Où en étions-nous déjà?
Ah oui, j’étais en train de lire vos messages. Ceux où vous prétendez que je disais n’importe quoi à propos de la hausse du taux d’infertilité dans ma première chronique de cette série. J’affirmais qu’elle est due en majeure partie à notre mode de vie.
Vous m’avez répondu que je ne colporte que des généralités, des préjugés, que je ne sais pas de quoi je parle. Et puis quand j’ai glissé que je ne croyais pas que l’État aurait dû embarquer dans le bateau magnifiquement monté par Julie Snyder et l’Association des couples infertiles du Québec, ma boîte de courriels est devenue un grand déversoir pour lecteurs gros fâchés.
Permettez tout de même qu’on revoie quelques trucs ensemble. À commencer par notre mode de vie, justement.
J’y reviens parce que ce n’est pas une accusation personnelle. Je ne suis pas en train de dire que si vous avez attendu d’avoir 40 ans pour tomber enceinte, cela fait de vous une dinde égocentrique de calibre olympique. Reste que l’enfant, de nos jours, n’est plus inscrit dans un cycle naturel. On en fait de moins en moins sans se poser de questions, en se disant: advienne que pourra. Les études, la carrière, la maison, les voyages, le bon partenaire, le bon moment… Viennent les enfants quand on aura bien profité de sa jeunesse et que toutes les conditions seront réunies. Ce sera le Grand Projet.
C’est vous-mêmes qui me l’avez écrit, ou dit. Au moins 30 fois j’ai relevé ce mot: projet. Et la manière dont on désigne les choses n’est jamais parfaitement fortuite.
Comme je ne suis qu’un chroniqueur un peu tata, vous devinez que je me suis documenté. J’ai lu, recueilli des dizaines de témoignages. À propos de notre hypermoderne parentalité, j’ai rencontré Antoine Malenfant, un universitaire qui s’est penché sur la notion d’enfant comme projet. Ce qu’il m’a dit? Essentiellement ce que je vous raconte depuis le début: nous avons pris l’entier contrôle de nos vies, nous voulons tout avoir, au moment où cela nous convient, et le taux d’infertilité découle en partie de ce mode de pensée. Nous faisons donc des enfants sur le tard, au moment où notre capacité à y parvenir décline.
Là encore, je n’invente rien. Je m’appuie sur les analyses des statisticiens.
Alors non, madame, si vous essayez d’avoir des enfants à 25 ans et que ça ne fonctionne pas, je ne suis pas en train de vous dire que c’est votre faute. À 40 ans non plus, anyway, puisqu’il se pourrait fort bien que d’autres aspects de notre civilisation soient en cause: pollution, nanotechnologies, toutes les merdes qu’on ingère dans la viande, les fruits, les légumes, sans parler de ce qui se trouve dans leurs emballages. Puis il y a les malformations, les infections qui dégénèrent…
Un ensemble de facteurs conspirent donc contre le rêve d’avoir des enfants. C’est le terme qu’emploie d’ailleurs l’Association des couples infertiles du Québec, qui aide les parents dans «leur rêve».
Maintenant, ce rêve serait aussi un droit? Antoine Malenfant m’a parlé d’un truc intéressant à ce sujet. Du droit des enfants qui a glissé vers le droit à l’enfant. Ce que ça veut dire? Pour reprendre les mots du professeur Alain Roy dans Le Devoir du 21 novembre 2008: c’est associer l’enfant à un objet d’appropriation. Un rêve, un projet, disais-je.
Et puis avoir droit à quelque chose, ce n’est pas une garantie de l’obtenir; ça veut dire qu’on n’y fera pas obstacle. J’ai le droit de me marier, ça ne signifie pas pour autant que l’État me paie mon abonnement à Réseau Contact.
Puisqu’on parle de fric, d’ailleurs. On m’a suggéré quelques fois que la gratuité de la procréation assistée serait économique pour l’État, qu’il en coûte moins cher que lorsque les cliniques de fertilité étaient payantes, puisque le gouvernement oblige les médecins à n’implanter qu’un embryon à la fois, réduisant ainsi les coûts astronomiques entraînés par des grossesses multiples. Je veux bien. Mais ces mêmes cliniques ont aussi fait passer le seuil d’infertilité à six mois d’essais infructueux au lieu d’un an, boursouflant une liste d’attente où, en cinq ans selon le ministère de la Santé et des Services sociaux, le nombre de fécondations in vitro sera passé de 2000 à 10 000 par année.
C’est vous qui avez commencé, je ne voulais pas parler de chiffres. Juste de principes, d’une idée, d’une société qui veut tout et son contraire.
Tout au long de cette série, je me suis d’ailleurs laissé porter par deux grandes lignes difficilement réconciliables. D’abord le versant humain de la procréation assistée. Le désir d’enfant si puissant, absolument énorme, vos histoires à embuer les yeux du plus insensible macaque. J’ai pensé à tous mes amis qui ont eu leurs enfants grâce aux différentes méthodes d’assistance médicale. À ceux qui essaient encore. À ceux qui ont choisi d’adopter en désespoir de cause. À tous ceux qui m’ont écrit et que je remercie. Vos histoires sont magnifiques, j’aurais aimé en raconter plus.
Et de l’autre côté, je nous regardais vivre en me disant qu’il y a quelque chose d’insensé dans tout cela. Un truc qui cloche. Surtout dans l’idée d’un financement public à même les fonds d’un ministère déjà totalement exsangue.
C’est une femme, un médecin qui a longtemps traité des couples stériles et qui comprend bien le désir d’enfant, qui a le mieux résumé mon inconfort. Nous trépassons encore dans des chambres à quatre lits, disait-elle en entrevue à la Gazette des femmes (mars-avril 2010), et s’il est légitime d’aider ceux qui veulent donner la vie, il faudrait commencer par permettre à leurs grands-parents de mourir un peu plus dignement.
On m’a écrit quelques fois que mes réserves sur le financement de la procréation assistée témoignaient d’une compassion à géométrie variable chez moi. En lisant le commentaire de ce médecin, je me suis consolé un peu. Mon problème d’élasticité morale semble généralisé.
En fait, le soutien gouvernemental à avoir des enfants, c’est le même combat que le soutien gouvernemental à avoir une éducation. C’est un choix qui devrait être de société, pour refléter les valeurs de la société. Sommes-nous prêts, collectivement, à mettre quelques dollars dans un chapeau pour aider les couples à avoir un enfant? Plus que pour payer des opérations au privé pour les personnes agées sur de longues listes d’attente? Ce genre de mesure devrait faire partie des programmes électoraux, qui devraient refléter les valeurs de tout partie voulant gouverner, et non sortir comme un lapin du chapeau pour plaire à l’opinion publique.
Pour moi, la gratuité c’est un des aspects de la chose, même gratuit, nous avons choisi de ne pas aller dans cette voie plus loin que les inséminations. La médicalisation de la fécondation et du processus ne correspond pas à ce que nous avons envie de vivre en tant que couple. Nous l’avons vu chez un couple d’amis, assez pour savoir qu’on ne les envie pas, et ce, même après 1 enfant réussi, et un autre en route. Nous avons quelque chose de précieux ensemble, et on oublie que même cela, ce n’est pas facile à trouver. Vous parlez de l’adoption comme un désespoir de cause, c’est sur qu’à choisir, on passerait pas dans ce processus, mais en même temps… ça permet d’avoir une suite dans un projet qui nous tiens à coeur. Et puis, si je peux me permettre, donner la chance au suivant, pourquoi pas si on a les aptitudes. Bonne continuité dans votre chronique!
Le désir d’enfant est l’équivalent positif du désir de ne pas avoir d’enfants. Est-ce que, pour rester cohérents, l’État devrait fournir gratuitement des moyens contraceptifs pour les couples qui ne désirent pas avoir d’enfant, de même qu’il paye pour les couples avec des problèmes d’infertilité? Le non-désir d’enfant va jusqu’à l’avortement. Celui-ci est-il payé par l’État? Je ne sais pas.
Mais je ne dirais pas qu’il y ait une question morale o éthique dans toute l’affaire de la procréation assistée La morale n’a rien à voir là dedans, la morale n’essaie que de définir ce qui est bien et ce qui est mal dans l’action humaine. Dans ce cas précis, il n’y a aucune valeur qui soit en jeu, aucun Bien idéal ni aucun Mal qu’il faudrait éviter. S’il y avait une valeur touchée, ce serait juste l’équité : l’État devrait on ne devrait pas aider autant les couples qui veulent avoir des enfants que ceux qui décident de ne pas le faire. Mais pas seulement le groupe qui a le lobby le plus fort.
Ce qui me heurte à tout coup, c’est ce symptôme que vous nommez littéralement : « la morale n’a rien à voir là-dedans ». En effet, enfanter n’est pas un acte moral, c’est un phénomène biologique. Cependant, piger dans les coffres de l’État pour enfanter…S’il n’y a pas de questions morales à se poser, aussi bien retirer bien des mots du dictionnaire (morale, moralité, éthique)!
Cette phrase résume le débat. D’un côté, ceux qui se penchent sur la société, de l’autre, ceux qui se penchent sur l’individu. La morale naît justement de ces deux concepts indissociables. Il m’apparaît important d’insister car comme une pensée magique, par accommodement (lire : esprit paresseux), plusieurs occultent cette dynamique, qui est pourtant une évidence incontournable.
À mon avis, le débat ne porte pas sur découvrir si les infertiles souffrent réellement ou pas, et qu’ils méritent que l’État apaise cette souffrance. Même s’il était établi quelque part dans l’expertise médicale que l’infertilité est classée comme « maladie » (il me semble avoir déjà entendu un médecin dire que le corps médical ne reconnaissait pas l’infertilité comme une maladie), mais même si c’était le cas, la question se pose toujours : combien y mettons-nous d’argent pour la soigner? Serions-nous à ce point aveugles pour ne pas voir que toutes les maladies ne sont pas traitées sur le même pied d’égalité? Qu’elles ne bénéficient pas toutes des mêmes fonds de recherche? Les deniers publics poussent-ils dans les arbres? Plus j’y pense, plus je soupçonne les libéraux d’en faire pousser sur leurs terrains! Au même titre, on soulève souvent le malaise que nous avons comme société à soigner les gens atteints d’un cancer des poumons, et qui continuent de fumer. Certains pourraient même se servir de cet argument pour appuyer la procréation assistée. Grossière erreur de raisonnement (Philosophie 101) : l’autre exagère alors moi aussi j’ai le DROIT d’exagérer. Œil pour œil, dent pour dent. On s’en va où?!?
Ce malaise est simplement le fruit d’une conscience profonde qui nous habite : sur quelle base notre système de santé fonctionne-t-il? Soigner ou prévenir? Cela rejoint l’idée du financement public de la procréation assistée. Doit-on baser notre survie comme peuple, notre natalité, sur une politique d’État? Le monde à l’envers, l’État qui a mainmise sur la progéniture, sur le peuple (quel danger!), plutôt que la progéniture, le peuple qui s’autodétermine, qui guide l’État!!! Sommes-nous de fervents défenseurs de la démocratie, vraiment? Sommes-nous prévoyants, vigilants ou attendons-nous l’hémorragie? Ne devrait-on pas revoir notre conception de la vie?
D’un point de vue plus global, notre société se projette-t-elle au-delà de l’individu? Au-delà du résultat immédiat? Au-delà d’une génération? A-t-on une vision d’ensemble, une vision à long terme? J’aimerais qu’on arrête de démanteler une pensée collective pour satisfaire de petits groupes d’intérêts, qu’on arrête d’insulter les démunis à coups de millions donnés sans gêne à ceux qui en ont déjà. C’est maintenant« bar open » dans les coffres de l’État, pour les cliniques privées. J’ai honte qu’on applaudisse cette politique. Lisez, informez-vous, cessez d’être complaisants. J’aimerais qu’on fasse l’effort collectif de penser au-delà de nos intérêts personnels.
J’en ai marre de ceux qui fuient la morale comme la peste…Effectivement, la morale c’est envahissant car ça fait partie de notre quotidien, qu’on le veuille ou non.
Brave New World, d’Aldous Huxley. Si l’État finance, ça lui donne un droit de regard aussi sur les progénitures. Promouvoir les bons gènes? Je pense qu’il est plausible, et triste, que certaines personnes ne puissent se reproduire probablement parce que certains facteurs génétiques ne doivent pas être transmis.