Desjardins

Un grand bond en avant

À chacun sa posture. J’ai choisi la mienne depuis longtemps, assis tout croche sur le bilan instable de toutes mes contradictions. De tous mes désirs, dont celui d’un certain conformisme, dont celui des choses, dont celui d’appartenir à un groupe en même temps que j’ai la farouche tentation de toujours fucker le chien dans chaque gang à laquelle j’appartiens.

Bourge et iconoclaste, un pied dans la marge et l’autre dans une extrême normalité émoulue par la banlieue paisible de mon enfance.

Ma posture sera toujours celle de l’inconfort. Il me semble aussi que c’est la seule qui soit possible, la seule depuis laquelle je peux critiquer tout le monde. À commencer par moi-même. C’est une zone de la pensée qui est tout sauf un refuge, et d’où je réfute les certitudes et fais l’inventaire de mes torts.

C’est cette posture qui me faisait répéter avec conviction l’observation d’un ami lorsque j’ai visité le Liberty Square qu’avaient investi les manifestants hypergranolisés d’Occupy Wall Street: individuellement, ils sont détestables, mais ensemble ils font quelque chose d’essentiel.

C’est avec ce mélange incongru de conviction et de dérision que j’ai rejoint la manif de jeudi soir dernier, mort de rire devant l’attrait puéril suscité par AnarchoPanda et Banane Rebelle, mais en même temps ravi de leur esprit ludique, de leur célébration de l’absurde, de cette fête dans la révolte contre quelque chose qui ressemble bien plus, désormais, au paternalisme d’un État incarné par des politiciens spongieux imbibés de mauvaise foi.

Si je suis étranger à sa détresse, à son sentiment de constante persécution, je partage aussi un lot des angoisses de la classe moyenne. J’ai une hypothèque. Une carte de crédit. Je suis assis sur le même siège éjectable que plusieurs. Je suis affligé du même désarroi politique. Mais je ne me réfugie pas pour autant chez Costco ni au centre commercial, sauf peut-être une fois l’an, si j’y suis forcé. Je comprends la compulsion d’acheter, mais je ne l’accepte pas comme une fatalité. Je veux dire qu’il y a dans notre mode de vie de citoyens-consommateurs une détresse existentielle que je refuse de faire taire en achetant des trucs.

À voir les sondages, on pourrait penser que le monde se divise ainsi. La gauche naïve et la droite aveugle. Encore 50-50, encore un Québec scindé au centre. Et pourtant, si j’y suis, il doit bien exister ce centre inconfortable, ce conformisme lucide, évidemment plus à gauche qu’à droite, mais tout de même…

Voilà enfin qu’on entend ses échos. Ils ne proviennent ni des manifs ni de gémissements de pleurnichards sur les ondes de Radio-Redneck.

Leur voix, c’est celle des casseroles qui résonnent depuis quelques jours et qui disent: il existe un centre un peu moins mou qu’on le croyait. Et le voilà qui se durcit quand on le pique. Le voilà qui s’éveille et se voit forcé de prendre position dans un débat de société qui occupe tout le monde. Le voilà qui sort de sa torpeur.

Et au lieu d’adresser son courroux aux syndicats, aux associations étudiantes, aux sociétés transnationales et au grand Kapital, on sent que son impatience vise directement le pouvoir. Ceux qui se moquent de nous.

Pas tout à fait carrés rouges mais certainement pas carrés verts, quelque part dans ce no man’s land aux frontières de l’humanisme gauchisant et de cette condition de citoyen-consommateur à laquelle personne n’échappe, ils ont un problème. Le même que moi: ils sont politiquement pris au piège.

Qui pourra matérialiser cette colère lors de la prochaine élection? Qui incarnera le virage nécessaire qui pourrait nous empêcher de voter libéral par dépit ou péquiste par défiance? Je veux dire à part la CAQ, qui vient de s’estropier politiquement en appuyant la loi 78.

Qui serait capable d’incarner cette étrange position qui est la mienne et celle des tapeux de casseroles un peu partout?

Nous sommes des milliers à dire merde au gouvernement actuel et à ses options de rechange. Nous sommes des milliers assis sur nos contradictions. Ni militants de gauche. Ni défenseurs d’une droite satisfaite en même temps que névrosée. Nous croyons à l’idée d’un siège social, d’un lieu politique où déposer le cul de nos convictions qui semblent paradoxales, mais où seraient réconciliés l’individu et le collectif, et où l’humain primerait.

Maintenant, reste à remplir ce siège. Parce que le changement passera par la démocratie, par la politique. C’est ce que viennent dire tous les soirs les tapocheux de batteries de cuisine: nous croyons à la démocratie sur laquelle le gouvernement s’essuie les pieds.

Alors qui incarnera ce changement, qui viendra sortir le Québec de son marasme qui pue des décennies de copinage, de magouilles et d’un système qui nécessite un urgent CRTL-ALT-DEL?

Au travers de tous les sondages qui divisent le Québec, deux noms semblent trouver la faveur d’une majorité. Léo Bureau-Blouin et Martine Desjardins.

Je sais que je leur fais porter un poids terrible en laissant entendre qu’ils feraient de bons politiciens, mais la vérité est là: nous avons découvert en eux des voix crédibles, comme une fraîcheur là où l’air semblait fétide.

Ils sont jeunes, habités par le courage et la nécessaire naïveté de ceux qui croient sincèrement pouvoir rénover le monde. Trop inexpérimentés, dites-vous? Possible. Mais regardez le merdier dans lequel nous nous sommes mis, à force de voter pour des présidents de chambre de commerce déguisés en politiciens qui se sont finalement avérés des vendeurs de balayeuses.

Anyway, je doute que nous soyons capables d’une telle audace, de risquer un peu de notre confort au profit d’idées, d’une grande poussée vers l’avant qui nous ferait nous remettre en question de bas en haut. Et pourtant, je nous le souhaite. Parce que j’ai le sentiment que notre salut en dépend.