Desjardins

L’arrogance qui tue

Je me demande ce qui est pire chez les conservateurs de Harper. Le geste ou l’attitude? Les projets de loi eux-mêmes ou la suffisance belliqueuse des ministres qui nous les enfoncent dans la gorge?

Pour comparer, je repense à la loi sur la clarté de Stéphane Dion. À son mépris souverain. Je me souviens du «mangeur de hot dogs» de Trudeau, parlant de Bourassa. Je me rappelle la fausse naïveté de Chrétien, et son personnage d’idiot qui lui donnait l’air inoffensif. Je me marre un peu en voyant Jean Charest jouer les vierges effarouchées devant la poigne de fer de ses homologues fédéraux, disant: c’est pas ça la démocratie, alors que son idée à lui de la chose se résume à une agence de relations publiques et de marketing.

Tout dans ces jeux politiques pue, c’est vrai. Et les conservateurs ne sont pas les premiers à prendre le pouvoir avec le sentiment de détenir LA vérité.

Ce qui est ahurissant, c’est la nature de cette vérité, qui repose sur l’ignorance volontaire et l’idéologie portée par une fierté victorieuse de conquérant qui écrase l’autre. Tous les autres.

Le mépris blindé de Vic Toews, la satisfaction imbécile de Maxime Bernier, la myopie de Jon Baird dans sa vision étriquée du monde, et au sommet, cette idée du Canada que propose Stephen Harper.

Je n’ai jamais été tout à fait Canadien, sauf peut-être de passeport et de monnaie. Pour le reste, je l’ai déjà dit ici, aller à Toronto ou Vancouver, pour moi, c’est comme aller à New York ou San Francisco. C’est un autre pays, une autre culture. Contrairement à Justin Trudeau, il n’a pas fallu que j’attende l’arrivée de Harper à la tête du Canada pour que ce pays ne soit pas tout à fait le mien.

Mais c’était, jusqu’à récemment, une culture de laquelle je pouvais m’accommoder. Un peu comme on tolère ses voisins, même quand ils sont un peu dingues et qu’ils passent leurs après-midi à asperger leur entrée d’asphalte au boyau ou qu’il faut parfois ramasser les cochonneries qu’ils laissent traîner et que le vent fait aboutir sur votre terrain. On se fâche un peu, parfois beaucoup. Mais dans l’ensemble, sur les très grandes lignes, on finit par se rejoindre de temps en temps. On s’endure.

Maintenant? J’ai plutôt le sentiment d’être débarqué dans un univers parallèle. Un monde où je ne reconnais rien. Une parodie où personne ne rit.

Je disais que la manière n’était pas très différente de celle des autres, sauf que ce n’est pas tout à fait vrai. Elle s’est raffinée. Elle est plus brutale, vicieuse et hargneuse aussi. Son mariage avec l’idéologie et l’étroitesse d’esprit la rend carrément intolérable.

Le mépris de la presse, le tableau de la reine, les cartes dorées de Baird, l’appui au sénateur Boisvenu, les projets de loi d’intérêt privé qui concernent l’avortement, la voix blanche comme la mort de Stephen Harper, son ton neutre de bourreau de l’ancien Canada qui cache mal sa satisfaction devant la sale besogne accomplie…

Je me console en me disant qu’ils vont continuer. Que cette conviction de détenir la vérité finira par les barder d’une telle assurance que c’est justement ce qui perdra les conservateurs. Pas le geste, même si c’est lui qui est le plus odieux, mais l’attitude. Comme ce n’est pas le système des commandites qui a tué le Parti libéral du Canada, mais plutôt l’arrogance qui a présidé à sa création.

UN SYMPTÔME – Je m’en doutais, une chronique sur le suicide où j’écrivais qu’on ne veut plus souffrir, qu’on n’apprend plus à vivre avec la douleur et que de se tuer est devenu une porte de sortie tristement banale allait me valoir de vives répliques.

Le suicide, c’est une maladie, m’a-t-on dit. C’est une manière de voir la chose que plusieurs psys et moi-même ne partageons pas. La maladie, c’est la bipolarité, la dépression ou la schizophrénie, par exemple. Mais le suicide, c’est un geste. Si tu es malade, tu peux en faire une obsession. Tu peux être en psychose et vouloir te tuer. Alors, c’est vrai, tu n’es plus responsable de tes actes. Mais le suicide n’est pas une maladie pour autant. Il est l’objet de ton obsession, de ton délire. Même si ceux qui ont fait une tentative ont plus de chances de finir par mourir de leurs propres mains, ça n’en fait pas une récidive comme pour un cancer.

On avance dans ce sujet miné, parce qu’évidemment hyper émotif, et je vais peut-être un peu vite, risquant de me casser la gueule. Et peut-être aussi de donner l’impression de me contredire.

Comme en affirmant que le suicide, c’est contagieux.

Oui, mais si c’est pas une maladie? Ben c’est contagieux pareil, au sens culturel du terme. On le fait parce que les autres le font. Et surtout parce qu’ils ont une minute de silence pour eux alors que moi, bon, j’ai jamais rien. Parce qu’ils ont des ballons lancés en l’air en leur nom et leur face dans le journal, alors que moi, j’ai juste des claques sur la gueule. Vous me suivez?

C’est contagieux, mais on n’a pas le droit de dire que c’est une maladie. C’est pas dans l’air, c’est pas dans l’eau. C’est la manière dont tout le monde réagit quand quelqu’un se suicide qui nous contamine. Nous sommes malades de plein de choses qui nous tuent. De vraies maladies mentales, vous avez raison. Mais nous sommes aussi malades de ne plus savoir vivre, d’avoir tellement éloigné la mort de nos vies qu’elle est devenue une fiction. La banalité du suicide en est le pire symptôme.