Desjardins

Mourir vivant: un mode d’emploi

Comment en vient-on à se laisser cuire, enveloppée dans du Saran Wrap, une boîte sur la tête, dans un sauna? Comment peut-on être suffisamment crédule pour embarquer dans des histoires de druides et de canalisation d’esprits pour finalement vouloir à ce point mourir de son vivant qu’on finit par en mourir pour vrai?

C’est ce que vous vous demandez depuis le reportage d’Enquête la semaine dernière, non?

Eh bien, c’est plus facile qu’on ne l’imagine. Et je ne parle pas du processus, de la manière dont les connards illuminés embobinent lentement, au fil de multiples rencontres, de pauvres gens jusqu’à ce qu’ils sombrent de la sorte.

Je veux dire que c’est plus simple qu’on le croit d’en venir à laisser le premier gourou patenté enfoncer son doigt crapuleux dans le trou qui est là, en soi.

Imaginez une vie comme une série de décisions qui semblent couler de source, qui répondent à un modèle. Des actes qu’on fait parce qu’ils nous paraissent justes. Et là, on parle d’existences absolument normales, pas nécessairement malheureuses non plus, seulement des vies sur le pilote automatique. Puis un jour, paklow, quelque chose fait tout dérailler, comme une suite de questions que vous ne vous êtes pas posées assez souvent et qui se mettent à vous hanter tous les matins: pourquoi je me lève, pourquoi je suis ici, pourquoi je fais ce que je fais?

En quoi je crois, moi?

Chaque fois que vous n’arrivez pas à répondre, le vide s’agrandit, parce que toutes les choses qui constituent votre quotidien perdent leur sens. Le monde devient lisse et il est alors si facile de se laisser glisser vers le néant: suffit d’une petite poussée.

Dans cette chute libre, on attrape ce qui passe pour se ralentir. Ce sera un livre de psycho-pop, ce sera un séminaire new age, ce seront des cristaux ou les sages paroles de Madame Minou.

On parle beaucoup des gourous, mais trop peu de ce qui nous rend vulnérables. À commencer par cette faille que nous avons tous, et avec laquelle certains parviennent à vivre et d’autres pas. Une brèche dont il n’est jamais question. Ni à la maison, ni à l’école. Faut lire des bouquins ou se taper beaucoup de chansons tristes pour comprendre que nous ne sommes pas seuls, qu’everybody hurts.

Ce qui nous amène totalement ailleurs en apparence, mais pas tant que ça quand on y pense.

C’est que j’écoute les arguments de la nouvelle droite depuis un moment, depuis assez longtemps en fait pour en extraire un mythe que je ne suis vraiment pas le premier à relever, un mensonge qui est le vice dans ses fondations. Encore une affaire de failles, justement.

Et ce mythe, c’est que nous sommes tous égaux, et que nous sommes tous libres.

Pour la droite, quand l’État ponctionne notre salaire pour le redistribuer en services universels, c’est une forme de contrôle qui nous retire certaines libertés individuelles, ce qui entraîne une déresponsabilisation généralisée qui force le gouvernement à nous materner toujours un peu plus, au détriment de ceux qui se prennent en main.

Pour la droite, tout le monde part d’un seul endroit. Les enfants de Sillery et ceux de Saint-Sauveur: même combat. Comme si nous naissions avec le même capital d’intellect, d’éducation. Et hop, à chacun de faire sa chance.

Évidemment, c’est n’importe quoi. Il y en a, et ils sont nombreux, qui ignorent ce qu’ils font là, et qui sont incapables de maintenir le rythme, la compétition. Pas nécessairement parce qu’ils sont paresseux, ou lâches.

Simplement, nous ne sommes pas tous égaux devant les aléas de la vie. Ni tous libres.

Faute d’autre chose, nous vivons selon un système auquel nous sommes plus ou moins enchaînés. Ce n’est pas l’administration de l’État qui a endetté les ménages à presque 150%. Ce n’est pas le gouvernement qui a décidé de remplir le vide avec des choses qu’on s’est procurées à crédit. Et ce n’est pas tout le monde qui compose aussi bien avec les failles de ce système.

Désespérés, certains croient à ce qu’ils veulent entendre, des solutions magiques. Pour les gourous de la droite, on ne peut pas se contenter de rénover la social-démocratie, il faut l’envelopper dans du Saran Wrap, la mettre dans un sauna et la faire hyperventiler avec une boîte sur la tête.

C’est ainsi, mesdames et messieurs, qu’on fait cuire les idéaux comme les gens.

HÉROS- Tandis que le gardien de but des Bruins, Tim Thomas, devenait le héros sportif du Tea Party, on apprenait une autre histoire de sport et de convictions. C’est celle du cycliste italien Gino Bartali, ombrageux adversaire du flamboyant Fausto Coppi et gagnant de trois Tours d’Italie et de deux Tours de France. Profitant de ses sorties d’entraînement pendant la Seconde Guerre mondiale, Bartali a contribué à sauver la vie de 800 Juifs en transportant sous sa selle les papiers qui leur permettraient de fuir.

Mais le plus ahurissant, c’est qu’il n’en a jamais soufflé mot à personne. Pas même à sa femme. Bartali est mort en 2000, à 85 ans, croyant emporter son secret avec lui. Il avait dit, un jour: «Le bien, c’est quelque chose que tu fais, pas quelque chose dont tu parles. Certaines médailles sont accrochées sur ton âme, pas sur ton blouson.» Prière de faire suivre aux fans de Thomas.