dans une bibliothèque et nous avons une section jeunesse incroyable qui est à mon sens sous-utilisée malgré nos activités pour attirer les jeunes. Il faut toujours travailler très fort pour promouvoir la culture et l’importance de la lecture pour évoluer et grandir. Ou puis-je me procurer le recueil de chroniques intitulé Le romancier portatif? Un grand merci. LB
Un grave problème en effet. Blâmer « le système » est un cliché que je peux plus entendre…
Bien sûr il y eu les fameuses réformes qui nivelaient vers le bas la connaissance. Pour avoir travaillé 35 ans au MELS et avoir vu des centaines de copies des examens de secondaire 5, je peux vous affirmer que mon père avec une 4i`année primaire écrivait mieux son français que la plupart des jeunes de secondaire 5 !!! Une correction complaisante pour ne pas avoir trop d’échecs au lieu de faire face au problème..
Dans mon cas en 1956, en première année, la religieuse ne tolérait pas de retard dans l’apprentissage du français. si on n’avait pas bien compris on restait après la classe quelques minutes ou une petite demie-heure. C’est drôle qu’aujourd’hui on appelle ça la méthode « norvégienne; empêcher les retards d’apprentissage comme le faisait nos religieuses. Ces dernières rejetaient la médiocrité et le nivelage pas le bas imposé par des bureaucrates « égalitaristes » du MELS.
Au niveau prof, certains sont extraordinaires , on en a tous connu au moins un. Cependant d’autre sont médiocres, et peuvent conduire jusqu’au décrochage..Mieux payer les bon profs et leur laisser les méthodes d’enseignement en les jugeant sur les résultats, et recycler les mauvais dans d’autres emplois pourrait faire une grosse différence, comme l’ont compris les pays scandinaves.
Mais au départ, est-ce que les parents encouragent leurs enfants et les supportent dans leur apprentissage du français?