J’ai peur d’un million d’affaires. Ne le dites pas à ma blonde qui pense que je ne crains rien. Je suis son roc, je suis le gars qui ne bronche jamais et sur lequel elle peut s’appuyer quand ça craque ou que ça explose ou que ça tangue. Ce qui ne m’empêche pas de me décomposer de l’intérieur à tout bout de champ, sans faire de bruit. Ou peut-être un peu, mais c’est un tout petit son, presque inaudible, un genre de chuintement. Comme une crotte de fromage Cheetos qu’on écraserait avec ses pantoufles sur un tapis épais.
J’ai peur d’un million d’affaires, donc. Peur pour ma fille. Peur qu’elle soit malheureuse, qu’il lui arrive un accident. J’ai peur des comptables, des conducteurs de fardiers et des fanatiques, peur aussi que le Huffington Post finisse de dévaluer mon travail pour de bon, jusqu’à ce qu’il ne vaille plus rien alors que je ne sais rien faire d’autre. J’ai peur de la vieillesse, de la mort. Mais plus encore de la maladie. Peur du cancer comme c’est pas possible, et de ces affections rares dont j’apprends toujours l’existence parce que quelqu’un, de près ou de loin, en souffre. Tenez, samedi, c’était la sclérodermie, qui te fait te momifier vivant. Tous tes tissus mous se durcissent. La peau, le cœur, le foie. T’es défiguré, tu deviens le prisonnier de ton corps. Et ça peut durer 20 ans, voire plus encore, avant que tu finisses par ressembler à la Chose dans Les 4 Fantastiques, et que tu meures. Je déconne pour ne pas être terrorisé, parce que c’est vrai: les pauvres ont parfois l’air de grands brûlés.
À part ça? D’ici à ce que je tombe malade, j’ai peur de mal vieillir. C’est commencé, d’ailleurs. Les jeunes m’énervent comme c’est pas permis. Surtout les ados en snowboard qui dépassent dans la file et se parlent par borborygmes. Des fois, il me vient de soudaines envies de violence, le goût de leur asséner les coups de pied au cul que leurs parents ne leur ont jamais donnés.
Sinon, ma plus grande peur, c’est de me retrouver tout seul. Pas seul, seul. Mais presque. Soit dans cette infime minorité qui ne connaît pas les noms des participants de Star Académie. Seul dans le minuscule groupe qui se contrefiche d’apprendre où se trouve Manon dans Apparences.
Vous êtes là avec moi, dites-vous? C’est gentil de me rassurer. Mais comment, même avec une poignée d’entre vous, ne pas se sentir tout petit et complètement démuni devant l’écrasante majorité? Comment ne pas s’avouer totalement décalé d’avec le monde, et alors seul?
Je me suis donc dit l’autre jour qu’il faudrait bien que je me remette à regarder la télé pour faire des chroniques grand public. Sans a priori ni méchanceté ni rien. Mais bon, le Québécois passe entre 25 et 30 heures par semaine devant la télé en moyenne.
Si je ne connais pas cette culture qui est essentiellement le quotidien de millions de gens, comment parler d’eux? Mais surtout avec eux?
Alors je me suis tapé quelques trucs. Je veux dire autre chose que les quelques rares machins que nous enregistrons avec le terminal numérique, comme la série sur RBO, Rick Mercer, Infoman…
Et puis? Je me sens encore plus seul qu’avant. Trente heures de ça? Comment faites-vous? À la limite, Tout le monde en parle, je peux comprendre. Mais cette soupe aux larmes qu’est Star Académie? Et 30 vies? Et Le tricheur? Et Un souper presque parfait? Et tous ces putains de téléromans dont je ne me rappelle plus le nom, mais dont on dirait qu’ils racontent toujours la même histoire, la même tranche de vie sur laquelle on aurait étendu une confiture juste assez différente pour qu’elle ne goûte pas tout à fait la même chose que la précédente?
J’ai souvent répété que s’il se débite autant d’âneries à la radio, c’est qu’on y dispose de trop de temps d’antenne. En quatre ou cinq heures par jour, t’échappes une imbécillité, c’est sûr. Mais c’est fou ce que certains peuvent dire comme nounouneries en seulement deux ou trois minutes par jour à la télé. Comme cette fille aux nouvelles culturelles qui affirmait, lundi, que contre toute attente, c’est le film iranien et pas Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau qui avait remporté l’Oscar.
De quoi tu parles, Chose? Presque tous les critiques prévoyaient que ce serait Une séparation qui gagnerait. Pas un, pas deux, pas trois. À peu près tous. Tu nous prends pour quoi? Des codindes?
J’ai l’air de me mettre dans tous mes états pour rien, sauf que c’est pas rien. C’est 30 heures par semaine multiplié par des millions. Là-dessus, sans conteste, au moins deux tiers d’histoires mal amanchées, d’informations balancées n’importe comment, de divertissement minable, d’émotions enfoncées dans la gorge et qui deviennent le langage des cuisinettes de bureau, des distributrices à eau, des machines à café et des soupers de famille.
Je suis même pas fâché, je vous jure. J’ai juste peur. Peur de nous voir nous momifier de l’intérieur. Peur de la culture fast food qui nous rend obèses dans la tête. Peur d’avoir à vous dire qu’avec votre consentement, c’est quand même vos vies qu’on vous vole chaque soir.
Mais plus que tout, j’ai peur de la dictature du plus grand nombre. Peur de mal vieillir et de finir par tolérer tout ça, et d’y adhérer, par crainte de me retrouver vraiment tout seul à la fin.
APPEL À TOUS – Vite comme ça, je compte au moins 10 couples dans mon entourage qui ont dû avoir recours à la procréation assistée. Parfois avec succès, d’autres pas. Parfois assez sereinement, mais vraiment pas toujours. Je prépare une série de chroniques sur ce sujet, vu sous différents angles, y compris ceux de la politique et de l’éthique. J’aimerais entendre vos histoires. Écrivez-moi à [email protected].
Mais qu’est-ce que vous vous laissez aller à nous raconter là, Monsieur Desjardins!
Craindre la solitude? Mais voyons donc.
Et puis, songez un peu au moraliste français Jean de La Bruyère (1645-1696) qui a même écrit le remarquable «Ce grand malheur, de ne pouvoir être seul». De quoi faire un peu réfléchir à la vertu de la solitude, tout de même.
Sans oublier par ailleurs le bon vieux philosophe, écrivain et critique français Jean-Paul Sartre (1905-1980) qui, de son côté, nous a assurés que «L’enfer, c’est les Autres». Assez percutant, ça.
Non, faut pas trop s’en faire car, même seul, on sera toujours en bonne compagnie…
Bah!…
« La foule est une solitude. »
Lyse Longpré
« La solitude de l’esprit est la véritable solitude. »
Charles Hamel
« Qui comprend l’humanité recherche la solitude. »
Hazrat Ali
« La solitude est le nid des pensées. »
Proverbe kurde
« La solitude vivifie ; l’isolement tue. »
Joseph Roux
« Le prix de la liberté, c’est la solitude. »
Hervé Godec
« La solitude, c’est pire quand on est seul. »
Gilles Veber
« La solitude est bonne pour les calmes, pour les forts. »
Laure Conan
« La solitude est le principal avantage que procure la société. »
de Pierre Baillargeon
« Si tu crains la solitude, n’essaie pas d’être juste. »
Jules Renard
M. Desjardins, permettez-moi d’avoir peur avec vous de tout ça mais pas de la solitude, dernier château fort contre la bêtise ambiante, mais pas contre sa propre bêtise.
On devrait fonder un club des « solitaires » face à la majorité minoritaire. Parce qu’on découvrirait peut-être que « l’écrasante culture majoritaire » n’est peut-être en fait qu’une vaste entreprise de matraquage de « show-business »:
Un club pour promouvoir la solidarité entre « solitaires ». On pourrait l’appeler « Québec Solitaires ».
;-)
Tout est show-business maintenant. Parce qu’occuper l’attention d’une masse s’avère une entreprise très lucrative pour quiconque. Et comme l’homme est grégaire, il suffit de dire que tout le monde consomme une chose pour que tout le monde consomme cette chose.
Les solitaires, on devrait les envoyer derrière les barreaux pour comportement antisocial; et leur infliger quelques petits supplices: téléviseur ouvert jour et nuit, balade quotidienne au centre commercial, soirées de hockey au Centre Bell.
Ça leur apprendra à se foutre du monde!
En plus, c’est un bon moyen de joindre l’utile au désagréable: les prisons à Harper, va falloir les remplir!
Lire ceci m’a d’abord choqué puisque je pensais aux nombreux artisants qui travaillent dans cette industrie qui roule tellement: toutes émissions confondues. Par contre, je me rends justement vite compte que cest le bon mot: une industrie. Une industrie qui creer de la mobilité pour certain, puisqu’ils en parlent sans cesse. Mais aussi de la solitude(comme vous et moi) pour d’autres. Sans porter aucun jugement, estce que ces gens qui se croient seuls, sontils plus nombreux que ceux qui sont mobilisés? Estce que ceux qui ne passe pas leur 30hres de vie devant la télé n’ont ils pas la chance de parler des vraies affaires, de profiter du monde qui les entoure? Profiter de la nature, aller(avec la concentration requise) à la partie de soccer du petit ou simplement aller jouer aux cartes avec sa mère? Selon moi il ne faut pas avoir peur de cette solitude, puisque je pense, avec sincerité, qu’elle rapproche plus les gens que l’on croit.
Je ne crois pas que nous soyons si seuls. Autour de nous, peu de gens ont des télés maintenant. Et puis c’est nous qui avons changé, c’est nous qui l’avons fermée; les autres, la majorité, continuent à faire ce qu’ils faisaient déjà. Et je ne suis pas certaine que cette majorité ne fera pas comme le reste du monde quand nous serons assez nombreux à changer, quand nous atteindrons le point de bascule. Vous connaissez cette histoire des singes sur une île japonaise qu’on nourrissait en leur lançant des pommes de terre dans le sable. Ça a pris un certain temps après que la première adulte femelle ait commencé à laver ses pommes de terre avant de les manger pour que tous les singes s’y mettent. Il a fallu que le premier mâle adulte le fasse (où une autre théorie parle du centième singe), et ce fut le point de bascule. Partout sur la planète, les singes se sont mis à laver leur nourriture avant de la manger. Cette majorité ne fait que suivre. C’est à nous de changer. Ceux qui se croient seuls (et que Ray et Anderson appellent les Créatifs culturels). Je rêve peut-être mais il y a peu de temps, personne ne parlait de fermer la télé, de moins consommer, de ne pas utiliser les sacs de plastique, etc. Aujourd’hui, personne ne penserait à tuer la voiture électrique.
Merci pour votre magnifique texte. Malgré tout ce que je vous dis, j’ai moi aussi souvent peur que cette majorité réussisse à m’isoler. Mais bon, juste au cas où les pensées créeraient le monde…
Merci à Gérald Tapp. J’ai toujours beaucoup de mal a expliquer à mon entourage pourquoi la solitude n’est pas une horreur et pourquoi je l’aime tant. Merci pour votre aide :)
La maturité c’est la capacité de tout rencontrer, de tout absorber, de tout traverser, mais pour y arriver, il faut commencer par être libre vis-à-vis de ses propres craintes. Peut-être pas évident, mais c’est la même chose pour tout le monde…
Vous avez encore le réflexe, et le temps, d’avoir peur. Signe d’humanité s’il en est un. Sinon d’humanisme. Vous n’êtes pas en danger.
Je ne les connais pas, moi, les noms des Starmachinschose…
Je n’écoute qu’une seule émission de télé : Bob l’Éponge, les jours de semaine à 6h30 du matin, avec ma fille ado… Ça me permet de me mettre « dedans »…
Ça commence bien la journée. Comme ça, quand on tombe sur un « Patrcik », ou un « Bob » ou même un « Carlos », et yen a des tonnes, croyez-moi, on est plus préparé !
Sinon, toutes ses émissions nous grugent le peu de temps que nous avons, pour VIVRE.
Tellement trop de gens qui vivent leur vie à travers celles des personnages de télévision…
Le temps passe vite, on s’en rend compte à 45 ans.
Quel plaisir cette lecture! Surtout, continuez d’être ce que vous êtes et de l’affirmer à travers la masse mollusque…ulaire. N’ayez crainte de vieillir, la bonification arrive à point avec la persévérance et la conviction que la différence est source de changement.
Mollusque…ulaire…c’est bon ! ça me fait penser à ces guerriers modernes qui passent leurs soirées au gym et la journée à manger des protéines Popeye pour mener on ne sait trop quel combat.
M. Desjardins,
Dans cette liste de chose dont vous avez peur, vous en avez oublié une (à tout le moins j’en aurais rajouté une), celle d’être le seul a s’opposer à l’empire de PKP qui maîtrise les médias afin de nous faire avaler son amphithéâtre, au frais du gouvernement et de la ville de Québec.
Ahh ce chroniqueur. :) Tu me vole les mots de la bouche à chaque semaine. Dis-moi, comment tu fais pour dire des choses si troublantes et négatives, et de le faire avec autant de beauté? On dirait que dans ton désespoir tu permet à chacun d’entre nous qui lit ta chronique de regagner un peu d’espoir, justement.
En ce qui me concerne, je n’écoute pas ces émissions car elles ne répondent pas à un besoin chez moi. Si les gens les écoutent, c’est probablement que ça répond à un besoin quelquonque. Celui qui écoute Star Académie pour en parler au bureau, et bien ça peut lui permettre de socialiser, de se rapprocher des autres qui écoutent également cette émission. Ca répond quand même a un besoin. Pourquoi les seuls sujets discutables seraient Voltaire, Sartre, Mozart et compagnie. J’aime bien le commentaire sur BoB l’éponge. C’est bien beau de remettre en question le fonctionnement de la société et de soi même mais y penser constamment, moi ça me rend anxieux et débile. Ca empoisonne ma vie. Lorsque j’arrive du boulot qui est exigent au niveau mental, ça me tente de faire ou d’écouter un truc qui demande zéro effort intellectuel. Et non de penser a comment régler le déficit du québec ou de me dire que la démocratie est brimée en Russie. Je veux un truc léger, divertissant. Et lorsque je suis reposé au niveau intellectuel, je peux me remettre a penser a la dette québécoise ou la démocratie brimée en Russie.
On naît seul, on meurt seul…
»Car la vie est un bien perdu si on n’a pas vécu comme on l’aurait voulu ». J’ai écris cette phrase dans mon journal à l’âge de 13 ans. C’était en 1970…
Mon copain (qui n’habite pas avec moi) se moque de moi quand il me surprends à écouter TVA !
Ben oui, ça m’arrive et alors ???
Ce n’est pas une raison pour me stigmatiser, m’ostraciser et me pointer du doigt comme si j’étais une parfaite imbécile doublée d’une inculte ! (et j’exagère à peine…) Pourquoi toujours ce besoin de catégoriser les gens et de les »ghettoïser » ??
Je peux tout aussi bien écouter KIOSQUE à TV5 et être tout aussi heureuse.
En fait, j’écoute ce qui me tente selon mon »feeling » du moment , tout simplement… sans me poser de questions !
Mais je vous comprends Monsieur Desjardins !
Vivre en marge n’est pas toujours la voie la plus facile mais être un esprit libre est tellement satisfaisant que moi, je ne voudrais pas être autrement ….
En fait, si ça peut vous encourager, je vous assure qu’on ne devient pas mouton avec l’âge…
Merci, la vie !
Sartre , le grand.
J’ai passé toute ma vie d’adulte à date, à me dire que l’enfer c’est les autres.
Puis, à 50 ans, crise majeure et résurrection. Symbolique, of course mais tout de même .Rien de moins :)
Maintenant, grâce à la Charte de la Compassion et aux enseignements de tous les grands spirituels du monde et des temps anciens , je crois que
» c’est grâce à l’autre , et nul autre que l’autre, que nous faisons connaissance avec nous même ». Sagesse indienne.
Bon mercredi à toutes et tous .
Brigitte